vendredi 29 mars 2024

COMPTE RENDU, opéra. PARIS, Bastille, le 25 janv 2019. BERLIOZ : LES TROYENS. Jordan / Tcherniakov.

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troyens berlioz opera bastille janvier 2019 critique opera classiquenews actus infos musique classique operaCOMPTE RENDU, opéra. PARIS, Bastille, le 25 janv 2019. BERLIOZ : LES TROYENS. Jordan / Tcherniakov. Dénaturés ou régénérés ? Telle est la question face à ce spectacle qui démontre moins l’opéra de Berlioz que la vision d’un homme de théâtre. Mal scène ou réécriture positive ? L’Antiquité se fait intrigue domestique et thérapie collective dont les enjeux dévoilent en réalité les traumas dont chacun souffre malgré lui. La grille de lecture réécrit l’opéra. Pas sur que Berlioz sorte gagnant de cette affaire…

Osons dire et écrire ici que le travail de Dimitri Tcherniakov qui nous avait certes convaincu dans sa première mise en scène pour l’Opéra de Paris, Eugène Onéguine, – une réalisation princeps qui restera cas unique-, finit par agacer dans ces Troyens brouillés ; la fresque à la fois grandiose et poétique du grand Hector est passée à la moulinette conceptuelle et réduite à la grille théâtreuse de Tcherniakov qui veut bon an mal an faire rentrer l’ogre néoantique dans un petit carton familial. Qu’a à faire le souffle de l’épopée virgilienne dans cette conception éculée qui écarte toute ivresse poétique, forçant plutôt le jeu des êtres décalés, impuissants, opprimés ou tout simplement fous.

Dossier spécial BERLIOZ 2019 Illustration dans les articlesLes Troyens sont la grande oeuvre de Berlioz : un Ring à la française, aux équilibres classiques : l’ampleur de l’orchestre, le souffle des tableaux que n’aurait pas renié Meyerbeer, ni le Rossini de Guillaume Tell, n’empêchent pas l’intériorité ni le fantastique des épisodes héroïques. Achevé en 1858 à 54 ans, l’opéra de Berlioz ne sera jamais créé intégralement de son vivant ; en 1863, une version tronquée qui ne sélectionne que les morceaux de la seconde partie (Enée à Carthage) est portée à la scène ; puis en 1890, à Karlsruhe, enfin une intégrale est jouée mais en allemand. Comme pour Les Fées du Rhin d’Offenbach, les allemands se montrent plus curieux de nouveautés ; là aussi, l’opéra d’Offenbach pourtant écrit en français, est créé intégralement en Allemagne donc en allemand.
A Paris, l’Opéra national affiche après une première intégrale en 1921, une nouvelle production complète qui inaugure alors le vaisseau Bastille, en 1989.

LA PRISE DE TROIE… La force de la première partie vient du portrait écrit par Berlioz, de la prophétesse désespérée Cassandre qui a compris la catastrophe annoncée, la dénonce aux troyens et à leurs roi Priam, mais en pure perte : personne ne l’écoute. Son duo avec Chorèbe – qui aimerait tant l’épouser, est le volet le plus déchirant de cette première séquence.

LES TROYENS -  LA PRISE DE TROIE -

Mais anecdotique et laide, la mise en scène collectionne les idées gadgets et déjà vues : Cassandre est interviewée par une équipe de télévision (que c’est original) ; dans leur salon cossu qui contraste avec le décor simultané et trivial où se presse le peuple en panique, la cour de Priam a des allures d’opérette, – les futurs vaincus n’ont aucune grandeur antique. Cette obligation d’actualisation et de réalisme sonne faux. Sans pouvoir justifier sa présence dans cette partie troyenne, une célébration d’Hector mort se précise mais de façon brouillonne et incohérente. Et le cheval des grecs est remplacé par Enée lui-même, traitre à sa patrie. De toute évidence, les tableaux collectifs n’ont jamais inspiré Tcherniakov dont le tempérament reste plutôt introspectif, plus soucieux de l’itinéraire des individus que du mouvement des foules. Ainsi la marche troyenne consterne par un… statisme désolant.

DIDON à CARTHAGE… Las, le sentiment d’incongruité et d’actualisation coûte que coûte persiste et … s’enlise dans la seconde partie (Les Troyens à Carthage, avec l’idylle entre Enée et Didon) : Tcherniakov nous sert des références aux vagues migratoires d’aujourd’hui… soit. Et donc le rapport ? Nous le cherchons encore.
Toujours à hauteur humaine, Tcherniakov fait de l’action berliozienne une petite histoire de famille, un épisode domestique ordinaire qui dans ce contexte, devient même ridicule : comment accepter que Didon se déchaine comme une hystérique contre celui qu’elle aime et qui ne veut pas rester : Enée ? Voilà qui est dit et confirmé : pour Tcherniakov, tout dignité, toute grandeur antique sont effacés. Pour la petite histoire. Celle qui émaille sa vision d’une communauté de petits-bourgeois dont on lit pour certains la pensée à travers des projections vidéo… ce dispositif (dans la première partie) serait un tantinet crédible si l’on en avait pas mesuré les limites comme l’affligeante banalité dans ses productions antérieures. Tcherniakov ne sait pas se renouveler : il s’obstine même et se répète. Au risque de dénaturer la partition qu’il est censé servir.

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L’apothéose de cette lecture réductrice et décevante, se révèle dans toute sa fausse pertinence dans la seconde partie : Enée qui a vendu sa cité aux grecs, fuit et se retrouve dans un hôpital pour victimes de guerre dont la directrice est Didon, laquelle a troqué sa couronne carthaginoise pour une nouvelle compétence en soins palliatifs. Au sommet de cette actualisation, la chasse royale qui prépare au duo amoureux, devient jeu de rôle aux vertus thérapeutiques entre les patients hospitalisés dont Enée bien sûr (habité par ces voix qui l’exhortent à rejoindre l’Italie pour fonder un nouvel empire). On avait déjà vu tout cela, dans sa Carmen au festival d’Aix 2017, où Tcherniakov allait jusqu’à réécrire la fin de l’histoire (mais bien sûr, puisque Bizet avait laissé un opéra « inabouti »).

Des Troyens bien triviaux…
Les petits bourgeois traumatisés
en thérapie de groupe

Au spectacle affligeant de troyens et de carthaginois réduits à des intrigues de bas étage, répond heureusement une tenue vocale et orchestrale d’une toute autre valeur, justifiant qu’on s’intéresse à ces nouveaux Troyens. Mais les yeux fermés.
Rayonnante, profonde, et presque énigmatique, car elle semble habitée par ce don de voyance divine, la Cassandre de Stéphanie d’Oustrac intéresse dans la première partie : sa présence cynique à force d’être distancée, – presque froide et absente, surprend dans un océan de mouvements confus et maladroits. Sa déclamation est courte parfois à l’inverse de celle de son partenaire Chorèbe (impeccable et si noble Stéphane Degout). En réalité, Tcherniakov qui aime décelé les travers et traumas dissimulés, a fouillé le passé tortueux de la voyante : en réalité, elle reste égarée parce que son père (Priam) l’a violée… vous suivez toujours ?

Tout cela altère la force du premier couple imaginé par Berlioz (Cassandre / Chorèbe). Leur duo trouve un bel écho dans celui de la seconde partie : réunissant, opposant, puis séparant Enée et Didon : respectivement Brandon Jovanovitch (sobre et percutant, souple et articulé lui aussimalgré quelques aigus parfois tirés) et Ekaterina Semenchuk (sensuelle et impliquée, d’abord surdimensionnée à notre avis au début, puis mieux canalisée, trouvant le ton tragique juste dans son suicide final). Pourtant cela n’était pas gagné car Didon suicidaire se tue en avalant des cachets, sans aucune dignité ni grandeur.
Distinguons également le beau mezzo grave et sombre, très onctueux et musical d’Aude Extremo en Anna, la sœur funèbre de Didon ; mais son français manque de clarté, ce qui est loin d’être le cas de Michèle Losier : son Ascagne est de bout en bout éloquent, articulé, juste. Saluons aussi le Narbal racé de Christian Van Horn ; l’élégance du ténor Cyrille Dubois dans l’air de Iopas : «Ô blonde Cérès ». Par contre, au diapason d’une mise en scène sans magie, oublions l’Hécube frustrante et hors sujet, hiératique figurante de Véronique Gens.

Malgré de nombreuses coupures (le duo des sentinelles si cher à Berlioz, est absent !), Philippe Jordan qui réussit certains passages symphoniquement wagnériens, parvient néanmoins à sauver les meubles disparates d’une production confuse qui manque d’unité comme de direction. Difficile de rétablir l’équilibre entre la beauté de la musique et l’effet de multitude comme l’action déconstruite que l’on voit sur scène… Voilà une nouvelle production qui ne rétablit par Tcherniakov parmi les grands metteurs en scène d’opéras. Entre confusion, dispositif bidon, lecture confuse, obsession d’un regard pseudo psychanalytique… le spectateur et l’auditeur sont en droit d’applaudir autre chose… à commencer par une partition qui devient invisible sous le cumul d’oirpeaux qui la recouvre. Surtout sur la scène de l’Opéra de Paris. Que l’on pense aux nouveaux spectateurs de l’opéra : reviendront-ils pour d’autres spectacles après avoir éprouver la confusion comme la laideur de celui-ci ? A l’affiche de l’Opéra Bastille, le 31 janvier. Les 3, 6, 9 et 12 février 2019.
Pour vous faire une idée, et dans le confort de votre salon, Arte diffuse le 31 janvier la production de ces Troyens déconcertants à Bastille, en différé à 22h30. Illustrations : © V. Pontet / OnP 2019

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COMPTE-RENDU, opéra. PARIS, Bastille, le 25 janv 2019. BERLIOZ : Les Troyens. Jordan / Tcherniakov

Distribution
Les Troyens – Opéra en 5 actes d’Hector Berlioz
Opéra en cinq actes, livret du compositeur d’après l’Enéide
Créé à Paris, Théâtre-Lyrique, le 4 novembre 1863 (Les Troyens à Carthage)
et à Karlsruhe le 6 décembre 1890 (La Prise de Troie, en langue allemande)

Cassandre : Stéphanie d’Oustrac
Ascagne : Michèle Losier
Hécube : Véronique Gens
Énée : Brandon Jovanovich
Chorèbe : Stéphane Degout
Panthée : Christian Helmer
Le Fantôme d’Hector : Thomas Dear
Priam : Paata Burchuladze
Un Capitaine Grec : Jean-Luc Ballestra
Hellenus : Jean-François Marras
Polyxène : Sophie Claisse
Didon : Ekaterina Semenchuk
Anna : Aude Extrémo
Iopas : Cyrille Dubois
Hylas : Bror Magnus Tødenes
Narbal : Christian Van Horn
Deux Capitaines troyens : Jean-Luc Ballestra, Tomislav Lavoie
Mercure : Bernard Arrieta

Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction : Philippe Jordan
Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov

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