L’opéra romantique français reste très apprécié du public et des théâtres allemands. C’est probablement parce que le chef-d’œuvre de Charles Gounod (avec Faust), Roméo et Juliette, applaudi dès sa création en 1867, ne se réduit pas à quelques beaux duos suaves et inspirés : le traitement que réserve Gounod au mythe de Roméo et de Juliette affiche un tempérament original (harmoniquement), une construction dramatique progressive qui suit essentiellement le souffle tragique de l’action, avec issue implacable, la mort des deux jeunes amants.
Que donnera cette nouvelle production du Roméo et Juliette de Gounod, partition romantique et tragique par excellence ? Le Théâtre de Rudolstadt (en Thuringe) propose la version de 1876 dans la mise en scène du metteur en scène français Benjamin PRINS. Le drame de Gounod insiste sur l’antagonisme viscéral entre Capulets et Montaigus. Les haines ancestrales broient comme un machine l’espoir de deux cœurs amoureux… L’action s’ouvre sur le bal chez les Capulets : Juliette y est promise au comte Pâris. L’accent sombre et tragique à l’énoncé des vrais sentiments de Roméo, (Montaigu rival des Capulets), pour la belle Juliette, est adouci par l’humeur légère de Mercutio (double de Roméo), qui évoque avec une facétie géniale la reine Mab… la force de l’opéra revient au choix de Gounod : au moment de l’action, les deux jeunes gens que tout sépare et oppose même, tombent éperdument amoureux l’un de l’autre (scène du jardin des Capulets, II). Pourtant mariés, porteurs d’une chance de réconciliation entre le deux clans, Roméo et Juliette ne peuvent empêcher une série de meurtres: Mercutio est blessé mortellement par Tybalt le Capulet, lequel est tué par Roméo (III). Grâce à Frère Laurent, Juliette qui a bu un puissant narcotique, feint la mort au moment de son mariage avec Pâris: consternation et choc: elle est conduite au tombeau (IV). Le dernier acte met en scène la tragédie inéluctable du mythe légué par Shakespeare: Roméo n’a pas été mis dans la confidence et quand le jeune amant détruit pénètre dans le tombeau de Juliette inanimée, croyant à la mort de son aimée, se donne la mort. Juliette s’éveille et se poignarde pour rejoindre son aimé en un duo funèbre particulièrement poignant.
En 1867, à l’époque où Verdi fait créer son Don Carlos (avec un « s », donc en français), Charles Gounod livre l’un des sommets de sa carrière lyrique, Roméo et Juliette d’après Shakespeare, couronnant un parcours tenace et flamboyant en particulier sur la scène du Théâtre Lyrique. Opéra orchestral autant que vocal, le Roméo de Gounod est d’abord sombre et tragique, revisite l’opéra romantique à sa source berliozienne (le chœur d’introduction qui explique le contexte); l’ivresse et l’extase amoureuse se développent librement surtout dans les 4 duos d’amour entre les deux adolescents, dont la scène de la chambre à coucher où ils se donnent l’un à l’autre, marque le point d’accomplissement… Juliette a très vite la prémonition de sa mort et même Roméo semble ne s’adresser qu’à la faucheuse dans la dernière partie de l’action. Deux âme pures sont vouées à la mort comme si l’issue fatale ne pouvait, ne devait que s’accomplir pour réaliser leur union au-delà de la vie, au-delà des haines fratricides qui enchaînent le destin de leurs familles respectives, Capulet contre Montaigus…
Ici, l’équilibre des rôles aux côtés des deux amants magnifiques ceux de Tybalt et de Mercutio, promet un grand opéra tragique où chacun mesure le meurtre de l’humanité quand l’amour est sacrifié…
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Theater Rudolstadt / Thüringer Symphoniker
Saalfeld-Rudolstadt
Roméo et Juliette de Gounod
Sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré,
Opéra créé à Paris, le 27 avril 1867.
Première le 2 nov 2024, 19h30
10 nov 2024, 15h
12 nov 2024, 15h
Direction musicale : Oliver Weder
Metteur en scène : Benjamin Prins
RÉSERVEZ vos places directement sur le site du Theater Rudolstatdt : https://theater-rudolstadt.de/stueck/romeo-et-juliette/
Roméo et Juliette de Gounod par Benjamin Prins © Clemens Heidrich
entretien avec Benjamin PRINS
COURT ENTRETIEN… Nous avons demandé à Benjamin PRINS de nous éclairer sur sa propre vision de l’opéra de Gounod…
La force révolutionnaire de l’amour
Ce qui me fascine dans Roméo et Juliette, c’est l’idée que l’amour est une force révolutionnaire. Shakespeare nous montre que l’amour peut bouleverser l’ordre établi, et c’est aussi le cas chez Gounod. L’amour entre Roméo et Juliette n’est pas qu’une romance adolescente, c’est un acte politique. Ils cherchent inconsciemment à mettre fin à cette guerre absurde entre leurs familles.
Autant de portée politique chez Gounod que chez Shakespeare
Gounod n’est pas moins politique que Shakespeare. L’opéra suit la même trame de fond, mais prend plus de temps pour explorer les duos amoureux. La puissance anarchique de l’amour reste centrale. Il est clair, par exemple, que chez Gounod, les Capulets dominent alors que les Montaigus sont opprimés, ce qui reflète une forme de lutte de classes. Ce n’est pas qu’une querelle familiale, c’est une opposition bien plus profonde.
« L’amour entre Roméo et Juliette
n’est pas qu’une romance adolescente,
c’est un acte politique »
Une transposition dans un cadre contemporain ?
Nous avons voulu ancrer l’histoire dans une époque imaginaire, mais contemporaine, afin de rendre les enjeux plus proches du public actuel. Vérone devient ici une ville en proie à une guerre civile, symbole universel des conflits qui divisent notre monde. Ce choix nous permet de rendre le drame plus accessible, tout en conservant une certaine distance “exotique”.
Une approche réaliste et filmique
Avec Bernhard Bruchhard et Alma Terrasse, nous avons cherché à instaurer un réalisme très fort, que ce soit dans le jeu des acteurs ou dans le décor. Le public doit pouvoir comprendre l’histoire même sans le texte. Les transitions entre les scènes, par exemple, sont très fluides, comme dans un film, où chaque ouverture de rideau dévoile un nouveau tableau.
Le rôle des personnages secondaires comme Mercutio ou Tybalt
Chaque personnage fait face à ses propres tourments. Pour Roméo et Juliette, l’amour est un échappatoire, une façon de survivre. Mercutio, lui, choisit la violence, et Tybalt, la vengeance. Le sacrifice de Mercutio est crucial dans cette histoire : bien qu’il ne soit pas un Montaigu, il meurt par amour pour Roméo, un geste qui montre la singularité de leur amitié.
Si Roméo et Juliette avaient survécu, auraient-ils été heureux ?
Comme dans l’histoire d’Admira et Boško, les véritables “Roméo et Juliette de Sarajevo”, je pense que leur seule chance aurait été de fuir. Le monde dans lequel ils vivent ne leur aurait pas permis d’être heureux autrement. La fuite ou la mort sont les seuls chemins qui leur sont ouverts.
Propos recueillis en octobre 2024
Roméo et Juliette de Gounod par Benjamin Prins © Clemens Heidrich