mercredi 16 octobre 2024

CD. Compte rendu critique. Handel / Haendel : Partenope, 1730. Karina Gauvin, Philippe Jaroussky, Teresa Iervolino… Il Pomo d’Oro. Riccardo Minasi, direction.

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Handel-Haendel-partenope-erato-il-pomo-d-oro-riccardo-Minasi-gauvin-jaroussky-barath-cd-review-critique-CLIC-CLASSIQUENEWS-novembre-2015-JAROUSSKY---Haendel-Partenope---Gauvin-AinsleyCD. Compte rendu critique. Handel / Haendel : Partenope, 1730. Karina Gauvin, Philippe Jaroussky, Teresa Iervolino… Il Pomo d’Oro. Riccardo Minasi, direction (3 cd Erato). Après une première période au King’s Theatre, assez chaotique (1719-1728), conclu par le départ de la troupe de chanteurs italiens pourtant stupéfiante (dont le castrat vedette Senesino, et les prime donne Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni), tous retournant à Venise pour ne jamais plus remettre les pieds à Londres, Haendel réussit un tour de force en convaincant les nobles anglais, soutiens de l’entreprise lyrique (Royal Academy of Music) de le reconduire pour 5 années, à partir de janvier 1729 afin de lui offrir un confort de travail et le moyen de construire dans la durée, une vraie programmation d’opéra italien à Londres : après avoir en vain sensibilisé Farinelli pour participer à sa nouvelle équipe, Haendel regroupe de nouvelles personnalités chantantes, vrais tempéraments autant chanteurs qu’acteurs, mais de nouveaux solistes : Francesca Bertolli, contralto (Armindo), la soprano Anna Maria Strada del Po (Partenope), Antonio Bernacchi (castrat : Arsace), Antonio Margherita Merighi (Rosmira)… Ainsi naît le chef d’oeuvre mésestimé aujourd’hui, Partenope, créé le 24 février 1730 au King’s Theatre. L’enjeu est de taille pour le compositeur qui vient d’essuyer un premier revers avec son premier ouvrage composé pour la nouvelle équipe Lotario (créé en décembre 1729 et vite mis au placard au regard de son peu de succès).
L’enregistrement dirigé par Riccardo Minasi, directeur musical si séduisant de l’excellent ensemble Il Pomo d’Oro (un titre : la Pomme d’or, en référence au chef d’oeuvre absolu signé par Cesti pour la Cour d’Innsbruck au XVIIè) a le mérite d’exprimer ce nouveau feu bouillonnant d’un Haendel quinquagénaire, plein d’entrain, dont l’objectif est au début d’un nouveau cycle musical où il peut enfin travailler en sécurité comme salarié de la Royal Academy, la reconquête d’une forte audience amatrice d’opéra seria.
CLIC_macaron_2014Partenope malgré son titre qui fait référence à la fondation de la ville de Naples a très peu à voir avec la Fable mythologique propres aux aventures d’Ulysse de retour à Ithaque (l’une des sirènes qui souhaitait le charmer, se jette dans la mer et échoue sur le rivage de la futur Naples donnant son nom à la fière cité) : ici, le librettiste, membre de l’Arcadia romaine, académie poétique : Silvio Stampiglia dans le sillon des poètes pessimistes et satiriques tel le Vénitien Busenello (esprit libertin volontiers cynique et sensuel), transpose l’intrigue napolitaine dans un théâtre sentimental, véritable marivaudage avant l’heure où la reine Partenope est le centre des attentions de trois soupirants : Arsace, prince de Corinthe et favori en titre ; Armindo, prince de Rhodes, trop timide pour titiller la curiosité de la Souveraine bien qu’elle ne soit pas insensible à son charme tendrement viril ; enfin, Emilio (seul ténor), prince de Cumes qui est finalement humilié en étant défait lors d’une bataille expéditive. L’arrivée de Rosmira, ancienne maîtresse d’Arsace, devenu ici jeune arménien Eurimène, bouscoule les positions de cet échiquier amoureux : à son contact (entre haine vengeresse et regain amoureux), Arsace se rend compte qu’il est toujours épris de Rosmira ; les deux finiront par s’avouer leur indéfectible lien et Partenope convolera finalement avec le jeune Armindo.
Haendel regorge d’inventive inspiration pour exprimer surtout les vertiges émotionnels nés du choc entre le favori en titre (Arsace) et la passion contradictoire à son égard de son ex : Rosmira, passionnant personnage, cœur racinien à l’opéra dont chaque air, comme c’est le cas d’Arsace, accumule en les nuançant, chaque jalon sentimental à travers les 3 actes d’un drame surtout psychologique. La partition du dernier acte est la plus emblématique de cette vision intimiste des passions humaines, où s’affirme le génie de Haendel apte à concilier drame et tourments intérieurs.
Le cast réunit ici est exemplaire, d’autant que la caractérisation subtile défendue par l’ensemble de Riccardo Minasi apporte un raffinement élégantissime qui s’inscrit dans le sillon d’un William Christie, pilier de l’interprétation haendélienne : c’est dire le style et la tenue ainsi défendus. Aucun des airs, aucun des épisodes ne faiblit et chaque séquence, prise comme unité singulière, est spécifiquement conçue comme le reflet précis d’un nouveau sentiment, surgissant à un moment clé de la situation concernée.
L’enchaînement des premières séquences de l’acte III révèle ce travail superlatif réalisé par les interprètes, chanteurs et instrumentistes :
Véritable défi et sommet de contrastes où elle s’adresse à ses deux soupirants chacun suscitant un sentiment précisément contraire : tendresse pour Armindo ; nouvelle haine pour Arsace : l’air « Spera e godi, oh mio tesoro » (cd3, plage7) impose l’excellente Partenope de Karina Gauvin, aux vertiges passionnels contrastés, dont la flexibilité à passer d’un sentiment l’autre, d’autant plus qu’elle respecte l’articulation projetée du texte, confirme son éloquente incarnation d’une souveraine toujours fière et digne, vraie arbitre de la situation sentimentale.
Dans son air héroïque et de sagesse, « la speme ti consoli » (plage9), le (seul) ténor du plateau, John Mark Ainsley confirme une belle endurance vocale, combinant élégance et espérance.

Il Pomo d’oro restitue la passion palpitante du Haendel le mieux conquérant à Londres d’une nouvelle audience pour l’opéra italien

Feu haendélien des années 1730

antiquite-deesse-grece-renaissance-athena-294Parfaitement employé au regard de son caractère et de son format vocal, le contre ténor Philippe Jaroussky compose un Arsace totalement convaincant dont chaque air nuance le tempérament épris d’un amant officiel (favori de Partenope) rattrapé par son premier amour (pour Rosmira) ; chacun des tableaux qui révèlent peu à peu sa lente implosion intérieure, éclaire l’inclination naturelle de son caractère pour la tendresse : langueur murmurée, douceur extatique idéale pour sa voix peu puissante qui tient la note dans le medium riche et onctueux pour « Ch’io parta » (plage11), climat de langueur et de renoncement d’une âme atteinte magnifiquement approfondie encore dans la suite des plages 16 et 17 (« Ma quai note di mesti lamenti« ), c’est à dire le tableau du sommeil où éblouit la juste coloration instrumentale – flûte, théorbe, cordes : véritable palpitation introspective d’une grave sincérité, … notons l’exceptionnelle profondeur du geste du chef et de ses instrumentistes dans l’expression de cette mise en sommeil qui marque une pause sereine dans un tempête affective éreintante.
Lui donne la réplique, la non moins nuancée Rosmira de la mezzo italienne Teresa Iervolino, aux graves droits et affirmés qui toujours proche du texte exprime parfaitement l’agitation et les vertiges contradictoires d’une amoureuse en reconquête (plage 13 : superbe air « Quel volto mi piace« ) qui malgré son ressentiment, n’espère qu’une chose, retrouver l’amour d’Arsace. Le violon solo agile et subtile y exprime précisément l’émoi et la panique émotionnelle d’une âme tiraillée entre vengeance et tendresse pour celui qui l’a quitté mais qu’elle aime toujours : la mezzo affirme contrôle et de superbes couleurs : elle est parfaite dans le rôle travesti de Rosmira / Eurimène.
On reste moins convaincu par l’approche de la soprano Emöke Barath, certes dotée d’un joli timbre mais qui chantonne et papillonne sans consistance, sans vraiment comprendre le caractère de son personnage (douceur tendre d’Armindo, futur époux de Partenope).
Ses réserves mises à part, voilà donc ce Haendel palpitant, extatique, rêveur, exalté, passionné, vrai poète dramaturge dans un excellent coffret, défendu avec une passion raffinée par un collectif très attentif au feu haendélien, si typique au début des années 1730 à Londres. Aujourd’hui, les intégrales d’opéras sont rares : alors ne boudons pas notre plaisir. CLIC de classiquenews de novembre 2015.

 

 

 

 

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