CD. Gouvy : Cantate, ouvertures, Trio, Quatuors (3 cd Palazzetto) … Le compositeur ici ressuscité est génial, que sa double identité française et prussienne, à une époque des nationalismes exacerbés et affrontés, a laissé dans l’ombre et l’oubli. Or immense dramaturge, d’une sensibilité instrumentale exceptionnelle, Gouvy incarne comme Théodore Dubois (académicien classicisant), le courant mesuré, élégant, classique à l’époque du wagnérisme global. Gouvy aime à développer ses affinités propres avec les classiques viennois, surtout les premiers romantiques tels Mendelsohnn et aussi Schumann, (sans omettre Brahms) car son classicisme n’empêche pas une expressivité ardente d’une irrésistible séduction. C’est un auteur fait pour le théâtre laissant oratorios, cantates, scènes dramatiques mais aussi de la musique de chambre, et de la musique sacrée (superbe Requiem ; pas moins de 6 symphonies et 11 Quatuors à cordes !). L’heure de Théodore Gouvy aurait-elle sonné ? C’est ce que pourrait indiquer la nouvelle parution éditée par le Palazzetto Bru Zane.
Théodore Gouvy (1819-1898)
Symphonisme et chambrisme élégantissimes
Nous ne parlerons ici que de ce qui nous a réellement transportés : les 3 ouvertures dont l’interprétation est tout point d’un fini convaincant (au sommaire du cd2). Toute l’inspiration d’un Gouvy, ardent symphoniste s’y exprime tel un triptyque de première importance.
Le Giaour (1878) a des accents d’une élégance presque orientalisante (solo de hautbois magnifiquement investi) et le chef, gouviste de la première heure, Jacques Mercier semble avoir compris ce que la musique peut avoir de convulsif malgré un classicisme toujours frappé par l’extrême mesure, comme Gouvy, mendelssohnien, sait nous régaler.
La première ouverture est davantage qu’un lever de rideau tant elle semble faire la synthèse des poèmes et scherzos symphoniques qui l’ont précédé : Gouvy joint à l’élégance mendelssohnienne, la vitalité schumanienne en une structuration progressive d’une exaltante respiration globale (il est vrai selon les notes de Gouvy, inspirée de Byron et du chromatisme exalté de Delacroix) : de fait, il fait une belle sensibilité aux couleurs et aux atmosphères enchaînées pour défendre l’idée d’un bouillonnement romantique malgré la concision et la précision rythmique de l’écriture ; il est vrai que chef et orchestre s’y montrent parfaits. A l’heure du wagnérisme général, dans les années 1880, certains défendent tel Gouvy quasi soixantenaire, l’expression d’un beau germanique plus classique et fidèle à l’esprit symphonique des Viennois, serviteur d’une pensée équilibrée très proche de celle d’un Théodore Dubois, compositeur académique qui devient aussi un ami proche. Dubois comme Gouvy doit beaucoup à Thomas et c’est à Dubois, son » frère » en musique (ainsi que le révèlent les extraits de leur correspondance en partie publiée dans les textes d’accompagnement du présent livre cd) que Gouvy destine une correspondance qui délivre son message esthétique.
C’est la période où le compositeur a rejoint la très chauviniste Société nationale de musique (1876), prônant les vertus spécifique de l’Ars Gallica ; où redécouvrant Bach, il échafaude de nouvelles fresques lyriques et orchestrales, oratorios, scènes dramatiques, ou cantates souvent sur des thèmes antiques … L’Antiquité toujours comme Berlioz jusqu’à la mort : un projet d’opéra sur Didon l’occupe encore en 1898. Mais l’opéra, trop artificiel et détournant de la musique pure qui reste l’idéal indétrônable, Gouvy sait réserver dans l’écriture symphonique son meilleur.
Pas de final grandiose pour Le Giaour mais une coda instrumentalement ciselée presque murmurée. En revanche le début de Jeanne d’Arc d’après Schiller, impose d’emblée une énergie beethovénienne avant de développer une vitalité toute mendelsshonienne et schumanienne.
Le Festival, est plus riche mélodiquement et d’une concentration atmosphérique, de loin la plus exaltante des 3 : cors somptueux, bois enivrants; cordes nobles et onctueuses que Jacques Mercier fait paraître sans solennité excessive : là encore c’est un travail sur les dynamiques entre pupitres et les couleurs qui frappe immédiatement l’oreille. On aurait souhaité pouvoir disposer d’un commentaire explicatif sur chacune des 3 ouvertures dans l’un ou l’autre article d’accompagnement. Dommage.
Côté volet chambriste : le Trio violon, violoncelle et piano n°4 opus 22 (cd3) retient notre attention grâce à la connivence frémissante et mûre des 3 instrumentistes (piano et violoncelle en particulier d’une ardeur juvénile qui n’a rien de conventionnel ni de compassé). Le Trio Arcadis en sachant s’écarter d’une lecture poussiéreuse, revitalise une partition superbement classique là encore, entre franchise et naturel (Allegro premier beethovénien ardent et conquérant, carré et printanier), cycle de quatre mouvements, magnifiquement énoncés entre Mendelssohnn et aussi Haydn. Dommage que dans le Quatuor n°5 (Gouvy nous en laisse 11), les Parisii se montrent tout juste honnêtes, d’une neutralité expressive en dessous de nos attentes car la partition en ut mineur opus 68 fait une synthèse assez époustouflante et toujours sentie du romantisme allemand, assimilant avec beaucoup de pureté et Haydn et Beethoven, surtout l’hypnose enivrante brahmsienne (allegretto moderato, placé en 2è position : un voyage intérieur en eaux troubles jamais réellement résolues)… il aurait fallu plus de nuances, plus de respirations ténues, de suggestivité. Les Parisii s’y montrent verts et trop explicites, preuve de la très haute qualité (spirituelle et énigmatique) d’une partition en soi superlative.
Plus que ses oeuvres chambristes on l’a compris doucement défendues et peu investies, les 3 ouvertures dépassent le genre vers l’ampleur symphonique pure : c’est l’apport le plus essentiel des 3 cd ; tout Gouvy est là dans ce bouillonnement d’un classicisme certes présent mais jamais contraignant pour l’esprit du créateur. On pressent un même souci perfectionniste dans l’oeuvre chambriste… mais abordée ici de façon trop superficielle hélas.
A l’appui de la révélation des 3 ouvertures, l’auditeur ira chercher du côté de ses oratorios et cantates dramatiques sur l’Antiquité : classicisme néoantique et ardeur instrumentale s’y épanouissent en toute liberté. De sorte que ce livre premier d’une collection espérons-le riche en prochaines autres découvertes, remplit son office : nous mettre l’eau à la bouche et susciter l’envie d’un connaître davantage sur l’oeuvre exaltante d’un oublié… ici Gouvy.
Théodore Gouvy (1819-1898) : Cantate, oeuvres symphoniques, musique de chambre. Livre 3 cd. Palazzetto Bru Zane — Centre de musique romantique française, ediciones singulares. Parution : janvier 2014