Le Jeune Orchestre Atlantique au sommet
Le Jeune Orchestre Atlantique qui est en résidence à l’Abbaye aux Dames depuis ses débuts, en 1996, réunit des jeunes instrumentistes venus du monde entier. En ce début de mois de décembre les instrumentistes ont répété avec le chef David Stern au cours d’une semaine intensive de travail qui se conclue par un concert de haute volée le 13 décembre en l’église abbatiale Sainte-Marie.
Le programme pré-romantique et romantique permet aux instrumentistes de travailler des oeuvres moins connues de compositeurs plus connus, du moins en ce qui concerne Gluck et Chérubini, pour leur corpus opératique que pour leur musique instrumentale mais tout aussi belles et difficiles à jouer. Quant au public il découvre des jeunes talents prometteurs sous la direction d’un chef passionné par son art, à l’énergie inépuisable et désireux de transmettre son savoir à ses jeunes apprentis lesquels prennent visiblement plaisir à travailler avec David Stern.
Le concert débute avec plusieurs extraits d’Orphée et Eurydice de Christophe Willibald Gluck (1714-1787); cet opéra d’abord composé en Italien et créé à Vienne (Autriche) en 1762 a ensuite été revu et en partie recomposé pour l’adapter au goût français (Orphée n’est alors plus chanté par un castrat mais par un ténor). Mardi soir ce sont les suites d’orchestre qui ont été jouées par les instrumentistes, et dans la version française plus tardive; l’ouverture d’Orphée et Eurydice qui débute la soirée est défendue avec beaucoup d’entrain ; la communion entre le chef et ses musiciens, totale et le plaisir de jouer ensemble passe dans l’interprétation de la musique de Gluck qui résonne dans l’abbatiale avec un brio incomparable. Le ballet des ombres heureuses qui suit permet à David Stern de mettre en avant le talent des deux flûtistes, idéalement mesuré, qui jouent avec le soutien discret de l’orchestre; dans le ballet, le chef dirige avec une fermeté inégalable, laissant la parole aux deux solistes qui donnent le meilleur d’elles. Le Jeune Orchestre Atlantique développe ensuite une interprétation électrisante du ballet des furies sous l’oeil vigilant de son chef et d’ailleurs Gluck lui même n’aurait certaiment pas renié une telle version de son oeuvre: éclairs et tempete, fougue éruptive … D’un collectif soucieux autant de finesse et de couleurs que d’expressivité.
Si le public a adopté Gluck dès son arrivée en France en 1774 peu après le couronnement de Louis XVI et Marie Antoinette, Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833), lui, souffre cruellement d’un déficit de reconnaissance. Soucieux de remettre le compositeur français à l’honneur David Stern a construit avec beaucoup de patience une interprétation élégante et raffinée du concerto N°4 en mi mineur pour piano et orchestre. La pianofortiste Daria Fadeeva qui a débuté sa carrière comme altiste, joue avec brio la partition de Hérold; l’artiste rend parfaitement justice au compositeur et l’on ne peut qu’apprécier de voir à quel point la communion entre le chef, la soliste et l’orchestre est totale. C’est d’ailleurs l’équilibre quasi parfait atteint par tous les musiciens qui aboutit au succès de l’interprétation de Stern et de Fadeeva qui rappellée à plusieurs reprises a donné en bis un extrait du concerto N°2 pour piano et orchestre du même compositeur. Hérold qui a composé nombre d’opéras et de ballets fait cependant merveille dans la musique instrumentale et le concerto choisi pour le concert de mardi soir en est un très bel exemple.
En revanche Luigi Chérubini (1760-1842) qui a quitté son Italie natale pour s’installer en France est presque plus connu pour ses opéras (Médée) que pour sa musique instrumentale … Laquelle mérite pourtant qu’on s’y arrête. C’est la symphonie en ré majeur (la seule que l’auteur de Medee ait écrite), qui en témoigne, avec combien d’arguments, d’autant plus quand ils sont défendus par un tel orchestre.
Galvanisés par leur mentor, les instrumentistes du Jeune Orchestre Atlantique interprète sans faiblesse ce Cherubini méconnu si convaincant; chaque mouvement est travaillé avec une rigueur et un sens aigu du détail qui donne à la partition, un éclat et une résonance inégalables. Les musiciens se régalent à jouer la partition du compositeur tout en contribuant à la renaissance de son corpus instrumental avec un succès tel que David Stern a dû revenir à deux reprises sur l’estrade pour diriger le dernier mouvement de la symphonie avec d’autant plus de mérite qu’un tel concert requiert une énergie et une concentration de tous les instants.
Si nous avons écouté avec plaisir trois compositeurs différents mais complémentaires ils ont tous en commun d’avoir composé des opéras; et dans les cas de Hérold et Cherubini l’influence de leurs oeuvres lyriques transparait dans leur musique instrumentale. C’est précisément le fil conducteur qu’a retenu David Stern pour le concert de mardi soir et quand on entend le résultat final on ne peut qu’être séduit et impressionné par le travail réalisé par ces jeunes musiciens qui, à peine diplômés, en phase de professionnalisation, sont à la croisée des chemins;
Pour tous ces jeunes, travailler avec un chef comme David Stern et un premier violon comme Florence Malgoire (qui est la fille de Jean Claude Malgoire, directeur musical de « La grande écurie et la chambre du roy ») ne peut que les pousser à se transcender. La mission première du JOA, chaque année, au travers de ses sessions de travail, reste l’implication et le perfectionnement des jeunes instrumentistes, invités à se dépasser sur instruments anciens. Le cru 2011 est de très haute tenue. Saluons l’excellence de ce dispositif pédagogique dont l’aboutissement final, sert des oeuvres méconnues qui font les délices d’un public particulièrement convaincu et demandeur.
Saintes. Abbaye aux Dames, le 13 décembre 2011. Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Orphée et Eurydice : Ouverture, Menuet des ombres heureuses, Air des furies ; Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833) : Concerto n°4 en mi mineur pour piano et orchestre; Luigi Cherubini (1760 1842): Symphonie en ré majeur. Daria Fadeeva, pianoforte, Jeune Orchestre Atlantique; David Stern, direction. Compte rendu de notre envoyée spéciale, Hélène Biard.