mardi 17 septembre 2024

Venise. Le 4 février 2012. Cantates du Prix de Rome. Hillemacher: Judith. D’Ollone: Frédégonde. Hüe: Médée. Katia Velletaz, Jennifer Borghi, Marie Kalinine, Philippe Do, Alain Buet. Stéphane Jamin, p

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Les Cantates du Prix de Rome constituent l’un des axes majeurs de la recherche scientifique défendue par le Centre de musique romantique française à Venise (Palazzetto Bru Zane); c’est même un réexamen minutieux des partitions auquel nous convie le Centre. Tel n’est pas le moindre apport de son activité quotidienne que de nuancer le préjugé d’académisme, associé à torts pour nos oreilles inexpertes, aux notions de conservatisme, conformisme, tiédeur, décoratif… Grâce à une sélection minutieuse opérée dans un corpus très vaste, le Palazzetto Bru Zane fait la preuve de son discernement; plus d’un siècle après leur création, les 3 cantates proposées ce soir, lors du concert inaugural du Festival Le Salon Romantique (festival à Venise jusqu’au 28 février 2012), méritent absolument d’être écoutées; c’est même pour les deux dernières, deux nouvelles révélations, perles romantiques françaises à connaître d’urgence: Frédégonde de Max d’Ollone (1897) et Médée de Paul Hüe (1879).

Réexamen des Cantates de Rome

Leurs qualités propres vont plus loin que de simples exercices de style... elles expriment des points d’accomplissement musical et s’agissant de D’Ollone, relèvent d’un génie précoce taillé pour le drame lyrique. Les derniers festivals ont su dévoilé dans leur somptueuse parure orchestrale, quelques cantates très convaincantes: Velléda de Paul Dukas (qui malgré son raffinement instrumental ne suscita qu’un 2è Prix en 1888), surtout Didon de Charpentier (deux cantates précédemment ressuscitées lors du Festival « Du Second Empire à la Troisième République »), remarquable ouvrage d’un compositeur déjà mûr, digne élève de Massenet, parfait assimlateur de Wagner.
Le concert du 4 février est de la même tenue; d’ailleurs, les auditeurs de l’époque établirent non sans raison un parallèle entre la réussite de Didon de Charpentier (Prix de Rome 1887) et… Frédégonde de Max D’Ollone (donc créée 10 années plus tard en 1897), lui aussi élève de Massenet, lui aussi très original connaisseur de … Wagner; et lui aussi, lauréat d’un Premier Grand Prix.

En 1897, après plusieurs tentatives précédentes, hélas infructueuses, certaines pour des motifs en rien musicaux et plutôt trivialement politiques, le jeune « Max », âgé seulement de 22 ans, rafle enfin le premier prix avec une partition ici présentée dans sa forme première, c’est à dire pour voix et piano.

D’emblée l’intelligence des options musicales, la construction dramatique qui va crescendo dans ses formes successives (scène d’exposition, grande imprécation de Frédégonde implorant en amoureuse blessée le roi Chilpéric, puis duo, enfin trio final) démontre indiscutablement un génie de l’écriture lyrique qui synthétise et la situation verdienne et le souffle de Strauss (c’est dire combien nous attendons la version pour orchestre que le Palazzetto s’ingénie dans quelques semaines à enregistrer pour un album à paraître probablement en novembre 2012).

La très fine caractérisation des personnages, en particulier féminins (deux sopranos amples et dramatiques), laisse un vaste champs d’expérimentation expressive aux chanteurs invités par le Palazzetto; qu’il s’agisse de la maîtresse écartée, humiliée puis conquérante et finalement victorieuse: Frédégonde (irrésistible feu articulé et investi de la mezzo italo-américaine Jennifer Borghi); qu’il s’agisse de sa rivale Galeswinthe, princesse Goth, mais épouse en titre, à la fois hautaine et fière, drapée dans une froideur apparente qui reste aveugle à la menace dont elle sera victime (très subtile et tendre Katia Velletaz), le talent de D’Ollone éclate immédiatement: les deux figures féminines bénéficient d’un même traitement raffiné et juste; D’Ollone, malgré leur affrontement et la victoire finale (terrifiante) de Frédégonde, brosse deux portraits idéalement touchants, d’une sincérité très rare au théâtre. La précision et la justesse prosodique permettent aussi de dire le texte sans l’emphase déformatrice: plus les chanteurs articulent, plus le naturel expressif s’impose, soulignant la force des situations et le relief des caractères qui leur sont soumis. C’est un style français qui sait trouver sa singularité au moment où triomphe le wagnérisme et s’affirme aussi le vérisme italien.

A leurs côtés, Philippe Do dans le rôle de Chilpéric, tout autant impliqué, se tire de la fadeur d’un personnage passif, tiraillé, se faufilant entre deux femmes fortes et d’une certaine manière monstrueuses, l’une et l’autre. Le style de Max D’Ollone éblouit par sa tension permanente, son expressivité accessible, en rien compassée ni prévisible; le jeune créateur, amateur de voix et de chant subtil depuis son enfance, signe là une oeuvre majeure qui préfigure les grandes partitions à venir: Jean (1904), L’Etrangère (1911), Le Retour (1912), Les Amants de Rimini (1915) ou La Samaritaine (1930)… C’est dire tout le travail de préparation et d’interprétation qui reste encore à réaliser pour mieux connaître le théâtre de D’Ollone. Comme à son habitude, l’équipe du Palazzetto amorce un nouveau sillon de recherche; au regard des premiers apports, on ne demande qu’à suivre le cycle de trouvailles qui se profilent.


De Frédégonde à Médée

Même enthousiasme pour la cantate ultime présentée à la Scuola Grande San Giovanni Evangelista: Médée de Georges Hüe, inconnu malheureux lui aussi, oublié des livres et dictionnaires lyriques (et ne disons rien du grand public), dont la cantate, autre Premier Prix antérieur (1879), s’impose de la même manière: fulgurante par ses accents vocaux, admirablement construite elle aussi; fidèle à son titre, la partition offre dès la première scène, un rôle halluciné de folle meurtrière défaite, Médée, qui vient de tuer ses enfants; elle prend juste conscience de ses crimes, puis sombre dans une haine maléfique et vénéneuse contre la nouvelle conquête de Jason: Créüse. Son invocation aux forces maléfiques est à elle seule une scène exemplaire dans sa cadence prosodique, sa progression expressive, la palette des couleurs émotionnelles requises… C’est un air qui fait la synthèse des grandes imprécatrices baroques et qui devrait être imposé aux Concours de chant français et internationaux, dans les conservatoires aussi tant ses défis interprétatifs pourraient s’avérer formateurs pour les jeunes cantatrices. Comme dans Frédégonde, voici deux nouveaux portraits de femmes, musicalement accomplis, sans schématisme ni facilité; l’effet des contrastes y est d’ailleurs saisissant: à la solitude maléfique de Médée répond l’extase à deux du couple sensuel Créüse/Jason; et dans leur duo nocturne, Hüe nourrit à nouveau la tension entre les deux amants: à l’ivresse du désir d’un Jason éperdu répond ici l’action du poison fatal que Médée a instillé dans le coeur de sa rivale: Créüse est peu à peu envahie par une angoisse irrépressible et sombre dans la mort sous le feu du poison qui la ronge. La maîtrise musicale du jeune Hüe se distingue très nettement. A la différence de Frédégonde, le rôle masculin est autant soigné que les personnages féminins: c’est un trio de tempéraments et d’individualités musicalement superbes et passionnantes.
Saluons la justesse du plateau vocal: Marie Kalinine, ailleurs Carmen reconnue, sait moirer la sombre couleur de Medée, d’une lave ténébreuse ; Katia Velletaz qui réussit au cours de la soirée une performance inouïe en osant chanter dans les trois cantates, trouve les accents justes d’une Créüse ardente et tendre, sincère et là aussi très juste humainement; on comprend que Jason (très convaincant Alain Buet) s’enflamme aux côtés d’une princesse aussi touchante.

Ces deux cantates, distantes entre elles de 18 ans dévoilent la diversité des manières dans un canevas assez proche pour trois voix; c’est aussi un plan novateur: deux voix de femmes, une voix d’homme (quand évidemment l’opéra italien a imposé depuis ses débuts l’équation quasi obligée de la soprano, du ténor et du baryton). Ces cantates sont de véritables opéras miniatures; du genre lyrique, elles n’ont ni les longueurs inévitables ni les distorsions dramatiques: leur architecture et le traitement musical font toute leur valeur; autour de 30 mn, – et même pas tout à fait 20 minutes pour la plus convaincante: Frédégonde-, leur format est idéal à notre époque où le court, fulgurant, expressif reste toujours très recherché (à quand un programme de cantates du Prix de Rome dans nos salles parisiennes? Le public serait ébloui comme nous par l’intensité et la qualité des partitions ainsi dévoilées); qui plus est, avec de tels tempéraments vocaux, et bientôt pour partie, une version orchestrale restituée(Frédégonde), gageons que le Palazzetto tient là les nouvelles redécouvertes majeures de son oeuvre de défrichement (aux côtés des Velléda de Dukas, Didon de Charpentier, déjà citées, et dans un autre genre, la Symphonie Romantique de Joncières…).

La première cantate Judith de Hillemacher, pourtant Prix de Rome en 1876, ne propose pas la concision ni l’équilibre dramatique des oeuvres révélatrices de D’Ollone et de Hüe. Si la rencontre décisive entre Holopherne et la jeune Judith est d’abord réussie, les duos et trios qui suivent, manquent de séduction mélodique et le solo d’Holopherne est trop long; la tension faiblit malgré une montée en puissance très réussie quand les deux femmes Judith, encore hésitante, et sa suivante Zillah, véritable aiguillon homicide, enivrent le Roi (trio: « Verse nourrice le vin sombre », morceau le plus entraînant dont on comprend qu’il ait pu convaincre le jury d’alors pour le Premier Prix), pour mieux le soumettre et… le décapiter.


C’est un programme captivant, intense émotionnellement, en tout point fidèle à l’objet premier du Centre
: révéler les écritures méconnues pourtant abouties. Assurant un accompagnement tout en finesse, le pianiste Stéphane Jamin, chef de chant à l’Opéra de Paris, se montre lui aussi caressant aux instants d’extase; rageur et sombre dans les prières et imprécations souterraines, voire enjoué et allusif dans les entrées purement instrumentales (comme l’introduction symphonique et la marche qui introduit le monologue du Roi Holopherne dans Judith). Saluons en outre la richesse poétique des oeuvres sélectionnées: preuve que les Cantates pour le Prix de Rome regorgent de diversité formelle et poétique, propice au dépassement des jeunes créateurs: avec Judith, Frédégonde puis Médée, nous tenons les principales sources littéraires inspirant de facto les compositeurs soumis à l’épreuve académique: l’histoire biblique, l’histoire médiévale, la mythologie. En somme, des composantes favorables à de prochaines révélations, souhaitons-le, de la même hauteur artistique, du même engagement interprétatif.

Prochain concert au Palazzetto dans le cadre du festival Le Salon Romantique (du 4 au 28 février): Trésors de l’Opéra-Comique, le mercredi 8 février 2012 au Palazzetto Bru Zane à 20h. Airs de Gounod (qui donna des conseils utiles au jeune D’Ollone), Massé, Joncières (dont le Centre assure en pionnier une oeuvre de recherche dédiée dont les premiers apports voient le aujourd’hui le jour). Toutes les infos sur les concerts de février à Venise, sur le site du festival Le Salon Romantique.


Réservez vos concerts !

Tous les
programmes, les lieux et les offres spéciales abonnements (package
avantageux comprenant 3, 6, 12 concerts au choix sur l’ensemble de la
saison) sur le site du Palazzetto Bru Zane à Venise.
Informations et réservations au + 39 0415211005; par e-mail:
[email protected]. Par fax: + 39 0415242049 (noter le concert, le
nombre de places, la catégorie, le numéro de votre carte de crédit, sa
date d’expiration et le code CVV : 3 derniers chiffres au dos de votre
carte).

Venise. Scuola Grande di San Giovanni Evangelista, le 4 février 2012. Cantates du Prix de Rome. Hillemacher: Judith. Max D’Ollone: Frédégonde. Georges Hüe: Médée. Katia Velletaz, Jenifer Borghi, Marie Kalinine, Philippe Do, Alain Buet. Stéphane Jamin, piano.

Consultez toute la saison 2011-2012 du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française
à Venise. Fidèle à son offre annuelle, le Centre propose cette saison 3 cycles vénitiens dans des lieux toujours aussi saisissants par leur esthétisme comme leur acoustique: après le festival « Virtuosités », du 8 octobre au 19 novembre 2011, ne manquez pas le festival « Le Salon romantique » (du 4 au 28 février 2012); puis le festival dédié à la figure du compositeur élève d’Ambroise
Thomas, Théodore Dubois (1837-1924) et l’art officiel :
Du 14
avril au 27 mai 2012

Illustrations: Jennifer Borghi, époustouflante Frédégonde (DR), Marie Kalinine: convaincante Médée (DR); Katia Velletaz chante dans les trois cantates: Judith, Galeswinthe et Créüse (DR)

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