CRITIQUE, opĂ©ra. PARIS, OpĂ©ra Bastille, le 10 mars 2022. BERG : WOZZECK. Johan Reuter, John Daszak, Eva-Maria Westbroek… Orchestre et chĆurs de lâOpera de Paris. Susanna MĂ€lkki, direction. William Kentridge, mise en scĂšne.
Wozzeck, le premier opĂ©ra dâAlban Berg, créé aprĂšs la premiĂšre Guerre Mondiale, est riche de la science, idĂ©es et idĂ©aux de lâautoproclamĂ©e Seconde Ă©cole (musicale) de Vienne. Il reprĂ©sente un exemple extraordinaire de modernitĂ© et d’audace, avec une cohĂ©rence rare, sans avoir recours Ă l’usage traditionnel de la tonalitĂ© occidentale et sa dichotomie majeur/mineur. Cette musique atonale de grand impact Ă©motionnel, est prĂ©cisĂ©ment ce dont la piĂšce tragique et fragmentĂ©e de BĂŒchner « Woyzeck » avait besoin pour en faire une Ćuvre lyrique universelle et intemporelle, d’une actualitĂ© manifeste indĂ©niable. Les 7 reprĂ©sentations Ă lâOpĂ©ra Bastille, sont en lâoccurrence dĂ©diĂ©es aux victimes de la guerre en Ukraine.
« En lâhomme, lâindividualitĂ© conduit Ă la libertĂ© »
La dĂ©dicace est pertinente et percutante. Le livret, de la plume du compositeur, dâaprĂšs BĂŒchner, raconte l’histoire de Wozzeck, pauvre soldat barbier fol amoureux de Marie avec qui il a eu un enfant hors mariage. Il finit par assassiner sa maĂźtresse en pleine rue… Une tragĂ©die Ă la fois rĂ©aliste, naturaliste, expressionniste. Une Ćuvre profondĂ©ment romantique (dans le sens philosophique du terme). Wozzeck se sait condamnĂ© par sa position sociale, et son incapacitĂ© de devenir maĂźtre de sa vie est directement liĂ©e Ă sa disposition mentale, que d’autres personnages remarquent froidement et mĂ©chamment. En se rĂ©signant et s’abandonnant Ă la folie, Wozzeck, le dĂ©pourvu, l’amoral, le fou, vit l’illusion temporaire d’agence et d’appartenance, avant la tragĂ©die ultime. Il se passent des choses dans sa vie, il a un enfant qu’il nĂ©glige, plusieurs travaux, une maĂźtresse, mais on dirait qu’il pense que la seule chose qu’il possĂšde c’est le rĂ©cit dĂ©solant auquel il s’attache, sans espoir.
La mise en scĂšne de William Kentridge, faisant ses dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra de Paris, a lieu dans un dĂ©cor unique aussi impressionnant que fantasmagorique (scĂ©nographie de Sabine Theunissen, costumes de Greta Goiris), aux couleurs et matiĂšres renvoyant Ă la dĂ©vastation dâaprĂšs-guerre. La mise en scĂšne utilise lâimage animĂ©e projetĂ©e sur les dĂ©cors dĂ©labrĂ©s ; que des dessins troublants parfois illustratifs de lâaction sur scĂšne, mais surtout caractĂ©risant la mort, la guerre, bouleversants de nihilisme rĂ©signĂ©.
Nulle impression de rĂ©signation, par contre, chez les chanteurs ni dans la fosse ! Par la force de leurs talents, les excellents interprĂštes font oublier quâil sâagĂźt dâune reprĂ©sentation dâ1h35 minutes sans entracte ! Le Wozzeck de Johan Reuter est impeccable dans le chant et troublant dans la caractĂ©risation. MalgrĂ© tout lâartifice Ă©vident dans les dĂ©cors, sa prestation est dâune si grande intensitĂ©, quâon ne peut que croire que nous avons devant nous une personne atteinte dâun trauma post-guerre, profondĂ©ment troublĂ©e⊠Le Capitaine de Gerhard Siegel, comme le Docteur de Falk Struckmann ou encore Tambourmajor de John Daszak, ont tout autant dâimpact, incarnant magistralement les aspects nĂ©gatifs, voire toxiques, des hommes⊠La Marie dâEva-Maria Westbroek est dramatique et naturelle, trĂšs percutante dans le parti pris dramaturgique, nous tenant en haleine pendant toute la reprĂ©sentation, sans faire vraiment naĂźtre la compassion.
Lâorchestre de lâopĂ©ra dirigĂ© par la cheffe Susanna MĂ€lkki est le personnage qui suscite le plus dâĂ©motion, et dâadmiration ! Son interprĂ©tation de la partition redoutable est tout Ă fait remarquable, les diffĂ©rents groupes au sein de la formation sont magistralement concertĂ©s et lâeffet de leur performance est toujours saisissant, les cordes perçantes, et cuivres et percussions splendides. Une production bouleversante qui offre une bonne matiĂšre Ă la rĂ©flexion. A lâaffiche Ă lâOpĂ©ra Bastille les 13, 16, 19, 24, 27 et 30 mars 2022  -  Photo : © Agathe Poupeney / OnP 2022
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CRITIQUE, opĂ©ra. PARIS, OpĂ©ra Bastille, le 10 mars 2022. BERG : WOZZECK. Johan Reuter, John Daszak, Eva-Maria Westbroek… Orchestre et chĆurs de lâOpera de Paris. Susanna MĂ€lkki, direction. William Kentridge, mise en scĂšne.