CRITIQUE, OpĂ©ra. ORANGE, le 10 juillet 2021. SAINT-SAĂNS: Samson et Dalila. Alagna / Lemieux. ABEL / GRINDA. Centenaire de la mort de Saint-SaĂ«ns, distribution superlative, production magique et spectateurs en nombre, tous les ingrĂ©dients Ă©taient rĂ©unis pour que cette soirĂ©e reste dans les annales des ChorĂ©gies dâOrange. Le plus vieux festival lyrique dĂ©butant au XIXĂšme siĂšcle avait dĂ» pourtant se taire lâĂ©tĂ© dernier face au virus venu de Chine. La production prĂ©vue a heureusement pu ĂȘtre dĂ©calĂ©e dâun an. Le public a pu venir finalement en nombre, scannĂ© mais libre de sâasseoir sur les gradins antiques sous la voĂ»te Ă©toilĂ©e ⊠pour jouir de la plus belle musique qui soit. Car ce qui frappe Ă lâĂ©coute de ce chef dâĆuvre câest la qualitĂ© constante de la partition. Les airs et duos trĂšs aimĂ©s et connus ne doivent pas occulter les chĆurs qui sont tous splendides ; lâorchestration trĂšs subtile et efficace, et la musique de ballet, la plus belle qui soit Ă lâopĂ©ra. Une belle production de Samson doit donc compter sur un orchestre et des chĆurs superlatifs. Ce soir lâOrchestre Philharmonique de Radio France et les chĆurs des opĂ©ras Grand Avignon et de Monte-Carlo sont excellents. La direction du chef canadien Yves Abel mĂ©rite tous les honneurs. En chantre de la musique française celui qui la dĂ©fend aux AmĂ©riques, dirige comme un dieu ce soir sous le ciel de Provence qui semble lâinspirer particuliĂšrement.
Un Samson parfait Ă Orange
Ce nâest pas quâun jeu de mots car ne lâoublions pas, Saint-SaĂ«ns avait prĂ©vu dâabord dâĂ©crire un oratorio et quelque chose de ce projet premier est prĂ©sent dans cette noble partition surtout aux actes extrĂȘmes. Et câest peut-ĂȘtre la qualitĂ© la plus rare que possĂšde Yves Abel, celle de garder toute la noblesse et la hauteur de la musique tout en donnant un Ă©lan dramatique progressif. Ainsi le premier acte est comme retenu pour, petit Ă petit, Ă©largir le drame avec la passion du deuxiĂšme acte et le tragique mystique du dernier acte. Lâorchestre est superbe de bout en bout. La parfaite acoustique du théùtre antique, nous le remarquons chaque annĂ©e, permet une Ă©coute de chaque instrument. Les solistes sont magiques, les bois en particulier, et par exemple, le pupitre de contrebasses est saisissant de prĂ©sence. Les ChĆurs tant au lointain que face au public ont la prĂ©sence biblique attendue, conforme Ă ce supplĂ©ment qui Ă©voque lâOratorio. Cet opĂ©ra français dont le texte de grande qualitĂ© de Ferdinand Lemaire mĂ©rite le meilleur en termes de diction. Les chĆurs sont parfaits et le texte est limpide.  DĂ©licatesse des chants fĂ©minins, vaillance des hommes et ampleur des vastes pages chorales, plaintes dĂ©chirantes⊠tout ravit lâamateur de chĆurs.
La distribution voulue francophone par Jean-Louis Grinda afin de faire honneur au texte sera-t-elle Ă ce niveau de limpiditĂ© attendu ? Câest effectivement le cas ce soir et cela mĂ©rite dâĂȘtre soulignĂ© car ce nâest que rarement possible. Roberto Alagna nâa pas toujours Ă©tĂ© si bien entourĂ© dans lâopĂ©ra français mĂȘme Ă Orange. Les astres ont Ă©tĂ© en phase et rien, rien ne peut ĂȘtre critiquĂ©. Alagna est tout simplement royal en termes de diction. Câest beau, tellement beau que le français semble la voix mĂȘme du chant. Ce naturel, ces R non roulĂ©s, est un vĂ©ritable rĂ©gal dans chaque rĂŽle abordĂ© par Roberto Alagna. Dans Samson la qualitĂ© du livret rend tout cela encore plus impressionnant. Le chant de Roberto Alagna nâest peut-ĂȘtre plus aussi solaire ; il gagne dans lâhomogĂ©nĂ©itĂ© du timbre avec des graves devenus magnifiques et un medium parfaitement Ă©quilibrĂ©. Ce rĂŽle trĂšs ample, long et exigeant avec des passages inconfortables, semble aujourdâhui parfaitement lui convenir. Roberto Alagna a la voix du rĂŽle, il est un Samson crĂ©dible et nous rend son combat proche. Il construit son interprĂ©tation de maniĂšre limpide, le personnage prenant conscience de son destin religieux petit Ă petit, tout en essayant de brider la forte sensualitĂ© de sa passion pour Dalila. La mise en scĂšne lui rĂ©serve de beaux moments tout en lui permettant une Ă©volution progressive trĂšs intĂ©ressante. Roberto Alagna est un trĂšs, trĂšs grand Samson ! Ils ne sont pas nombreux ceux qui ont Ă©tĂ© un RomĂ©o aussi parfait puis endossent aussi bien le large costume du hĂ©ros biblique avec cette aisance. Marie-Nicole Lemieux est une Dalila aussi bien chantante que son Samson. Le timbre est somptueux, le vibrato contrĂŽlĂ©, la tessiture grave splendidement assumĂ©e et les aigus lumineux. Le chant est somptueusement sĂ©duisant, vraiment !  La diction (sans les « r » roulĂ©s habituels lĂ encore) permet de dĂ©guster chaque mot. Câest scĂ©niquement que la sĂ©duction est en deça outre ses deux costumes qui ne la servent pas.  Nicolas Cavalier, basse française, est un Grand PrĂȘtre Ă©patant. Puissant, mĂ©chant, intransigeant avec une voix noire bien conduite et une diction parfaite. Le duo avec Dalila Ă lâacte deux est effrayant Ă souhait. Et quelle tension y distille lâorchestre sous la direction dramatique dâYves Abel ! Le duo avec Samson est vocalement torride ! LĂ aussi lâorchestre ainsi dirigĂ© est envoĂ»tant. Les autres petits rĂŽles sont parfaitement tenus, ainsi le toulousain Julien VeronĂšse est Ă prĂ©sent Ă son aise dans la cour des grands : son AbimĂ©lech est trĂšs impressionnant !  Et quel costume ! Nicolas Courjal est un vieillard hĂ©breu Ă©mouvant. RĂŽle court mais au combien important ! Marc Larcher, FrĂ©dĂ©ric Caton, Christophe Berry tiennent leur rang en si belle compagnie tant en diction quâen voix sonores. Bravo !
Tout est musicalement Ă la place attendue sans aucune faiblesse. La mise en scĂšne de Jean-Louis Grinda venue de Monte-Carlo devant Auguste et le mur tient plus de la mise en espace ; rien ne vient perturber la plĂ©nitude du chant. Le petit ange aux ailes lumineuses qui guide Samson vers son destin est une idĂ©e trĂšs heureuse qui poĂ©tise la parabole biblique un peu austĂšre. Aucune hystĂ©risation de la passion nâa lieu dans lâacte deux. Les dĂ©cors sont trĂšs rĂ©ussis. Ils respectent le sublime mur qui reste nu et ce sont les admirables lumiĂšres de Laurent Castaingt et les vidĂ©os dâĂtienne Guiol et dâArnaud Pottier, qui construisent les divers espaces. Des images sont fortes et belles (la nuit Ă©toilĂ©e du duo dâamour), parfois trĂšs Ă©mouvantes (la course du peuple) ou spectaculaires (la roue et les chaĂźnes de Samson, la destruction du temple). Le ballet est un moment tout Ă fait superbe. Les danseurs des ballets du Grand Avignon et de Metz sont magnifiques et la chorĂ©graphie dâEugĂ©nie Andrin trouve les accents dâune sensualitĂ© barbare trĂšs subtile en parfait accord avec la musique. Ils ont Ă©tĂ© Ă juste titre trĂšs applaudis ! Les costumes de Agostino Arrivabene sont magnifiques avec la petite rĂ©serve Ă©noncĂ©e pour ceux de Dalila. Les plus spectaculaires sont ceux du Satrape de Gaza, AbimĂ©lech et ses terribles guerriers.
ReportĂ©e dâun an, cette soirĂ©e magique a fait oublier au public venu nombreux la partager (5000 personnes), la triste Ă©poque virale que nous traversons. Et câest peut-ĂȘtre cela le message de Samson et Dalila qui nous est nĂ©cessaire : ce sont les Ă©preuves qui fortifient les peuples en dĂ©passant la jouissance individuelle.
Merci aux ChorĂ©gies dâOrange dâavoir montĂ© Ă la perfection un opĂ©ra français rare. Distribution, musique, chĆurs, scĂšne, tout a Ă©tĂ© Ă la hauteur de ce chef dâĆuvre. La vie reprend vraiment si Orange renait sous les Ă©toiles de Provence. La rĂ©ussite de ce Samson 2021 en tĂ©moigne.
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CRITIQUE, OpĂ©ra. ORANGE, Théùtre antique, le 10 Juillet 2021. Camille Saint-SaĂ«ns (1835-1921) : Samson et Dalila, opĂ©ra en 3 actes et quatre tableaux sur un livret de Ferdinand Lemaire. Mise en scĂšne : Jean-Louis Grinda. Costumes : Agostino Arrivabene. LumiĂšres : Laurent Castaingt. ChorĂ©graphie : EugĂ©nie Andrin. VidĂ©o : Ătienne Guiol et Arnaud Pottier. Avec : Marie-Nicole Lemieux, Dalila ; Roberto Alagna, Samson ; Nicolas Cavallier, Le Grand PrĂȘtre ; Julien VĂ©ronĂšse, AbimĂ©lech ; Christophe Berry, Le messager philistin ; Nicolas Courjal, Le Vieillard HĂ©breu ; Marc Larcher, premier philistin ; FrĂ©dĂ©ric Caton, deuxiĂšme philistin. ChĆur des OpĂ©ras Grand Avignon et Monte Carlo. Ballets des OpĂ©ras Gand Avignon et Metz. Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Yves Abel.