Aucun roi, n’a probablement autant si bien su utiliser les arts et donc la musique, comme moyen de propagande que Louis XIV. Sous son règne, tout devint une occasion de célébrer en action de grâces les victoires, les naissances, ou les guérisons royales…. Les Te Deum, sont donc des œuvres de circonstances qui doivent leur nom à la formulation latine signifiant « Dieu nous te louons ».
Te Deum de Charpentier et Lully
Splendeurs baroques à Versailles
Vincent Dumestre a réuni dans ce concert, deux Te Deum, l’un de Marc-Antoine Charpentier, H 146 qui en constitue la première partie et le LWV 55 de Lully qui en est la seconde partie.
Charpentier en a en fait composé deux, l’un pour petits effectifs et le second pour grand ensemble. C’est celui là qui nous a été proposé. S’il est de nos jours particulièrement bien connu du grand public, c’est parce qu’il a servi pendant de longues années, à partir de 1953, de musique d’ouverture à l’Eurovision.
Et c’est donc un défi, que de vouloir démontrer au public que cette œuvre n’est pas seulement une ouverture brillante et claironnante pour trompettes et timbales, mais bien une œuvre de théâtre sacrée qui pour Charpentier, comme pour Lully d’ailleurs, offre une musique à la fois joyeuse, lumineuse, profonde. Dans le Te Deum de Charpentier se succèdent de grands chœurs magnifiquement orchestrés, des récits de solistes ou de petits ensembles de formations variés (duo, trio ou quatuor). L’orchestre y est à quatre parties à l’italienne, tandis que dans celui de Lully, il est à cinq parties à la française. Et Vincent Dumestre a tenu a bien les différencier, en venant à l’entracte décrire la différence de composition de l’orchestre et du chœur au public.
Si celui de Charpentier fut composé en 1692, pour célébrer une victoire, celui de Lully le fut en 1677 pour célébrer non pas une naissance royale, mais celle du fils du compositeur, dont Louis XIV fut le parrain. Le souverain devait garder pour ce Te Deum un attachement tout au long de sa vie. C’est en le dirigeant en 1687 que Lully se blessa mortellement. Le Te Deum connu pendant de nombreuses années un immense succès puis tomba dans l’oubli. La redécouverte du son des 24 violons du Roi, permet aujourd’hui d’en restituer sa splendeur unique.
Dès les premières mesures du Te Deum de Charpentier, l’appel glorieux des trompettes et des timbales, la louange clamée par la noble et jeune voix de basse de Benoît Arnould, …. en imposent. On ne peut que constater une fois de plus, combien l’interprétation de ce Te Deum de Charpentier a changé et gagné en profondeur et en beauté, en un demi-siècle d’interprétation, retrouvant enfin toute son élégance et sa force théâtrale. Grâce aux couleurs vocales et à celles de l’orchestre, nous ressentons à fleur de peau, la sensualité et la lumière si italianisante de cette musique. L’interprétation du Poème Harmonique, du chœur polonais, Capella Cracoviensi et des solistes en est tout à la fois équilibrée et fastueuse.
Les interprètes retracent une fresque sacrée, avec une flamme dont l’incandescence consume les cœurs. La déclamation du chœur et des solistes projettent la tragédie lyrique en plein cœur de la Chapelle royale, tout en nous offrant des instants d’une extrême sensibilité. Le soprano fruité d’Amel Brahim-Djelloul, accompagné par des bois à la caresse douce et soyeuse, dans *Te ergo quaesumus* est un véritable enchantement, tandis que
le trio masculin particulièrement séduisant comme dans *Tu rex
gloriae* irradie d’un dolorisme baroque, dont les courbes s’élèvent vers les voûtes, tandis qu’Aurore Bucher par son soprano si clair fait du Miserere une source salvatrice.
Mais tout comme à Saint-Denis, en juin 2011, où le Poème Harmonique avait créé ce programme, c’est bien le Te Deum de Lully qui nous emporte, loin, très loin du quotidien. La polyphonie chante et danse l’éternelle jeunesse d’un règne à qui tout semblait sourire. Et comme dans Cadmus et Hermione, Vincent Dumestre sait y retrouver au cœur de ce Te Deum, une palette aux nuances infinies. Sa direction attentive, qui soigne les articulations, semble se jouer du temps qui passe, et donner à la musique la texture de la soie et du velours, et les mille et un reflets de l’or et des pierres les plus précieuses. L’orchestre y fait miroiter les perles des jeux d’eau et fait resplendir le soleil à l’horizon.
Prévu pour des effectifs qu’il serait aujourd’hui impossible de réunir, parfois jusqu’à 300 musiciens !, le Te Deum de Lully offre par son utilisation du Petit chœur à côté du Grand chœur et des solistes, des moments d’une enivrante beauté. Il appartient également de signaler dans la magnifique distribution la prosodie si suave et harmonieuse du haute-contre Reinoud Van Mechelem et les instants d’intenses émotions que nous a offert
la taille Jeffrey Thompson, sans compter bien évidemment le travail du splendide chœur polonais, la Capella Cracoviensis, qui possède toutes les qualités nécessaires et l’enthousiasme pour défendre ce répertoire.
Le Poème Harmonique fait régner ici une exaltation faite de noblesse et de délicatesse qui permet au Te Deum de Lully de redevenir aux yeux du public une œuvre sublime, bien loin de la réputation martiale qui lui a été prêtée par certains.
Le concert enregistré par Alpha nous donnera à l’automne prochain un CD qui restera certainement longtemps une version de référence pour ces Te Deum.
Versailles, Chapelle Royale, le 24 mars 2013. Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Te Deum LWV 55 ; Marc-Antoine Charpentier H 146 (1632 – 1687), Te Deum ; Amel Brahim-Djelloul, Dessus ; Aurore Bucher, Dessus ; Reinaud Van Mechelen, Haute-Contre ; Jeffrey Thompson, Taille ; Benoît Arnould, Basse. Chœur : Capella Cracoviensis, chef de chœur, Jan Tomasz Adamus. Orchestre du Poème Harmonique Vincent Dumestre, direction