vendredi 4 octobre 2024

COMPTE-RENDU, critique, opéra. LYON, Opéra, le 5 oct 2019. ROSSINI, Guillaume Tell. Tobias Kratzer / Daniele Rustioni

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

rossini-vieux-opera-anonce-critique-opera-classiquenews-classique-news-musique-classique-infos-actualitesCOMPTE-RENDU, critique, opéra. LYON, Opéra, le 5 oct 2019. ROSSINI, Guillaume Tell. Tobias Kratzer / Daniele Rustioni. Production très attendue pour l’ouverture de la saison lyonnaise, le Guillaume Tell donné dans sa version originale en français, déçoit scéniquement, mais bénéficie d’une distribution (quasi) idéale et surtout d’une direction exceptionnelle.
Le Grand Opéra, dont Guillaume Tell constitue l’un des titres emblématiques, est un genre extrêmement codé : sujet historique, grandes masses chorales, ballets obligés (dans cette production, près de quarante minutes sont passés à la trappe), nombreux personnages et figurants, attention portée aux détails des décors et des scènes. Cependant, force est de constater que la lecture de Tobias Kratzer ne s’est pas embarrassée de ces contraintes : il en résulte un spectacle terne et abstrait, qui plus est sans véritable direction d’acteurs. Sur scène un décor unique constitué d’un grand tableau noir et blanc représentant un massif alpin qui se recouvre progressivement de coulées de peinture noire. Une ouverture illustrée par un solo de violoncelle et l’arrivée d’hommes en blanc et chapeaux melon, clin d’œil aux méchants d’Orange mécanique de Kubrick qui avait fait de l’ouverture de l’opéra, l’un de ses leitmotive musicaux. On comprend après coup que ces derniers représentent les Autrichiens oppresseurs du peuple suisse.

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Un décor bichromatique – la couleur n’apparaît que dans les costumes folkloriques que les Suisses captifs revêtent au 3e acte – qui finit par se confondre avec l’obscurité de la salle lyonnaise, et par ne pas être en phase avec le discours des interprètes, comme lors du célèbre éloge de la nature (que le spectateur ne voit guère) et l’hymne à la liberté sur lesquels s’achève l’opéra. La vision minimaliste du metteur en scène rompu aux outrances du regietheater ne pouvait s’accommoder d’une version intégrale de l’ultime chef-d’œuvre de Rossini : les 4h30 de la partition sont raccourcies de plus d’une heure de musique (outre une partie des ballets et quelques répliques, plusieurs airs et duos sont amputés de leur reprise), ce qui nuit à l’équilibre de l’ensemble dans lequel le livret et la musique comptent autant que la scénographie et les divertissements chorégraphiques – ici, il faut bien l’avouer, particulièrement réussis.

La distribution réunie pour affronter cet opus redoutable s’en tire plutôt avec les honneurs. Dans le rôle-titre, Nicola Alaimo, déjà présent à Orange cet été, affronte son personnage avec fermeté : timbre bien projeté, rondeur et mordant magnifient le célèbre « Sois immobile » ; toutefois, l’amplitude vocale limitée et la relative instabilité dans le registre aigu finissent par décevoir et escamoter la dimension héroïque du personnage, entaché par une prononciation du français pas toujours irréprochable. De ce point de vue, l’Arnold de John Osborn est autrement plus vaillant, en adéquation avec les exigences terrifiantes du rôle. Beauté d’un timbre clair, diction impeccable combinée à un ambitus sans aspérité, le ténor américain vole sans difficulté la vedette à tous ses partenaires. Mathilde est incarnée par Jane Archibald, dont l’aisance vocale indéniable ne saurait faire oublier une certaine verdeur et acidité du timbre, heureusement atténuée dans la belle romance « Sombre forêt » du 2e acte ou l’air magnifique « Pour notre amour, plus d’espérance », en ouverture du 3e acte. Plus convaincante s’est révélée, dans le rôle d’Hedwige, l’épouse de Guillaume Tell, Enkelejda Shkoza, mezzo de caractère, au timbre d’airain, et si parfois, elle a tendance à faire montre de son large vibrato avec un peu trop d’excès, elle compense ces écarts belcantistes par une réelle présence scénique qu’on ne peut que saluer face à une indéniable indigence dramaturgique. En contrepoint, le timbre juvénile de Jennifer Courcier, double vocal du fils de Guillaume Tell, fait merveille par une grâce certaine conjuguée à des accents colorature parfaitement maîtrisés.

Les autres rôles masculins ne méritent que des éloges : le superbe Ruodi de Philippe Talbot, révèle d’emblée son talent dans l’air liminaire de l’œuvre, « Accours dans ma nacelle », ainsi que les trois basses irréprochables, Tomislav Lavoie, Melcthal intrépide, Jean Teitgen, dans le rôle de l’infâme Geisler, assassin du précédent : s’il n’apparaît qu’au 3e acte, sa voix caverneuse et assurée, à l’élocution limpide, impressionne jusque dans la brièveté de ses interventions, tout comme le sombre Walter Furst de Patrick Bolleire. Une mention spéciale pour le Rodolphe de Grégoire Mour : si la voix n’a pas la même épaisseur qu’Osborn, elle est techniquement irréprochable, magnifiquement projetée, et scéniquement très crédible.
Les chœurs, pour lesquels Rossini a écrit sans doute la plus belle musique (« Hyménée, ta journée fortunée ») de cet opéra en grande partie patriotique – dans le genre du Grand Opéra, le chœur incarne l’identité collective du peuple, tel qu’il sera théorisé par Mazzini dans sa Philosophie de la musique – sont de bout en bout remarquables, de présence, de clarté, d’engagement dramatique : ils ont, avec leur chef Johannes Knecht, reçu des ovations amplement méritées.

Dans la fosse, Daniele Rustioni se révèle une fois de plus un chef exceptionnel : la précision et l’équilibre des pupitres distillent une fabuleuse énergie qui jamais ne recouvre les voix ou ne s’y substitue, à une époque – depuis la Medea in Corinto de Mayr – où l’orchestre avait atteint une puissance dramatique qui en faisait un personnage et un acteur du drame à part entière.

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Compte-rendu. Lyon, Opéra de Lyon, Rossini, Guillaume Tell, 5 octobre 2019. Nicola Alaimo  (Guillaume Tell), John Osborn (Arnold), Jane Archibald (Mathilde), Jean Teitgen (Geisler), Enkelejda Shkoza (Hedwige), Jennifer Courcier (Jemmy), Tomislav Lavoie (Melcthal), Grégoire Mour (Rodolphe), Patrick Bolleire (Walter Furst), Philippe Talbot  (Ruodi), Antoine Saint-Espes (Leuthold), Kwung Soun Kim (Un chasseur), Tobias Kratzer (Mise en scène), Rainer Sellmaier (Décors et costumes), Reinhard Traub (Lumières), Demis Volpi (Chorégraphie), Bettina Bartz (Dramaturgie), Johannes Knecht (Chef des chœurs), Orchestre et chœur de l’Opéra de Lyon / Daniele Rustioni (direction).

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