Tours. Opéra. La Voix humaine, L’Heure espagnole, les 10, 12, 14 avril 2015. Après nous avoir régaler avec une éblouissante nouvelle production du Trittico de Puccini (1918) en mars 2015 (voir notre reportage Il Trittico de Puccini à l’Opéra de Tours), le Grand Théâtre tourangeau enchaîne les cycles de drames en un acte avec ce qui pourrait être l’équivalent français du théâtre Puccinien : deux actions lyriques en un acte, l’une tragique et désespérée : La voix humaine de Poulenc ; la seconde, espiègle, spirituelle, facétieuse donc plus légère : L’Heure Espagnole de Ravel. Les deux « comédies » excellent à articuler un texte savoureux qui exige des acteurs certes, surtout des interprètes totalement engagés dans l’expressivité intelligible.
Poulenc, 1938
Tragédie lyrique certes, surtout drame intime. Celui d’une femme qui rompt avec son amant qu’elle aime encore. Réaliste et amère, tendre et désespéré, le mélodrame pour une seule voix et orchestre, La Voix Humaine, d’après le texte de Cocteau (écrit pour Berthe Bovy en 1938), dépeint toutes les facettes de la déraison ampoureuse. « Elle » est une femme au bord de l’hystérie, trahie, abandonnée, humiliée… qui cherche en vain des motifs de plainte puis de renoncement : au téléphone, elle exprime toute sa profonde et impuissante solitude ; l’amour bafoué et rompu suscite la folie comme la déraison ; rêve ou cauchemar éveillé, ou soliloque autosacrificiel, la scène se borne uniquement au ressentiment de l’héroïne. C’est une parfaite, froide et minutieuse cartographie de la rupture, vécue du côté de la victime.
Troubles, contradictions, confusion d’une âme dérangée, le drame brosse le portrait d’une femme dépressive et fragile, angoissée, atteinte et… démunie.
Soit 40 minutes de passion a voce sola, ciselée, sur le fil d’un téléphone désespéremment silencieux. Poulenc compose effectivement une tragédie lyrique en un acte, créé à l’Opéra-Comique, le 6 février 1959. Poulenc parvient à varier son récitatif, produisant une prosodie nettement influencée par le Pelléas de Debussy. C’est la soprano Denise Duval, muse du compositeur qui incarne sur la scène l’amoureuse désespérée, inégalable diseuse au verbe palpitant et articulé.
Ravel, 1911
Egalement en un acte, la comédie musicale de Ravel est créée à l’Opéra-Comique en mai 1911. A Tolède au XVIIIè, L’épouse de l’horloger Torquemada, Concepcion, s’ennuie ferme et se désespère que son soupirant le poète Gonzalve lui récite des vers… Heureusement survient celui que l’on attendait pas, Ramiro le muletier qui entreprend la belle… avec succès.
De quiproquos en rebondissements, Concepcion cache ses soupirants et amant indésirables dans les horloges du magasin, et trop naïf pour ne pas être cocu, Torquemada demande à Ramiro de revenir ainsi chaque matin…
L’Heure espagnole mêle raffinement et burlesque, élégance et équivoque : le jeu de la langue égale l’extrême virtuosité de l’instrumentation. La vraie mécanique n’est pas sur scène mais à l’orchestre, juste, varié, hispanisant mais pas trop. Les dialogues de Franc-Nohain sont d’une finesse à propos, véritables complices de la musique, riche et facétieuse. Nouvelle production à Tours et première mise en scène de Catherine Dune, artiste fidèle de la scène tourangelle. Sous son aspect bouffon parfois, la comédie de Ravel ose mettre en scène le désir sexuel féminin, comme un moyen de libération et d’émancipation : en trouvant Ramiro, Concepcion se libère de son mauvais mariage avec Torquemada l’horloger.
Opéra de Tours
LA VOIX HUMAINE
FRANCIS POULENC
L’HEURE ESPAGNOLE
MAURICE RAVEL
Catherine Dune, mise en scène
Jean-Yves Ossonce, direction
Vendredi 10 avril 2015 – 20h
Dimanche 12 avril 2015 – 15h
Mardi 14 avril 2015 – 20h
Conférence, samedi 28 mars 2015, 14h30
Grand Théâtre, Salle Jean Vilar
entrée gratuite
distributions
LA VOIX HUMAINE
Tragédie lyrique en un acte
Livret de Jean Cocteau
Création le 6 février 1959 à Paris
Editions Ricordi
Direction : Jean-Yves Ossonce
Mise en scène : Catherine Dune
Décors : Elsa Ejchenrand *
Costumes : Elisabeth de Sauverzac *
Lumières : Marc Delamézière
Elle : Anne-Sophie Duprels *
L’HEURE ESPAGNOLE
Comédie musicale en un acte
Livret de Franc-Nohain, d’après sa pièce
Création le 19 mai 1911 à Paris
Editions Durand
Direction : Jean-Yves Ossonce
Mise en scène : Catherine Dune
Décors : Elsa Ejchenrand *
Costumes : Elisabeth de Sauverzac *
Lumières : Marc Delamézière
Conception : Aude Extremo
Gonzalvo : Florian Laconi
Torquemada : Antoine Normand
Ramiro : Alexandre Duhamel
Don Inigo Gomez : Didier Henry