CD. Rameau : Zoroastre (Christie, 2001)  …  En ces temps de cĂ©lĂ©bration Rameau (2014 marque le 250ème anniversaire de sa mort en 1764), oĂą les grands projets lyriques se font rares – aucune grande tragĂ©die lyrique du Dijonais n’est Ă l’affiche ni l’OpĂ©ra de Paris, hĂ©ritière de l’institution pour laquelle le compositeur a Ă©crit tous ses opĂ©ras (AcadĂ©mie royale de musique), ni mĂŞme Ă l’OpĂ©ra de Dijon (qui ne manque pas de moyens pour cĂ©lĂ©brer son plus grand gĂ©nie musical et patrimonial), le disque remplit opportunĂ©ment notre soif et comble d’une certaine façon notre attente.
D’autant qu’avec la renaissance du label Erato en 2013, nous voici en prĂ©sence de deux rĂ©fĂ©rences absolues dans l’histoire de l’interprĂ©tation des opĂ©ras de Rameau : Zoroastre (2001) et Hippolyte et Aricie (1996) par William Christie et ses Arts Florissants.
Zoroastre (version 1756)
En 2001, Les Arts Florissants frappent un grand coup et démontre des affinités incroyables avec la science et la passion du théâtre de Rameau.
Il ne faut Ă©couter que l’ouverture, formidable machine infernale dès le dĂ©but avec ses pointes sardoniques (annonçant le rituel noir et dĂ©moniaque de l’acte IV) pour comprendre le propos de Rameau sublimĂ© par l’enchanteur ” Bill ” : une impressionnante architecture musicale et dramatique, des tĂ©nèbres vers la lumière.
Le compositeur met en pratique dans Zoroastre, sa conception encyclopĂ©dique des passions humaines (l’opposition noire et si malĂ©fique du couple haineux et cynique Abramane et Érinice, et leurs pendants lumineux Zoroastre et AmĂ©lite), mais aussi sa propre thĂ©orie du théâtre musical : une formidable machinerie suscitant Ă©merveillement, spectaculaire voire fĂ©erie tout au moins onirisme. Le théâtre d’opĂ©ra suscite chez Rameau, une sĂ©rie de visions recomposant les phĂ©nomènes de la nature. C’est aussi fidèle Ă son gĂ©nie polymorphe une très fine approche de caractères, ajoutant au souffle de la fresque, l’acuitĂ© de situations psychologiques brĂ»lantes : ainsi, ÉrĂ©nice comme la Vittelia de La ClĂ©mence de Titus, bascule soudain de la cruautĂ© barbare Ă la compassion la plus humaine … car elle aime certes vainement Zoroastre ; mais touchĂ©e par la valeur morale du hĂ©ros, l’hĂ©roĂŻne se mĂ©tamorphose Ă son contact (dĂ©but du V).
Le fondateur des Arts Florissants comprend si bien la langue de Rameau qu’il en exprime cette magie Ă©lĂ©gante, ce raffinement si tendre : toute la part de l’humain sous le feu de la science. Et sous la fureur du sujet dĂ©moniaque, le chef des plus inspirĂ©s en distille l’essence tendre et humaine. La nervositĂ© trĂ©pidante et l’allant irrĂ©pressible des danses pointĂ©es, l’Ă©lĂ©gie qui se rĂ©vèle soudain en un rondeau d’une ineffable nostalgie, toute l’articulation organique d’une vivacitĂ© aĂ©rienne qui semble toujours inspirĂ© par le sentiment de l’innocence font la valeur de la vision d’un William Christie qui sait avec quelle justesse rĂ©vĂ©ler sous la machinerie ramĂ©lienne, sa riante facĂ©tie, une gaietĂ© souveraine qui transcende le sĂ©rieux apparent du drame originel. C’est une comprĂ©hension unique Ă ce jour de l’univers ramĂ©lien.
La mĂŞme intelligence veille ici sur la distribution, finement caractĂ©risĂ©e comme toujours avec ce respect palpitant de l’Ă©loquence linguistique, travail central de toute l’esthĂ©tique de William Christie. Anna Maria Panzarella Ă©blouit dans le rĂ´le machiavĂ©lique d’Érinice : âme implacable et rien que haineuse qui suscite les dĂ©mons et les gĂ©nies cruels contre sa rivale AmĂ©lite… VoilĂ bien le rĂ´le central de l’opĂ©ra. MalgrĂ© son accent british, Mark Padmore demeure exactement et continĂ»ment dans la vĂ©ritĂ© du rĂ´le hĂ©roĂŻque de Zoroastre, touchĂ© par la grâce de l’amour, conduit par Oromasès, vĂ©ritable instance paternelle. Mais c’est comme pour son Hippolyte et Aricie, une science incomparable de la vitalitĂ© orchestrale qui restitue Ă Rameau sa formidable imagination pour l’orchestre : un foisonnement singulier et une activitĂ© complexe que le maestro dĂ©mĂŞle avec subtilitĂ© et un naturel irrĂ©sistible. Ecoutez cette nervositĂ© incandescente des instruments et ce dès l’ouverture (dĂ©cidĂ©ment Ă tomber) et vous succomberez comme nous Ă la poĂ©tique ramĂ©lienne. Mozart, celui de La FlĂ»te y Ă puiser toute la fascination de son théâtre : les forces malĂ©fiques Ă l’oeuvre, le couple des Ă©lus pourtant Ă©prouvĂ©s, la figure juste de la grâce paternelle (Oromasès)… Tout cela est magnifiquement exprimĂ© par le plus grand ramĂ©lien Ă ce jour. Du très grand Rameau. DĂ©cidĂ©ment inĂ©galĂ©. Rameau : Zoroastre, version 1756. Enregistrement rĂ©alisĂ© en 2001. 3 cd Erato
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