Daniele Gatti et les musiciens du National de France se montrent épatants du début à la fin de la narration du ballet, offrant de la marionnette, un souffle printanier d’une envergure héroïque… La nuance de certains climats est souvent nerveuse, et idéalement engagée. Mais on regrette la limite esthétique et poétique d’une démarche sur instruments modernes : sons pleins et puissants, couleurs unifiées, certes belles et chaudes mais souvent projetées à plein régime au risque de tutti qui finissent pas s’applatir.
Pétrouchka superlatif
Nos séquences favorites de ce point de vue perdent la tension et la fragilité, cette irrisation du multiple que permettent les instruments d’époque (version défendue aujourd’hui par un orchestre comme Les Siècles) : la Fête populaire de la Semaine grasse au soir, l’ivresse des Nounous (clarinettes délirantes), puis le voile des cordes d’une transparence suspendue digne d’un brouillard arachnéen de L’ours et un paysan sont des passages d’une poésie infinie dont seuls les instruments d’époque, -pour l’avoir vécu et ressenti en concert-, expriment l’opulence intime, la diffraction des timbres mêlés, leur caractère respectif fusionnant en un bain instrumental extatique…
Ne demandons aux musiciens sur instruments modernes que ce qu’ils peuvent produire. Et c’est déjà beaucoup: sous la baguette très assurée de Daniele Gatti, les musiciens français parviennent un tour de force dans la caractérisation et la transparence, mais aussi l’élan dramatique du ballet de 1911. De ce foisonnement sonore rythmiquement divers et très contrasté, de la flamboyance des couleurs d’un orchestre aux instruments individualisés, émerge une pensée musicale unique qui de Petrouchka mène directement au Sacre, à sa radicalisation orgiaque, à sa coupe et sa syncope volcanique autant que convulsive. Ici Petrouchka relève mieux le défi d’une partition qui malgré sa structure séquentielle, gagne une unité quasi organique grâce à l’engagement global qu’imprime le chef.
Perdant la précision, moins fouillé sur le plan des climats et des dynamiques, Le Sacre (mai 1913) s’essouffle en fin de continuum instrumental, même s’il étonne et convainc dans la partie I par sa mécanique réglée comme une horloge suisse. Très vite, dans la seconde partie, malgré d’éloquentes réussites comme l’Introduction aux couleurs mystérieuses et crépusculaires, les tutti plafonnent trop rapidemment comme par exemple dans la Danse sacrale. Comme la lecture de Philippe Jordan, la version de Daniele Gatti est l’une des approches les plus captivantes, instrumentalement fouillée, d’un fini esthétisant indiscutable.
Stravinsky: Pétrouchka, Le Sacre du printemps, versions 1947. Orchestre national de France. Daniele Gatti, direction. 1 cd Sony classical 88725445552. Enregistrement réalisé à Paris, en juin 2011.