CD. Rameau : Les Fêtes de Polymnie, 1745. Orfeo Orchestra, György Vashegyi (2 cd Glossa). Voici le premier cd découlant de l’année Rameau 2014. Le présent titre est d’autant plus méritoire qu’il dévoile la qualité d’une partition finalement très peu connue et qui mérite ce coup de projecteur car elle incarne le sommet de l’inspiration du Dijonais, ces années 1740 qui marquent assurément la plénitude de son génie … 1745 est une année faste pour Rameau. Aux côtés de Platée, ces Fêtes de Polymnie soulignent une inventivité sans limites. Le compositeur mêle tous les genres, renouvelle profondément le modèle officiel et circonstanciel déjà conçu et développé par Lully. En guise d’une œuvre qui fait l’apologie de Louis XV comme l’a fait Lully s’agissant de Louis XIV au siècle précédent, Rameau livre un triptyque d’une flamboyante diversité de formes et de genres poétiques. Les titres de chaque Entrée indiquent ainsi les développements musicaux libres et originaux : histoire, fable, féerie. Un prodige de renouvellement des modes dramatiques d’autant plus qu’il n’est pas uniquement question de mythologie : à ce titre l’argument et le climat de la troisième dépasse tout ce qui a été entendu jusque là tant le dernier volet développe singulièrement le thème féerique qui le porte…
Prolongement de l’année Rameau 2014, le Fêtes de Polymnie sont une redécouverte majeureDélices orchestraux et vocaux de Polymnie
Le lien de tout cela est préservé par un formidable orchestre qui palpite et bondit, s’enivre et s’alanguit, réussissant la caractérisation de chaque danse, revendiquant par une instrumentation miroitante et brillante (trompettes et cors sont tous même spécifiquement honorés et sollicités par Zimes dans le III), la souveraineté expressive de l’orchestre : la divine musique que nous sert Rameau en particulier dans cette entrée III, saisit par sa majesté comme sa suavité. Orfeo Orchestra sous la baguette fine et nerveuse de György Vashegyi décuple de saine inspiration dans La Féerie : la puissance évocatrice de l’orchestre qui en guise de fond féérique imagine la clameur de la chasse et du motif cynégétique, captive : c’est un déferlement d’invention mélodique, harmonique, rythmique, perpétuel… le tout attestant du génie de Rameau et renouvellant de fait, la tradition de l’opéra ballet de circonstance.
La distribution convainc différemment selon les tableaux. Disons que les hommes se montrent à la hauteur de la partition… Le soprano charnu d’Aurélie Leguay pose un problème d’intention poétique et de technique : le chant déborde souvent la délicatesse ramélienne : réserves soulevées par sa Mnémosyne carrément surjouée et peu intelligible (Prologue); puis dans son Argélie, carrément ampoulée, aux aigus étranglés pour le troisième volet (et une justesse bien aléatoire) ; en revanche quel aplomb et quel panache linguistique affirme Mathias Vidal, énergie voire véhémence d’un engagement toujours parfaitement articulé (voilà qui prolonge ses réussites exemplaires avec le CMBV : Atys de Piccinni, et relevant de la même année Rameau 2014 : Bacchus surtout Trajan dans la très convaincante récréation du Temple de la gloire, autre révélation de cette année de commémoration avec donc cette Polymnie flamboyante. Un prochain disque du Temple de la Gloire est également annoncé d’ici la fin 2015.
Au sommet d’une partition qui aurait pu seulement plaire et flatter – c’est à dire polir et sculpter la solennité décorative au sacrifice de l’intériorité, le baryton Thomas Dolié se distingue nettement. La seconde entrée, L’histoire, impose un étonnant brio des cuivres, la résonance des percus et le chœur à la fête, visiblement très engagés dans l’expression du retour de la gloire grâce au héros vertueux et clément (Séleucus) : à nouveau la noblesse héroïque de Thomas Dolié, campe le vainqueur sublime Séleucus ; dans sa somptueuse virilité chantante s’écoule déjà tous les souverains idéalisés par Les Lumières : roi magnanime et compréhensif, surtout père préoccupé, exemplaire… la richesse du timbre, la simplicité et le naturel de l’articulation, l’intelligibilité font ici un modèle de chant engagé, précis, d’une rare intelligence dramatique. Puis, le chanteur touche au sublime pathétique dans la solitude de Zimes au III… souci du verbe, justesse émotionnelle, simplicité et mesure du style (air : Que deviens je ?)… tant de grâce noble et raffinée fait espérer demain un superbe Thesée (Hippolyte et Aricie) ou un non moins coeur foudroyé idéal pour le rôle d’Anthénor dans Dardanus et son fameux air « Monstres affreux »…: que les directeurs n’oublient pas son formidable potentiel.
Lumineuse, tendre, d’un brio irrésistible, le soprano d’Emőke Baráth est l’autre perle vocale de la distribution (Polymnie puis une syrienne dans le Prologue et le III). La présence de Véronique Gens reste précieuse même si la voix hélas n’offre plus rien dans les aigus à peine soutenus et constamment confus.
Sa Stratonice a la distinction altière et royale (malgré ses aigus tirés, vibrés, confus) : elle fait une princesse tiraillée, dont l’amour pour son beau fils, Antiochus, fait une cougar, traîtresse au roi Séleucus. Son « Triste recours des malheureux » partage avec Phèdre d’Hippolyte et Aricie, une souveraine gravité, digne des plus grandes tragédies de Rameau.Distinguée, racée, ainsi Gens / Stratonice parvient à convaincre (n’a t elle pas l’âge et la fatigue manifeste du rôle?). Sachons donc reconnaître la finesse de sa diction toujours d’un port princier. .. qui fait mouche même dans le rôle de la mère aux vertus magiciennes d’Oriane.
Thomas Dolié, Mathias Vidal, Emőke Baráth font les délices vocaux de cette récréation attendue pour l’année Rameau. La tenue musicale, fluide, ronde, précise de l’orchestre, la qualité du chœur ajoutent à l’excellence artistique du présent enregistrement : un autre fleuron à posséder d’urgence dans le prolongement du Rameau concertant et transposé du jeune ensemble Zaïs de Benoît Babel (1 cd Parary)…. en attendant le Zaïs avec la subtile et irrésistible Sandrine Piau dans le rôle clé de Zélidie (voir notre reportage vidéo Zaïs de Rameau, recréation de novembre 2014).
CD. Rameau : Les Fêtes de Polymnie, 1745. Ballet héroïque en un Prologue et Trois actes : La Fable, L’Histoire, La Féerie. Avec Thomas Dolié, Mathias Vidal, Emoke Barath, Véronique gens, Aurélia Legay, Marta Stefanik, Domonkos Blazsó… Purcell Choir, Orfeo Orchestra. György Vashegyi, direction. Enregistrement réalisé en Hongrie, Palace des Arts, en avril 2014 (2 cd Glossa réf.: GCD 923502).
VIDEO : voir notre reportage exclusif Les Fêtes de Polymnie de Rameau, extraits musicaux de la production dirigée en Hongrie par György Vashegyi