En ce début novembre 2015, le Jeune Orchestre de l’Abbaye (JOA) a présenté les fruits de sa première session de travail pour la saison 2015/2016. Dans ce concert, les responsables de la Cité musicale, Saintes ont invité le chef Hervé Niquet, directeur musical et fondateur du Concert Spirituel. Fin pédagogue, Niquet, qui a programmé deux symphonies de compositeurs français, – son répertoire de prédilection-, a fait travailler les jeunes instrumentistes jusqu’à la dernière minute. Et, lors du concert de jeudi soir, le résultat a dépassé ses espérances.
Hervé Niquet qui, de par son parcours avec Le Concert Spirituel, défend le répertoire français avec une constance bienvenue, a programmé les symphonies de deux compositeurs français du XVIIIe et du XIXe siècle. La soirée débute avec François Joseph Gossec (1734-1829) : sa Symphonie opus VIII n°2 en fa majeur, composée en 1774. Protégé de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Gossec fait partie des pionniers de la musique symphonique suivant en cela l’exemple de Joseph Haydn (1732-1809), l’inventeur du genre; et c’est d’ailleurs Gossec qui a converti la France au genre symphonique. La Symphonie est allante, dynamique, clair foyer bouillonnant de thèmes et de rythmes dansants. Le chef, très inspiré dirige ses musiciens avec clarté et fermeté; cela ne l’empêche pas de faire preuve d’humour et d’arpenter la scène comme s’il s’agissait d’une promenade de santé. Cependant ne nous fions pas aux apparences, chef et musiciens n’oublient pas une seconde la musique ; ils cisèlent chaque note, chaque section de la partition de Gossec avec une précision millimétrée. Le public réserve aux instrumentistes félicités audiblement par le maestro à la fin de l’oeuvre, un accueil chaleureux très mérité. Pendant l’année, les sessions du JOA Jeune Orchestre de l’Abbaye ponctue un parcours d’approfondissement dans l’interprétation unique en Europe ; la pratique sur instruments anciens appliquée à la (re)découverte comme ce soir de partitions oubliées pourtant majeure, réserve à Saintes, des soirées d’accomplissements symphoniques mémorables. Voilà un volet qui renforce la forte activité de Saintes comme cité musicale, une activité qui rend légitime son intitulé.
Après une session de travail classique / romantique, le JOA Jeune Orchestre de l’Abbaye offre un concert mémorable dédié à Gossec, Hérold, Mozart
Saintes, le geste symphonique
La soirée se poursuit avec la symphonie n°2 en ré majeur (1812) de Louis Ferdinand Hérold (1791-1833). Né l’année même de la disparition de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Hérold se trouve à la croisée des chemins. Utilisant sans complexes les techniques de compositions héritées de Haydn, Gossec, Mozart ou Beethoven, entre autres, Hérold innove aussi composant une musique «apparemment simple, mais complexe et difficile à jouer» nous dit Hervé Niquet avant le concert. Sa Symphonie n°2 en ré majeur dans laquelle apparaissent des rythmes de valses est l’exemple même de cette complexité interprétative dont nous parlait le chef dans l’après midi. Cependant il dirige avec la rigueur et l’humour qui sont sa marque de fabrique, obtenant de l’orchestre des sons et des couleurs brillant de mille feux sous la voûte de l’Abbaye aux Dames. Les jeunes instrumentistes qui jouent en ce jeudi soir suivent leur chef avec une précision enflammée ; les cinq jours de travail intense qui ont précédé ce concert, ont porté leurs fruits et le résultat est, là aussi, à la hauteur des exigences et des attentes du chef.
Après une courte pause, le Jeune Orchestre de l’Abbaye et son chef d’un soir reviennent pour jouer l’ultime œuvre de la soirée : la Symphonie en mi bémol majeur KV 543 de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Toujours aussi survolté, Hervé Niquet prend cette 39ème Symphonie a bras le corps; œuvre de la maturité du compositeur salzbourgeois (elle a été composée en 1788), elle complète à merveille un programme exigeant un niveau d’excellence et une concentration constante. Le chef qui ne manque pas d’idées pour surprendre ses musiciens cesse de diriger pendant une bonne minute donnant les départs d’un simple regard; cependant si Hervé Niquet ne manque pas d’humour poussant ses musiciens dans leurs retranchements, il garde la tête froide et sa battue reste claire et précise, limpide. Ce Mozart joués près les premiers romantiques, encore classiques (Gossec), sonne étonnamment « moderne », une source viennoise qui tout en marquant le genre symphonique alors en plein essor, prélude déjà à l’avènement du sentiment et de la passion à peine masquée. Entre classicisme et premier romantisme, le choix des instruments d’époque s’affirme dans une saveur délectable qui permet de suivre ce jeu de timbres, ces effets de réponses, le contraste entre les séquences, l’équilibre dialogué des pupitres. Pour les jeunes instrumentistes en perfectionnement, les défis sont multiples et permanents ; pour le public, l’expérience est passionnante.
Le Jeune Orchestre de l’Abbaye, survolté par un chef exigeant, fin pédagogue et ardent défenseur d’un répertoire qu’il aime éperdument, donne le meilleur de lui-même pendant une soirée d’anthologie. Le public conquis, leur réserve un accueil enthousiaste. Hervé Niquet, farceur et très en forme même après une heure dix de musique, annonce un bis tiré de l’oeuvre d’Hector Berlioz; ledit bis qui ne tient qu’en un seul accord prend tout le monde de court clôturant ainsi un concert d’une qualité exceptionnelle.
Compte rendu, concert. Saintes. Abbaye aux dames, le 5 novembre 2015. Louis Ferdinand Hérold (1791-1833) : Symphonie n°2 en ré majeur. François Joseph Gossec (1734-1829) : Symphonie opus VIII n°2 en fa majeur. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : 39ème Symphonie en mi bémol majeur KV 543. Jeune Orchestre de l’Abbaye (JOA). Hervé Niquet, direction.