samedi 20 avril 2024

Oullins (69), Théâtre de la Renaissance, mercredi 12 janvier 2011. Schubert : Les Conjurées. Solistes de Lyon, dir.Bernard Tétu, avec Philippe Cassard, piano. Mise en scène: Jean Lacornerie

A lire aussi
Croisade des dames, singspiel viennois, comédie anti-machiste, théâtre musical, ces Conjurées permettent en format réduit de mesurer les dons schubertiens dans le domaine de l’opéra comique. La version light des Solistes de Lyon est subtilement conduite par Bernard Tétu et Philippe Cassard, et jouée-chantée avec esprit.

Schubert au jeu du lyrisme

On l’avait dit, écrit, annoncé : il fallait attendre ces Conjurées comme un joli moment de pèlerinage en terra schubertiana quasi incognita. Même si la théâtralisation gestuelle et musicale en est minimaliste, avec un piano « contenant » à lui tout seul un ensemble instrumental (Schubert avait même prévu trois trombones pour l’un des airs !), on peut dire que le pari de cette redécouverte a été tenu. Il fallait évidemment, dans ces conditions « réductrices », un accord autre que de circonstance et d’accommodement entre chef et pianiste. C’est là que d’emblée puis continument on aura éprouvé une satisfaction d’essence schubertienne – mais si !, elle est particulière, et non identique à la mozartienne ou à la beethovénienne… -, car ce « couple musicien » dirigeant les couples chanteuse-chanteur fait éprouver depuis la pénombre d’avant-scène émotion et vivacité pour le singspiel. Un seul mouvement (l’acte unique), sans doute un peu d’écho mozartien – humour et passion –, probablement en antithèse (subconsciente ?) un soupçon de parodie pour les sévérités éthiques de Fidelio…Il n’y faut évidemment pas de surcharge comique, pour rendre le spectateur capable de « décrocher » immédiatement des situations prétendument médiévales vers la beauté musicale intrinsèque. S’il est vrai que l’approfondissement des personnages ne s’accomplit guère – en tout cas comme chez Mozart -, il ne saurait échapper que Schubert se prend et nous prend au jeu du lyrisme amoureux et laisse s’épancher – comme pour du lied en duo – de bien troublants accents (ceux d’Isella et Udolin, en domaine plus aérien ; ceux d’Hélène et Astolf, dans la tendresse des « retrouvailles difficiles »). Certains ensembles méritent, eux aussi, d’évoquer l’insurpassable modèle mozartien. Et on ne saurait négliger l’hypothèse de lecture en filigrane que nous suggérions ici même : cette année 1823 est pour Schubert celle de la révélation de la maladie (d’amour) mortifère, et en arrière-plan de la donnée aristophanienne plaisante, ne subsiste-t-il pas un trouble lié au pouvoir des femmes sur les hommes trop confiants en leur force et leur bon droit ?

Une lumière ombrée de gravité

On sent bien que Bernard Tétu et Philippe Cassard ont travaillé de concert la matière musicale et dramaturgique en conjointe redécouverte et respect d’adaptation, sans blocage intimidant. Ils donnent à l’ensemble forcément un peu disparate et hésitant – parce que réduit à un principe de tréteaux ou de théâtre de poche – une lumière de sourire qui sait parfois s’ombrer de gravité, et qui se surimpressionne à la vivacité d’ensemble. En amont d’une transposition pianistique de Carl Reinecke – qui tire vers une dramaturgie du clavier sans transparence-,Philippe Cassard a remplacé l’ouverture instrumentale par un allegro de sonate, pris dans la D.850 si vouée au rythme, ressort de la progression et de la complexité de l’avancée. « Prélude » pour une entente musicienne qui va se révéler parfaite, cela ouvre la dimension de vérité à des Conjurées qui, au plan des couples chanteurs, s’avèrent très convaincants : Ingrid Perruche et Philippe Cantor, Valério Contaldo et Marie-Hélène Ruscher, la camériste (Anne Emmanuelle Davy) et le page (Svetli Chaumien) y ajoutant une grâce conjuguée digne de personnages shakespeariens dans La Nuit des Rois. En théâtre parlé, ç’aura été sans doute une bonne idée de confier un rôle de récitante fort engagée à la très expérimentée Elisabeth Maccoco.

Schubertiade, vraiment ?

De même fallait-il en projection d’écran installer une traduction simultanée du chant, mais ne peut-on songer à retirer de cette aide à la compréhension un sous-(et sur !)-lignement mauve qui multiplie des clins d’œil contraires au sain principe du « glissez mortels n’appuyez pas » ? Ce qui mène à évaluer la mise en mouvement opérée dans des conditions satisfaisantes par Jean Lacornerie, qui devrait cependant veiller à ce qu’un désir de « schubertiade » par lui justement invoqué ne dérive par moments du côté de Visiteurs revisités, ou qu’une désirable Lubitsch Touch ne s’égare vers le Cabaret Berlinois, voire le Café de la Gare. Le travail de mise en scène, efficace et prompt, ne prend guère en compte les arrière-plans « idéologiques » : d’Aristophane au début XIXe via le Moyen-Age, d’Athènes en guerre du Péloponnèse à Vienne du système Metternich, le jeu de cache-(Sexe ?) serait certes difficile à mettre en évidence. Mais que la conduite scénique ne dispense pas non plus d’échappées vers une poétique schubertienne, ici réfugiée dans la seule musicalité manifestée par l’écoute (chef, pianiste, chanteurs), souligne un manque des plus fâcheux. Il ne serait sans doute ni inutile ni impossible que le collectif se remette en question dans ce domaine : histoire de réfléchir et, pourquoi pas, d’infléchir pour les reprises d’un spectacle dont on souhaite qu’il continue à « tourner » de la plus jubilatoire mais subtile façon.

Oullins (69). Théâtre de la Renaissance, le 12 janvier 2011. Franz Schubert (1797-1828), Les Conjurées ou La croisade des dames. Solistes de Lyon, dir. Bernard Tétu, avec Philippe Cassard, piano.


Agenda

Les Conjurés ou La Croisade des Dames, opéra de chambre de Franz Schubert. Bernard Tétu, direction. Le 22 février 2011 à Oyonnax (01), Théâtre à 20h30. Le 25 mars 2011 à Thonon (73), Maison des arts à 20h30. Toutes les infos sur le site des Solistes de Lyon, Bernard Tétu.

Illustrations: © V.Dargent 2010

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE CD événement. JULIUS ASAL, piano : Scriabine / D Scarlatti (1 cd DG Deutsche Grammophon)

Voilà assurément un programme fascinant en ce qu’il est aussi bien composé qu’interprété. S’y distingue le tempérament intérieur, d’une...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img