Piano chorégraphique
Ainsi voyez ce superbe concert à Tourcoing, dans l’auditorium du Conservatoire qui jouxte le musée d’art contemporain (en vérité le musée des Beaux-Arts, qui sous la volonté audacieuse et originale de son conservateur, sait mettre en avant son fonds moderne et contemporain, l’un des plus riches en province).
Même exigence de modernité, même souci de frénésie rythmique dans un programme qui nous dévoile sous la baguette de Damien Top, le Concerto pour piano d’Albert Roussel. Roussel, c’est la concision d’une écriture sensible et harmonique, à l’orchestration fine et jamais décorative ni complaisante. L’allure sans affectation, toute en énergie triomphale, du Concerto souligne les vertus avant-gardiste d’un Roussel qui comme Sibelius en Finlande, fait du geste musical, un acte d’expérimentation et de dépassement. Génie de la forme, génie de la recherche vivante et palpitante.
Le chef sait électriser et obtenir une sonorité fusionnée de l’Orchestre Philharmonique Mihail Jora de Bacau (Roumanie, fondé en 1956). D’autant que le pianiste convié pour cette célébration d’un musicien fils de Tourcoing (le grand père d’Albert Roussel, fut maire de la ville et sa maison est devenue l’actuel musée des Beaux-Arts), n’est autre que Alain Raës qui a enregistré l’intégrale de la musique pour piano et de musique de chambre de Roussel.
Sa violence agressive, aux thèmes martelés dans l’allegro molto se développe avec une audace et une légèreté chorégraphique. L’Adagio émeut et saisit par son intensité grave voire funèbre mais si pudique et d’une mesure « grecque »: la couleur des cordes (unisson violoncelles/contrebasses) impose un climat suspendu, hypnotique, d’une rare fulgurance. Alain Raës montre une réelle affinité dans l’allegro con spirito final dont la pulsation exige une virtuosité embrasée et précise de la part du soliste.
Complément à ce concert de clôture, les Suites symphoniques 1 et 2 opus 18, extraites de l’opéra-ballet indien Pâdmavâti (1918) concluent le programme avec une allure captivante. Danses guerrières et funèbres, rythmes et rituels à Kâli et à Dourga, la trame instrumentale de Roussel époustoufle par sa volonté énergique, sa transe croissante, et là encore la finesse de son orchestration. Damien Top qui a signé la transcription pour l’effectif requis, sait de bout en bout, cultiver la tension, entre envoûtement et luxuriance. Le choix de ces deux Suites s’inscrit nettement dans la thématique générique du Festival 2009 qui a marqué l’inspiration exotique de Roussel, en particulier le centenaire du Voyage de Roussel en Inde en 1909.
Défricheur, veillant à l’équilibre et à la diversité du festival, Damien Top dirigeait en ouverture du concert, La Forêt de Brama, opéra d’André-Frédéric Eler (1764-1821), créateur romantique lui aussi marqué par un exotisme enchanteur, écouté ici en première mondiale.
Les auteurs modernes et contemporains n’étaient pas omis non plus, puisque aux côtés des oeuvres de Roussel étaient aussi interprétées les oeuvres de Liviu Danceanu (5 of Millenium) et Rupestre, mouvement pour orchestre de Suzanne Joly (née en 1914) qui d’ailleurs était présente parmi l’assistance.
Tourcoing. Auditorium du Conservatoire, samedi 7 novembre 2009. Festival international Albert Roussel. Albert Roussel: Concerto pour piano (Alain Raës, piano). Pâdmavâti (Suites 1 et 2). Orchestre Philharmonique Mihail Jora. Damien Top, direction
Illustration: Damien Top et l’Orchestre Philharmonique Mihail Jora © Damien Top 2009