jeudi 28 mars 2024

Schoenberg: Pelleas und Melisande (Boulez, 2003)1 cd Deutsche Grammophon

A lire aussi
Hymne au désir insatiable jusqu’à l’épuisement des forces vitales, jusqu’à l’anéantissement et la mort de délivrance, le prélude de Tristan und Isolde de l’acte I fait une place ciselée aux bois, cor anglais, hautbois et clarinette en particulier, fine constellation instrumentale qui énonce le poison mortel qui s’insinue peu à peu dans le tissu orchestral. Transparence et clarté, langueur mesurée et parfaitement articulée, la direction du chef se distingue évidemment par sa classe lumineuse, un apollonisme d’une parfaite balance entre hédonisme et pudeur. Ici se profile l’aurore moderne, un chromatisme exacerbé auquel se nourrissent les disciples de Richard, Mahler et … Schoenberg qui fait la saveur de la suite du programme: inspiré par le silence sonore qui est au coeur de la poésie de Maeterlinck, Pelleas et Melisande (1893), texte hautement visionnaire et porteur donc de modernité musicale, Schoenberg écrit sa vision du mythe, après celle, fantomatique et flottante de Debussy (1902).


Sortilèges postwagnériens

Vaste poème symphonique achevé en février 1903, à la manière des formats tissés par le flamboyant Strauss, Pelléas und Melisande porte encore l’héritage wagnérien sans réussir à s’en dégager: l’idée même de jouer Tristan puis ce Pelléas est pertinente: il y a bel et bien une filiation sonore évidente entre les deux univers musicaux. Complexité voire confusion (propos de Mahler), voire difficultés insurmontables, la partition du jeune Schoenberg pas encore trentenaire, accumule la chatoyance et les flamboiements post wagnériens où se lit manifestement, la maîtrise de l’auteur à traiter l’entrelac des leitmotiv, à construire une symphonie (forme sonate en mouvements et réponses parfaitement construits: nous sommes encore chez le fresquiste suave aux élans éperdus, tristanesques, celui des Gürrelieder aussi, mais qui allait rapidement passer au second chromatisme… dodécaphonique, nouvelle organisation d’une pensée musicale, soucieuse de renouvellement. L’équilibre des pupitres, la beauté sonore, la clarté polyphonique restituent à l’œuvre sa force et sa sauvagerie primitive, ses éclairs sensuels; la direction de Boulez est une suite d’éblouissements surtout instrumentaux: chaque partie est idéalement mise en avant, travail sur l’articulation et le dialogue concertant des musiciens, une attention aux couleurs qui transparaissait déjà dans le Prélude de Tristan. Superbe leçon de direction, vive, articulée, nerveuse, intensément dramatique. Reste que le symphonisme de Debussy, comparé à celui de Schoenberg, exprime davantage l’énigmatique mystérieux du texte de Maeterlinck, même si Schoenberg trouve parfois des idées très originales. A Boulez revient le mérite de ciseler et sculpter une partition qui se prête parfaitement à cet exercice d’un wagnérisme souverain.

Wagner: Prélude de Tristan und Isolde (acte I). Schoenberg: Pelléas und Melisande opus 5 (1903). Gustav Mahler Jugendorchester. Pierre Boulez, direction. 1 cd Deutsche Grammophon. Enregistrement réalisé à Tokyo en avril 2003.
- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img