La démonstration est faite : l’Orchestre du Capitole de Toulouse et son chef sont capables d’offrir un très beau Mozart. Le plus grand moment restera un concerto de piano n° 23 lumineux grâce à la complicité du si talentueux Till Fellner.
Concert d’abonnement très attendu, avec beaucoup plus de demandes que de possibilités de places, ce concert tout Mozart de Tugan Sokhiev a été à la hauteur des attentes d’un public conquis ! Véritable gageure entre deux représentation de Prokofiev et ses Fiançailles au couvent, mais l’audace a payé car le jeune maestro intrépide avait des atouts au bout de sa baguette. D’abord un Orchestre du Capitole en petit effectif, concentré et alerte, et surtout un jeune pianiste autrichien des plus prometteurs. Mais revenons sur cet orchestre qui à la mesure des plus grands sait être sur tous les fronts avec éclat, de la fosse à l’estrade. Rendons hommage à ces musiciens qui donnent tant et si bien. Mozart a paru confisqué par certains « baroqueux » et il est appréciable que des chefs comme René Jacob ou Nicolaus Harnoncourt ont « nettoyé » nos oreilles. On ne peut réécouter les versions de Karajan, Boehm et même Walter sans sourire jaune parfois et les grands orchestres symphoniques ne jouent plus le divin Mozart ainsi. Comment un orchestre symphonique aborde t-il Mozart aujourd’hui , d’ailleurs pas souvent programmé ? Force est de constater ce soir que Mozart est honoré par l’Orchestre du Capitole et Tugan Sokhiev. Certains instrumentistes à la manière de François Laurent à la flûte utilisent d’autres instruments. Les cordes renoncent presque à tout vibrato. Le chef demande une précision rythmique impeccable qui dynamise le propos.
Des Turqueries savoureuses
Dès l’ouverture de l’Enlèvement au Sérail la délicatesse s’oppose à la robustesse et la « quasi pagaille » des turqueries. On peut rêver Mozart plus soigné mais pas plus vivant. Les percussions s‘en donnent à cœur joie et sans compter, les nuances si importantes dans Mozart avec ses fameuses oppositions forte-piano sont vivement réalisées. Vif-Argent et débordante, cette ouverture stimule comme il se doit.
Till Fellner en mozartien poétique
Car le morceau le plus attendu est ce merveilleux concerto pour piano n°23. Sinon le plus beau au moins l’un des plus équilibré et dynamisant. Datant d’une période heureuse de la vie de Mozart, peu de temps après les Noces de Figaro, la théâtralité est souvent présente dans ce concerto admirable. Dès l’introduction d’une beauté et d’une élégance rare, on sait que l’interpréttion va être une réussite si le pianiste répond sur le même ton. Et c’est là que le prodige s’engage car Till Fellner non seulement répond avec les mêmes qualités mais en plus rajoute une touche personnelle, héritage d’un beau lignage mozartien. Parmi ses professeurs il a pu compter sur rien moins qu’Alfred Brendel ! Touché tout en finesse et force à la fois, délicatesse des phrasés, encorbellements sculptés dans une matière pianistique des plus rares, subjuguent. Le rythme est toujours relancé avec souplesse, le dialogue avec l’orchestre est savoureux (ah les bois de l’Orchestre du Capitole !). La direction de Tugan Sokhiev sait être gracieuse sans mièvrerie avec une belle force appuyée sur le rythme et les nuances. Le moment de pure grâce attendu dans le mouvement lent déroule un tapis volant pour le piano. Till Fellner phrase, adouci le toucher, écoute et chante avec l’orchestre, la flûte sans vibrato et le basson tout en rondeur en sont les complices les plus amoureux. Cette mélancolie si rêveuse de la tonalité si rare de fa dièse mineur est magnifiée par des artistes en parfaite communion. Tant de délicatesse laisse sans voix. Le Final en forme de rondo joyeux finit en exubérance un moment de partage musical jubilatoire. Le public exulte et fait un triomphe à un pianiste mozartien de grande élégance. De nombreux rappels le convainquent d’offrir un bis qui prolonge le voyage en délicate compagnie. Le « Lac de Walenstadt » extrait de la première des « Années de Pèlerinage » de Franz Liszt permet de sentir la main gauche aquatique laisser miroiter les paysages en mouvement de la main droite. Cette interprétation subtile avec des nuances délicates prolonge l’atmosphère de bonheur rêveur du deuxième mouvement du concerto. Jusqu’à une dernière note, goutte d’eau facétieuse, qui fait sourire d’aise le public. Un pianiste à connaître qui semble habité par la plus fine musicalité.
Une Jupiter musclée
En deuxième partie de programme l’interprétation de la fameuse symphonie Jupiter ne peut laisser indifférente. L’audace du jeune Tugan Sokhiev est un peu mise en péril en début par des cordes manquant de précision et des bois peinant à trouver les nuances exactes. Mais rapidement le manque de « propreté » se fait oublier au profit d’une belle mise en place rythmique. Quand on sait l’importance que Mozart apportait au Tempo, qualité musicale première et indispensable selon lui, on peut dire que Tugan Sokhiev est un grand mozartien. Sa battue énergique est sans brutalité. Elle donne beaucoup de vigueur à cette symphonie de grande dimension. Disons que cette interprétation a paru musclée mais sans excès, comme débarrassée des perruques poudrées et de toute mignardise comme de toute grandiloquence. La classe et l’élégance sont celles de la pleine santé d’une nature généreuse. Les nuances sont creusées fermement et les couleurs parfois très vives sont si spirituelles qu’elles sont celles de la vie même. Et bien souvent les contre-chants, les phrases secondaires ou les petits rythmes sont très agréablement mis en valeur permettant de déguster une composition si habile en des répétitions vertigineuses qui sont ici pleines de surprises. L‘andante permet à de beaux phrasés de nous envelopper en déployant une séduction de timbres envoûtante, avec toujours un tempo d’un naturel confondant. Le menuet a toute l’élégance attendue avec une belle vigueur. Le dernier mouvement avec ses entrées fuguées et son exposition incessante du thème a tous les pupitres est un grand moment pour Tugan Sokhiev qui avec sa science de la mise en valeur du rythme et des divers plans construit un monument noble et audacieux aux proportions toutes classiques. La démonstration est faite l’Orchestre du Capitole de Toulouse et son chef, sont capables d’offrir un très beau Mozart même si plus de travail aurait pu gommer quelques scories ça et là. Mais n’oublions pas que la veille et le lendemain les mêmes artistes interprètent une partition de Prokofiev exigeant des qualités bien différentes. Le plus grand moment restera un concerto de piano lumineux grâce à la complicité du si talentueux Till Fellner. Ce concert enregistré par France-Musique sera diffusé sur les ondes.
Toulouse. Halle aux Grains. Le 15 janvier 2011. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : L’Enlèvement au Sérail, Ouverture, K.384 ; Concerto pour piano n°23, en la majeur, K.488 ; Symphonie n°41 en ut majeur, K.551 « Jupiter ». Till Fellner, piano ; Orchestre National du Capitole ; Direction musicale : Tugan Sokhiev.
Crédit photo : Till Fellner © P.Mathis