Compte-rendu, festival. Festival International Alessandro Stradella (FAS), Nepi, 10 septembre 2016, Stradella, Santa Pelagia. Ensemble Mare Nostrum, Andrea De Carlo. Chaque année, le Festival Stradella qui se déroule à Nepi, la ville natale du compositeur, semble gagner en qualité, en émotion, et le plaisir roboratif de la découverte le dispute à la jubilation que suscite une interprétation « historiquement informée », associée à la connaissance intime qu’a du compositeur son directeur et fondateur Andrea De Carlo ; d’autant que ce dernier mûrit de longues années chacun de ses projets stradelliens.
Pour inaugurer la IVe édition du Festival, ce dernier a ressuscité l’un de ses plus beaux oratorios, Santa Pelagia, dont on ignore l’exacte date de composition, mais qui fut très probablement exécutée à Rome au milieu des années 1660. Avec un effectif réduit de 4 voix accompagnées par la seule basse continue, cette partition est conservée en une unique copie postérieure à la Bibliothèque Estense de Modène. Le livret anonyme, d’une grande richesse poétique – l’auteur a bien assimilé son Pétrarque et son Marino – raconte, dans le plus pur style de la joute oratoire contre-réformiste, la conversion aux vraies valeurs chrétiennes d’une jeune femme syrienne, dont on ne sait pas très bien si elle est prostituée, alors tentée par les plaisirs terrestres de la vie mondaine. Les personnages qui se disputent ses faveurs sont allégoriques (le Monde, la Religion), et l’intrigue dramatique, inexistante, se réduit à un débat rhétorique des consciences.
4ème Festival Stradella à Nepi
STRADELLA NOSTRUM
Andrea De Carlo, l’un des rares chefs à comprendre réellement ce répertoire exigeant, et plus particulièrement l’œuvre complexe, originale et fascinante de Stradella à qui il voue un amour infini, a dépoussiéré la partition gâtée par des ajouts incongrus (les parties de violon dans la sinfonia d’ouverture et les interludes instrumentaux du plus mauvais effet) qu’il a judicieusement supprimés, débarrassant l’œuvre de cette gangue adventice et factice qui la dénaturait. Santa Pelagia y retrouve une seconde jeunesse et résonne enfin de cet équilibre parfait que le compositeur a su instituer entre la basse continue et la voix. La musique de Stradella, surtout dans ses oratorios, doit être lue et interprétée comme l’illustration de cette « fiction rhétorique mise en musique », selon la célèbre définition que donne le Tasse (elle-même reprise de Dante) de la poésie. Toute afféterie ou embellissement musical y deviennent inutiles et détournent l’œuvre de sa destination première, toucher l’auditoire par la triple fonction du paradigme rhétorique : plaire, instruire et émouvoir. De Carlo a su éviter le piège de la séduction facile et immédiate, de l’opulence gratuite, et de cela nous lui en savons infiniment gré.
La distribution réunie dans la cathédrale de Nepi pour cette résurrection très attendue est proche de l’idéal. Dans le rôle-titre, la soprano Roberta Mameli a littéralement illuminé l’assistance de sa voix magnifiquement projetée, d’une grande amplitude et d’une ferveur idoine qui force le respect. Ses airs sont d’une extrême variété, tour à tour élégiaques (magnifique air d’entrée « Ermi tronchi » au rythme chaloupé, précédé comme souvent d’un récitatif d’une grande expressivité), pathétiques, ou encore plus véhéments (« Abbatto, / Combatto »). Son éloge du regard qui matérialise la passion amoureuse (« Le pupille / Son faville »), avec lequel s’achève la première partie, restera comme l’un des sommets de la partition. La basse Sergio Foresti, dans le rôle du Monde, est toujours d’une musicalité impeccable, très sollicité dans l’aigu dans les airs qui lui incombent, montrant ainsi à son tour l’impressionnant ambitus vocal jamais pris en défaut. Dans celui de la Religion, Raffaele Pè confirme qu’il est l’un des contre-ténors les plus fins du moment ; sa diction est parfaite, et son chant d’une grande homogénéité, sans aucune des aspérités qui gâtent souvent ce type de voix marqué par un maniérisme horripilant qui trahit les faiblesses techniques plus qu’il ne révèle l’efficacité des contrastes de registres. Ses interventions sont typiques du style de Stradella qui, même dans les formes closes, souvent concitate (« Saette e fulmini »), ne sacrifie jamais l’intelligibilité du texte. Enfin, dans le rôle du prêtre Nonno, le ténor Luca Cervoni présente les mêmes qualités que ses confrères : voix cristalline aussi touchante dans les airs tendres (superbe « Agl’assalti ») que dans les morceaux plus virtuoses (« Tu che sbatti »), qui révèlent une maîtrise stupéfiante de la vocalità, d’une admirable tenue.
La mise en espace sobre et efficace de Guillaume Bernardi respecte les codes rhétoriques de la joute oratoire par quoi se définit principalement l’oratorio romain du XVIIe siècle. Au final, un succès plus grand encore que les précédents à porter à l’actif du fabuleux travail de De Carlo et de son Ensemble Mare Nostrum, dont on attend les prochaines réalisations avec impatience et gourmandise.
Compte-rendu, festival. Festival International Alessandro Stradella (FAS), Nepi, 10 septembre 2016, Stradella, Santa Pelagia. Ensemble Mare Nostrum, Andrea De Carlo.