CRITIQUE, opéra. TOULOUSE. Capitole le 2 juillet 2021. R. STRAUSS : ELEKTRA. R.MERBETH ; V.URMANA ; N.GOERNE ; F. BEERMANN / M.FAU. Il nous a fallu assister deux fois à ce fabuleux spectacle (2 puis 4 juillet) pour en percevoir la richesse et en rendre compte. Le choc attendu avec cet opéra hors normes a été au rendez-vous. Une saison capitoline sacrifiée (comme partout) porte sa revanche avec une production superlative. Le dispositif scénique est insolite et …génial. La fosse du Capitole ne permet pas d’entasser les musiciens nécessaires à cette partition sans risques sanitaires. L’orchestre a donc été plus confortablement installé en fond de scène, l’occupant plus de la moitié. Un très beau rideau de tulle peint fait séparation. La fosse recouverte permet sur le proscénium des mouvements d’acteurs réduits mais percutants. La scène est encombrée d’une gigantesque statue d’Agamemnon abattue au-dessous du genou. Un souterrain s’ouvrant permet d’évoquer le terrier d’Elektra. A cour et à ardin, les entrées et sorties suggèrent l’extérieur et le palais sans vraie rigueur. La statue d’Agamemnon envahit l’espace scénique comme le père envahit l’espace mental et affectif d’Elektra.
ELEKTRA Tutta Forza au Capitole !
La fusion musicale et scénique voulue par le tandem si intime Hofmannsthal / Strauss se retrouve parfaitement dans cette production inouïe. La grandeur et la richesse de la scène sont enchâssées dans une direction musicale à la fois retenue au niveau du tempo et très analytique, permettant de déguster toutes les finesses orchestrales de Strauss. Le drame se tend lentement mais avec une puissance orchestrale extraordinaire que le chef allemand arrive à tenir afin de ne pas couvrir les chanteurs. L’Orchestre du Capitole est absolument flamboyant. Placée si habilement, la dimension symphonique est enthousiasmante.
La direction de Franck Beermann retrouve les belles qualités de son Parsifal la saison dernière. Direction dramatique tenue tout du long, grands arcs construits, détails subtils sculptés et un équilibre parfait avec le plateau. La riche orfèvrerie orchestrale de Richard Strauss est scintillante tout du long. Le même scintillement se retrouve sur scène. Je crois peu élégant de détailler les éléments vus sur scène, il le faut pourtant pour rendre à chacun la part de son travail inestimable mais le travail d’ensemble est remarquable pour la cohérence de la vision, car tout se complète.
Rendons à Christian Lacroix, la palme de la brillance. Son goût pour les couleurs est bien connu. Il a dessiné des costumes de toute beauté, si trop beau est possible nous n’en sommes pas loin ! Quelle subtilité dans l’outrance et quel goût dans le choix des matières. Le décor repose sur les créations de Phil Meyer avec cette extraordinaire statue d’Agamemnon et son très beau rideau de fond de scène. Les lumières de Joel Fabing sont magiques et permettent une variété presque infinie de lieux. Jouant sur la transparence du rideau et la franchise des couleurs des costumes, il crée des espaces infinis. La dominante rouge pour Clytemnestre, l’or pour Chrysothémis, le vert pour Oreste, le blanc après les deux meurtres : cela a aussi pour effet de changer les visages très maquillés et qui « prennent » la lumière très fortement. Le jeu des acteurs est emphatique sans être grandiloquent. La noblesse des personnages principaux nous rappelle que nous sommes chez les Atrides tout de même ! Les servantes sont plus caricaturales avec un jeu outré comme si chacune était l’un des membres d’une pieuvre. Groupe mouvant tentaculaire.
Vocalement les servantes ont toutes de fortes voix mais sans unité vocale ni recherche d’harmonie, c’est l’opposé de ce que l’on voit. Elektra sort de terre comme d’une tombe en évoquant Agamemnon. L’effet est puissant. Son costume ne tient pas compte de la tradition, entorse qui est en fait très signifiante. Sa robe pourrait être une robe de mariée avec couronne de fleurs. Cela nous suggère que la vie mentale d’Elektra la domine complètement. Ce mariage avec son père n’est donc pas interdit mais « raté ». Toute la névrose hystérique est contenue en ce costume… Cette Elektra ne renonce pas totalement à plaire et n’est pas une souillon.
L’interprétation de Riccarda Merbeth est totalement convaincante : elle est Elektra sur le plan vocal et scénique. La voix est somptueuse, admirablement conduite afin de ne jamais la mettre en danger. Elle terminera la série de cinq représentations avec une voix en totale santé. Et pourtant elle donne généreusement sa voix sur toute la vaste tessiture. Les graves sont magnifiquement timbrés sans effets de poitrinage et les aigus se développent en rayons de soleil progressifs que le geste large du chef encourage. Cette manière magistrale de placer le son puis le développer est remarquable et permet de comprendre l’extraordinaire carrière qui lui permet d’enchainer les rôles les plus terrifiants (Isolde, les trois Brunnhilde et Turandot entre autres). Ce rôle d’Elektra, elle l’a beaucoup chanté, et je ne sais pas si elle dira la même chose mais je trouve qu’entre le confort des arcs tendus par la direction du chef et une certaine élégance du personnage autorisée par la mise en scène, la noblesse du personnage de cette production sied particulièrement à la cantatrice allemande, dont la tenue vocale a tant d’élégance. Dans la mise en scène de Michel Fau, le personnage gagne en complexité. Le travail d’acteur est efficace et renouvelle le rôle. Du coup les relations avec les autres personnages sont également enrichies. Le combat avec sa terrible mère est tout en subtilités. Violetta Urmana est une Clytemnestre pleine de séduction. Vocalement elle est très à l’aise et scéniquement rien que par le costume somptueux, elle est une reine indétrônable. Le face à face est monstrueux à souhait entre la mère et la fille. Chrysotémis est un personnage qui gagne également en complexité. J’ai regretté que vocalement il ait manqué une lumière dans le timbre de Johanna Rusanen et une petite fragilité qui permettrait d’en faire une sœur seconde par rapport à Elektra. Mais cette manière de se tenir à égalité face à Elektra y compris vocalement donne de la profondeur au drame. Il m’est arrivé de penser qu’il n’est pas fréquent d’avoir sur scène trois Elektra, une titulaire, une qui aurait pu l’être (Violetta Urmana) et une en devenir (Johanna Rusanen ). Car la puissance vocale sur tous les registres des trois cantatrices est équivalente.
L’autre grand rôle, plus attendu qu’entendu mais fondamental pour le drame est Oreste. Pour une prise de rôle Nelson Goerne est royal d’allure et de voix. Le timbre somptueux, le texte est si bien dit qu’il est un Oreste mémorable. Le jeu est retenu, le costume de velours griffé vert est peut-être plus sobre mais au combien élégant. Les gestes sont rares, le personnage attend, et se concentre. La tendresse vis à vis d’Elektra est vraie ainsi esquissée d’un simple geste. Le matricide est sobre avec un beau geste de la mère vers son fils en son dernier instant. Là aussi la manière de traiter le personnage convainc à la noblesse de l’interprète. Valentin Thill en jeune serviteur est remarquable de clarté de timbre et d’émission agréable. Barnaby Rea en serviteur d’Oreste est d’une belle présence face pourtant à de terribles monstres vocaux. L’Egisthe de Frank van Aken tient son rang en tout et sa mise à mort ressemble à un film qu’Elektra regarde. Comme si cette pièce indispensable mais de deuxième importance dans le délire hystérique d’Elektra ne méritait plus d’importance.
C’est donc avec un spectacle total et sur une réussite exceptionnelle et sans faiblesse que le Capitole gâte son public in fine. Cette Elektra intelligemment revisitée par Michel Fau restera dans les mémoires.
CRITIQUE, opĂ©ra. TOULOUSE, Théâtre du Capitole, les 2  et 4 Juillet 2021 ; Richard STRAUSS 1864-1949) : Elektra ; tragĂ©die en un acte ; Livret de Hugo von Hofmannsthal ; CrĂ©ation le 25 janvier 1909 au Semperoper de Dresde ; Michel Fau, mise en scène ; Hernán Peñuela, scĂ©nographie ; Phil Meyer, sculpture et peinture ; Christian Lacroix, costumes ; Joel Fabing, lumières ; Ricarda Merbeth : Elektra ; Johanna Rusanen : ChrysothĂ©mis ; Violeta Urmana : Clytemnestre ; Matthias Goerne : Oreste ; Frank van Aken : Égisthe ; Sarah Kuffner : La Confidente, la Surveillante ; Svetlana Lifar, Première Servante ; Grace Durham, Deuxième Servante ; Yael Raanan-Vandor : Troisième Servante, La Porteuse de TraĂ®ne ; Axelle Fanyo : Quatrième Servante ; Marie-Laure Garnier : Cinquième Servante ; Valentin Thill : Un Jeune Serviteur ; Barnaby Rea, Le prĂ©cepteur d’Oreste ; Thierry Vincent : Un vieux Serviteur ; Zena Baker, Mireille Bertrand, Catherine Alcoverro, Judith Paimblanc, Biljana Kova, StĂ©phanie Barreau : Six servantes ; Orchestre National du Capitole ; ChĹ“ur du Capitole, Alfonso Caiani direction; Frank Beermann, direction musicale – Photo : © Mirco Magliocca
VOIR le TEASER VIDEO ici :
https://www.youtube.com/watch?v=cgrQPWujEOY&t=13s