C’est l’opéra allemand par excellence, à la fois sommet et fin du Singspiel, dont la célébrité ne s’est jamais démentie… Comment l’introduire? De quelle perspective faire l’analyse? Conte de fées, opéra maçonnique, mélodrame ésotérique? L’œuvre d’une apparente simplicité est en fait le sujet de tant de thèses, de livres, de débats… Elle cache dans ses pages une complexité et une profondeur dont nous pourrions discuter pendant une vie ou … deux. Et ce dans plusieurs sens: musical, poétique, social, politique. Le souci de synthèse étant une réalité, nous nous évertuerons à refléter avec justesse et justice la lumière de l’œuvre dans nos impressions de cette création strasbourgeoise signé Mariame Clément.
L’Orchestre Symphonique de Mulhouse sous la direction musicale de Theodor Guschlbauer sait accompagner les chanteurs; il exprime surtout le drame. Pendant l’ouverture, le chef viennois souligne plus le sentiment que le contrepoint. Avec un certain mysticisme parfois, souvent brillant, il dévoile une belle sensibilité surtout à travers les deux actes, sans être particulièrement impressionnant, sauf la performance des vents, prodigieuse. Quant aux Chœurs de l’Opéra National du Rhin dirigés par Michel Capperon, ils donnent une belle prestation plein d’âme et de caractère, aux belles modulations et avec une projection des voix tonifiante. Dignes interprètes de la solennité glorieuse et de la sombre ferveur que Mozart réserve au choeur dans sa partition foisonnante.
Sébastien Droy incarne un Tamino charmant et appassionato même, finalement rafraîchissant. Il projette sa voix à la très belle couleur avec beaucoup de cœur S’il oublie de chanter un mot pendant les presque 3 heures de représentation, nous l’excusons volontiers grâce à la beauté et à la force expressive de sa prestation. Paul Armin Edelmann dans le rôle de Papageno est un excellent comédien à la voix vaste. Dans son interprétation de l’oiseleur, il privilégie la gravité plutôt que la tendresse. Gudrun Sidonie Otto en Papagena, est drôle et coquette.
Mozart 2012: l’universalité revisitée
Susanne Elmark interprète le rôle virtuose de la Reine de la Nuit. Si elle n’a pas de difficulté à gérer la coloratura stratosphérique de ses airs, la voix reste un peu nasale et mécanique au premier. Elle gagne heureusement en expression pour le célébrissime deuxième air « Der Hölle rache » mais nous trouvons sa performance à l’encontre du drame tel que Mozart l’a envisagé, d’après non seulement le témoignage de sa correspondance, mais surtout vis-à-vis de la musique qu’il a composé pour le personnage. Développons : absence de nuance au premier air, quand elle doit être angoissée et tragique (pendant le larghetto en sol mineur) puis exaltante et intelligemment manipulatrice (pendant l’allegro moderato en si bémol majeur), puis excès de sentimentalisme acidulé au deuxième quand elle doit être, au contraire, colérique et menaçante et dont l’excès est celui de sa passion vengeresse plus que d’une hasardeuse (et en l’occurrence tardive) douceur maternelle. Si Elmark demeure une excellente actrice à la beauté plastique indéniable, comme il arrive souvent, elle réussit à moitié les difficultés interprétatives du rôle.
Moins convaincant, le Sarastro de Balint Szabo est tragicomique, manquant de force et de noblesse.
Quant à Pamina, interprétée par Olga Pasichnyk (éblouissante Donna Anna au disque de Jacobs), elle a un excellent contrôle de sa belle voix chaleureuse et expressive, et se montre touchante dans le tendre espoir de son duo avec Papageno au premier acte comme dans le désarroi larmoyant et suicidaire de son air au deuxième. La soprano montre également ses dons de comédienne et sa sensibilité dramatique dans ses interactions avec Monostatos et Papageno.
Le Monostatos d’Adrian Thompson commence de façon peu caractérisée mais gagne en expression au cours de la soirée ; il finit par brosser un portrait touchant et nuancé du personnage. Quant aux rôles secondaires, ils ont été pour la plupart interprétés de façon extraordinaire du point de vue vocal et dramatique. L’orateur de Raimund Nolte a la voix large et séduisante, sa prestation est d’une élégance et d’un brio inattendus. La troisième Dame d’Eve-Maud Hubeaux est aussi une belle surprise, même blessée elle a donné à son personnage de la profondeur et du caractère avec sa voix veloutée. Le premier Prêtre de Mark van Arsdale a une belle voix et beaucoup de charme. Remarquons également les enfants de la Maîtrise de l’Opéra National du Rhin dirigés par Philippe Utard, dans les rôles des trois garçons, notamment par la fraîcheur de leur chant et leur présence sur scène.
La transposition de la mise en scène vers une période apocalyptique, souhaitée par Mariame Clément est très intéressante et plutôt réussie. Elle est savante et sensible dans sa contemporanéité, sans jamais tomber dans le snobisme conceptuel. L’abondance d’idées dont elle fait preuve est de toute cohérence, et ses clins d’œil au monde actuel sont en union avec le message d’universalité inné à l’œuvre.
Dans ce sens, remarquons certains points forts. Pendant le discours quelque peu sexiste de Sarastro (qui est d’ailleurs atteint d’une cécité temporelle) à la fin du premier acte, les femmes du chœur présentes sur scène montrent une légère aversion vis-à-vis de leur souverain. Le commentaire social est très pertinent de la part de Clément, n’oublions pas qu’au 18e siècle commencent les débats sur l’acceptation des femmes dans les loges maçonniques ; Mozart dans sa Flûte montre clairement ses convictions.
Ténèbres et Lumière… réconciliés
De même, l’excellente idée, très efficace d’avoir des dialogues parlés en allemand, anglais et français, pose les deux prêtres en interprètes du discours de Sarastro vers les deux dernières langues, notamment au deuxième acte qui se déroule dans une sorte de laboratoire souterrain (décors et costumes modernes de la part de Julia Hansen, lumières de Marion Hewlett). L’idéalisme est aussi poussé dans la fin modifiée : ici la Reine de la Nuit paraît embrasser la clarté solaire de Sarastro et cède devant lui ; ils s’étreignent même longuement pendant que les chœurs célèbrent la victoire de la lumière. L’universalité de l’œuvre de Clément révèle une profonde compréhension de la complexité de Mozart, laquelle est souvent mis en scène de façon unicolore.
Mozart : Die Zauberflöte, opéra allemand en 2 actes. Livret d’Emmanuel
Schikaneder. Orchestre Symphonique de Mulhouse. Direction musicale,
Theodor Guschlbauer. Mise en scène, Mariame Clément.