jeudi 18 avril 2024

COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, le 4 déc 2018. MASSENET : Cendrillon. Shaham, Le Roux… Toffolutti / Schnitzler

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COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, Théâtre Graslin, le 4 déc 2018. MASSENET : Cendrillon. Shaham, Le Roux… Toffolutti / Schnitzler. C’est une nouvelle (et belle) production que nous présente Angers Nantes Opéra en ce mois de décembre 2018 : une manière élégante et vocalement solide de souligner la veine merveilleuse d’un Massenet méconnu, qui souhaite dans les faits, « Bercer » par la fable, retrouver son âme d’enfant, diffuser l’onirisme du songe, la poésie du rêve… ainsi que nous le dit Pandolphe en bord de scène, dans son récit d’ouverture comme préalable au spectacle.

Mais il n’y est pas uniquement question du rêve. Massenet ajoute aussi l’élan amoureux, cette passion sensuelle naissante qui colore effectivement chaque duo entre Lucette / Cendrille et son prince, sous le regard complice et protecteur de la bonne fée, marraine de la jeune femme ; d’ailleurs les trois forment à deux reprises un trio réellement enchanteur. On ne cesse de penser au compositeur alors saisi par le charme, – épris même-, de la soprano Julia Giraudon, qui remplace la célèbre créatrice de Carmen, Emma Calvé, au départ pressentie pour le rôle-titre. Chaque duo Cendrille / Le Prince est ainsi traversé par un désir ardent, juvénile, d’une irrépressible aspiration, témoignage autobiographique de cette passion qui électrise Massenet lui-même en 1899.

 
 
 

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ROI STATUE ET PRINCE DEPRESSIF… Si le tableau d’ouverture est un peu sage voire confus : on ne comprend pas bien ce qu’est cette « chose » en fil de fer rose (???) au début du spectacle… (qui traverse l’ensemble du décor comme si elle en découpait la paroi blanche), l’immersion dans le rêve néanmoins se réalise très vite affirmant son univers onirique parfois surréaliste… ainsi le tableau où paraît le prince, juché sur un chapiteau corinthien inversé, emblème de son déséquilibre intérieur manifeste : il ne veut rien faire, surtout pas participer au défilé des filles de la noblesse que son père a décidé pour qu’il trouve épouse. Parlons du roi justement : il appartient au monde des légendes, caricatural et déjanté : une icône statufiée, débout / assis, tout amidonnée dans son ample manteau royal : truculent Olivier Naveau.
Concernant le Prince mélancolique voire dépressif… il faut bien toute la couleur du timbre grave de Julie Robard-Gendre pour exprimer un mal-être certain, ce moelleux maladif. Jusqu’à ce que paraisse  Lucette / Cendrille dans sa robe blanche (de style Empire). Et les sens du jeune homme se réveillent soudainement (Massenet tout enamouré de sa belle et jeune Julia ?).


CENDRILLON ENIVRÉE… Dans le rôle-titre Rinat Shahan ici même écoutée en Octavia tragique et désespérée (Le Couronnement de Poppée de Monteverdi), incarne une jeune femme angélique et volontaire, dont la couleur vocale fait tout le charme d’un chant simple, fluide, lumineux. Un angélisme ardent et sincère qui certes ne maîtrise pas encore parfaitement l’intelligibilité de notre langue mais reste toujours très juste ; il n’y a guère que le baryton emblématique François Le Roux qui réussisse parfaitement l’exercice : son élocution est exemplaire avec ce ton inspiré, halluciné, des grands diseurs. Le chanteur donne du corps à ce Pandolphe, vraie pantoufle domestique, passive et soumise… qui finit même par agacer tant il demeure attaché à sa nouvelle femme, la comtesse de La Haltière (la britannique Rosalind Plowright, dragon rageur et haineux, qui a presque 70 ans, déploie une présence scénique totale, dramatique et … sonore, vraie marâtre détestable).

On sait Alain Surrans très soucieux de cohésion dramatique, y compris dans la défense des œuvres méconnues ; le nouveau directeur d’Angers Nantes Opéra apprécie particulièrement les contes, précisément leur force poétique capable de nous parler encore aujourd’hui, dévoilant des thèmes qui font écho à notre actualité.
C’est assurément le cas de Cendrillon de Massenet dont la figure courageuse de Lucette / Cendrille rappelle combien la désobéissance et la volonté de croire à ses sentiments sont majeurs pour toute émancipation.

 
 
  
 
 

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On émettra quelques réserves néanmoins dans cette nouvelle production. Bien des aspects de la partition surtout son livret, restent marqués par cette mièvrerie fleurie, typique de l’extrême fin du XIXème ; les références à la nature, le sujet de cet « avril printanier » évoqués à plusieurs reprises, par Lucette et son père (et jusqu’au couple que le père évoque avec sa fille comme celui « d’amoureux » en promenade…) laissent un rien perplexe. On en regretterait les bienfaits de l’actualisation. Il y avait beaucoup de jeunes dans la salle ce soir à Nantes : pas sûr que la majorité adhère à un art ainsi démodé voire affecté par des tournures d’un autre temps qui réduisent aujourd’hui la force de l’action. Assurément quelques coupures eussent été bénéfiques.

ESSOR ONIRIQUE… Quoiqu’il en soit, ne boudons pas notre plaisir. Le spectacle réalise en maints endroits la volonté onirique de Massenet. Son invitation à retrouver notre âme d’enfant prend forme et se réalise. Les deux tableaux où paraît la fée (suave et agile Marianne Lambert malgré les redoutables arches coloratoure de sa partie), la première fois dans sa baignoire / nacelle, permettant à Lucette d’aller au bal ; quand elle trône enfin, en déesse sylvestre, parmi les chênes, … sont très convaincants.

Parmi les séquences les plus marquantes, ce sont bien les duos entre Cendrille et le Prince qui sont les plus inspirés (moins le couple du père et de sa fille : Pandolphe / Lucette). L’union des nouveaux amants, en particulier dans le tableau du bal (première rencontre) puis dans celui de leurs retrouvailles au pied du chêne des fées, illustre ce Massenet inspiré, – dans la lignée de Gounod, éperdu et tendre, – entre dévotion partagée et profondeur émotionnelle ; quand par exemple dans leur premier émoi, Cendrille avoue sa dévotion immédiate et totale à l’être tout juste rencontré … On est proche de ce ravissement dont Massenet a déjà élaboré l’expression dans Manon évidemment (référence à « la main presse »), composée 5 ans auparavant (1884).

 
 
 

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Manon est finalement une source maintes fois citée ou exploitée ici, ne serait ce que dans le parfum néo baroque, propre à ce « classicisme XIXème », de l’ouverture ; également dans l’esprit Grand Siècle des ballets qui citent toujours Manon (cf. le tableau de l’Opéra dans l’opéra). Saluons enfin danseurs et membres du Choeur d’Angers Nantes Opéra ; souvent très drôle, la transposition que réalise le noyau des 5 danseurs du Centre Chorégraphique national de Nantes, dans la chorégraphie d’Ambra Senatore : ils emmènent avec eux les choristes maison dont le talent et la volonté du jeu se révèlent et s’affirment bel et bien, de production en production, avec chez certains, une claire référence à Charlie Chaplin.
Enfin en fosse, l’ONPL, dirigé par Claude Schnitzler, s’il sonne dur et court en début de spectacle, se déploie plus onctueux et suggestif à mesure que l’action réalise ce passage du réel au rêve. Et vice versa. Convaincant.

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COMPTE-RENDU, opéra. NANTES, le 4 déc 2018. MASSENET : Cendrillon. Shaham, Le Roux… Toffolutti / Schnitzler – Encore à l’affiche au Grand Théâtre d’Angers, pour 3 représentations incontournables, les 14, 16 et 18 décembre 2018.
http://www.angers-nantes-opera.com/la-programmation-1819/cendrillon

LIRE aussi notre présentation annonce de la nouvelle Cendrillon présentée par Angers Nantes Opéra en décembre 2018
http://www.classiquenews.com/nouvelle-cendrillon-de-massenet-a-nantes-et-a-angers/

 
 
 

PROCHAINES productions à ne pas manquer à NANTES : Un Bal masqué de Verdi (13 mars – 6 avril 2019)
A Nantes puis Angers : Le Vaisseau Fantôme de Wagner, 3 mai – 13 juin 2019

 
 
 
Illustration : Marianne Lambert (la fée) apparaît à Lucette / Cendrille (DR – Angers Nantes Opéra – JM Jagu 2018  
 
   
 
 

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