jeudi 28 mars 2024

Saint-Quentin-en-Yvelines. Théâtre, le 17 novembre 2009. Récital Simone Kermes. Venice Baroque Orchestra

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Rockeuse lyrique et baroque

Discrète en France, la soprano allemande Simone Kermes jouit d’une grande popularité dans son propre pays, notamment dans l’opéra des 17e et 18e siècles – après avoir servi tout le répertoire de soprano léger colorature, de la Reine de la Nuit à Lucia di Lammermoor en passant par Alcina, au Stattstheater de Stuttgart –.
Sa seule apparition française récente remonte à quelques mois, au Théâtre des Champs-Elysées, dans Athalia de Haendel où elle tenait le rôle-titre. Paradoxal rôle-titre qui se voyait accorder, bien qu’étant un personnage central, trois airs fort courts et ne permettant que peu à la chanteuse de briller.
Evènement donc, au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, où la cantatrice, accompagnée par l’un de ses partenaires privilégiés, le Venice Baroque Orchestra – sans son chef, le violoniste Andrea Marcon –, a pu déployer tous ses artifices techniques et son talent dans un programme consacré à ses deux compositeurs de prédilection, Vivaldi et Haendel.
Sonorités acidulées, nervosité du jeu, précision des attaques, virtuosité débridée, l’orchestre tient parfaitement son rang parmi les orchestres baroques actuels. Pourtant, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle conception sonore, laissant peu de place à la langueur qu’une autre approche stylistique, plus caressante, plus « classique », apporterait à ces musiques.
Preuve en est le magnifique concerto pour violoncelle en la mineur composé par le prêtre roux. Par un simple mouvement du poignet, Francesco Galligioni fait naître de son instrument un superbe vibrato, comme une palpitation, une humanité trop souvent refusées à la musique de cette époque. Associée à sa grande finesse de jeu et sa musicalité sensible, cette vibration transforme l’écoute et la réception de cette musique. Une transfiguration, pas moins.
Beau succès également pour le talent protéiforme de Michele Favaro, flûtiste et hautboïste à la fois, servant ces deux instruments avec un égal talent.
En grande forme vocale, Simone Kermes laisse pantois devant la virtuosité stupéfiante qu’elle affiche. Vocalises surhumaines ciselées à des tempi effrénés, roulades affrontées sans effort, sons filés admirables, piani suspendus, suraigus dardés avec l’aisance d’une funambule… Tout en elle respire la facilité, de cette facilité qui donne l’impression à l’auditoire que rien ne pèse, et que triompher de ces airs redoutables n’est pas plus difficile que de parler.
Mais, loin de toute démonstration gratuite de sauts périlleux et autres tourbillons vocaux, la diva à la chevelure flamboyante affiche une passion, un feu peu communs dans chacun des morceaux qu’elle interprète et des personnages qu’elle incarne.
Là se situe sans doute le défaut de ses qualités : à force d’engagement dramatique et musical, la chanteuse en perd toute noblesse.
Il semble à la mode aujourd’hui, tant parmi les instrumentistes que chez les chanteurs, d’accompagner toute exécution musicale par force gestes et expressions du visage, signes extérieurs d’un ressenti émotionnel fort, à l’opposé de ce qu’on stigmatise comme la technicité froide des anciennes générations.
Pourtant, de près, tant de gesticulations et de mimiques dignes du cinéma muet frise la caricature. Et la soprano allemande n’échappe pas à la règle, exprimant sa rage et sa douleur à travers des postures et des mouvements ressemblant à s’y méprendre à des chorégraphies de rock, de hip-hop, voire de danse electro. Davantage de simplicité rendrait le discours musical bien plus sincère et émouvant, l’oreille étant ici par trop parasitée par ce que se voit infliger la vue.
Premier bis, fort original : la chanson « The man I love » de George Gershwin. Un ensemble baroque jouant du jazz, voilà qui ne s’était encore jamais vu. Saluons tout particulièrement le jeu de guitariste confondant du talentueux luthiste Ivano Zanenghi, d’une hilarante complicité avec la chanteuse.
Mais c’est au second bis que l’émotion vraie jaillit enfin : le célébrissime « Lascia ch’io pianga », tiré du Rinaldo de Haendel. Tout pathétisme outrancier soudain disparu, Simone Kermes fait preuve d’une sobriété presque pudique, déroulant tel un ruban la délicate ligne haendelienne jusqu’au murmure, avec une intériorité et une finesse qu’on ne lui avait pas connus jusqu’ici, simplement magique.
Beau succès de la part d’un public visiblement conquis pour une soirée entamée sous les lumières d’un show, et achevée, sans qu’on s’y attende, dans un grand moment d’intimité musicale.

Saint-Quentin-en-Yvelines. Théâtre, 17 novembre 2009. Antonio Vivaldi : Sinfonia en sol mineur pour cordes et basse continue RV 157 ; Concerto en sol majeur pour flûte traversière, cordes et basse continue RV 419. Georg Friedrich Haendel : Rinaldo, air d’Armida « Furie terribili » ; Giulio Cesare, air de Cléopatre « Se pietà di me non senti ». Antonio Vivaldi : Concerto en la mineur pour violoncelle, cordes et basse continue RV 419. Georg Friedrich Haendel : Lotario, air d’Adelaide « Scherza in mar la navicella « . Antonio Vivaldi : L’Olimpiade, recitative et air d’Aminta « Tra le follie diverse. Siam navi all’onde algenti ». Francesco Geminiani : Concerto grosso e, ré mineur n.12, La follia. Antonio Vivaldi : Farnace, air de Farnace « Gelida in ogni vena » ; Concerto en do majeur pour hautbois, cordes et basse continue RV 452 ; Griselda, air de Costanza « Agitata da due venti ». Michele Favaro, traverso et hautbois ; Francesco Galligioni, violoncelle. Simone Kermes. Venice Baroque Orchestra

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