jeudi 28 mars 2024

Richard Strauss: Symphonie Alpestre Lyon, Auditorium. Les 3 et 5 décembre 2009

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Richard Strauss
Symphonie Alpestre

Lyon, Auditorium Ravel
Les 3 et 5 décembre 2009.

Mozart, 4e concerto pour cor (David Guerrier)
Orch. national de Lyon. Direction : Jun Märkl

Tantôt on l’oublie, tantôt on la reprend au sérieux : l’ Alpestre (1915) de Richard Strauss, mi poème symphonique, mi musique à programme est aussi une passionnante leçon de lecture et d’écriture orchestrale. Jun Märkl a choisi en écho du cor omniprésent à cet horizon straussien le 4e concerto K.495 de Mozart et en a confié le solisme à David Guerrier.


Tartarin sur les Alpes ?

Interrogez votre moteur de recherche préféré pour savoir quel musicien a écrit : « Je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas une symphonie sur moi-même. Je me trouve aussi intéressant que Napoléon ou Alexandre» ? On va vous le dire tout de suite : c’est Richard Strauss l’insaisissable, l’auteur si double (divisé en soi-même ?) qui a pu écrire en 1909 Elektra – la modernité lyrique par excellence – et en 1911 Le Chevalier à la Rose – le délicieux opéra post-mozartien. Et encore restera-t-on ici – pour une partition de 1915 – en dehors du troublant débat sur l’ultérieure compromission du « plus grand musicien allemand vivant » avec le nazisme qui s’en servit mais qu’il servit (Hymne des Jeux Olympiques, Berlin 1936) « à l’insu de son plein gré» et jusqu’à la fin… « Considérations d’un apolitique » avait écrit le romancier Thomas Mann en 1918, avant de se consacrer au combat pour la démocratie puis contre le nazisme : un titre que R.Strauss aurait pu signer toute sa vie pour « s’excuser »… Oui, déroutant Strauss, même avant l’irréparable… La citation initiale concernait sa « Symphonie Domestique »(1904) dont on peut croire qu’elle est un autoportrait « familial en pantoufles » : en réalité une partition consacrée à « décrire » aussi bien les jeux d’enfant (Franz, 5 ans) que la vie conjugale (avec Pauline) dont une « scène d’amour » « décrit » une intimité qui pouvait irriter les prudes. Et dix ans plus tard une Symphonie Alpestre venait conduire les auditeurs en souliers cloutés sur les sentiers montagnards, pour toute une journée (« de l’aube à midi et puis minuit sur les monts »), en un Parcours Vita dont les spécialistes exigeants du « vrai Strauss » trouveront que cela sentait un peu trop le Guide Baedeker (le Guide Bleu germanique). Voire Tartarin (straussien) sur les Alpes, s’amuseront les lecteurs français du charmant roman d’Alphonse Daudet…


Et aussi Nietzsche….

Mais comme le réel est plus complexe ! En se documentant, on s’aperçoit que cette Symphonie dont seul subsiste du projet grandiose un premier épisode (lui-même proliférant : presque une heure de musique, avec un effectif de 125 instrumentistes) aurait dû se nommer…L’Antéchrist, en hommage au texte de Nietzsche : le récit « d’une purification morale par nos propres forces, la libération par le travail, le culte de la nature glorieuse et éternelle. » Chez Nietzsche donc : « Toi, ô mon vouloir, garde-moi de la petite victoire ! Toi, destinée de mon âme, réserve-moi pour un grand Destin ! Qu’un jour je sois prêt et mûr dans Le Grand Midi, pareil à une nuée grosse de foudre, au délice des flèches anéantissantes du Soleil ! » Cette journée d’excursion et de hors-sac en montagne révise donc à la baisse le programme « philosophique » dont les étapes naturalistes et les paysages demeurent métaphore du voyage de l’humain à travers le monde. Ainsi l’un des pères du « poème symphonique » (ou musique à programme, pittoresque ou philosophique : Zarathoustra, Don Juan, Une Vie de Héros, Mort et Transfiguration…) slalomait-il entre définition sérieuse et minimalisme d’intentions: « Pas autre chose, un programme poétique, que le prétexte à l’expression et au développement purement musical de mes émotions, et non une simple description de faits précis de la vie », écrivit-il à Romain Rolland…


Les cloches de vache et l’aérophone

Oui, curiosité que cette Symphonie Alpestre – sans les 4 ou 5 mouvements traditionnels, et récit comme d’une seule haleine en 23 fragments inégaux – et qui permet de « suivre » , comme si vous étiez dans votre Alpe estivale préférée un programme de moyenne et journalière randonnée. Vous avez pris votre ticket de promenade en groupe à l’Office du Tourisme de la station . On part très tôt – entre chien et loup de l’aube -, le soleil se lève derrière les crêtes vers lesquelles on monte, on passe en forêt, on chemine au long du torrent, tiens, une barre rocheuse et sa cascade, et puis des plaques de névés, beaucoup de caillasse, la moraine terminale du glacier, une petite peur avant le sommet, et là-haut, pause-méditation-et-casse-croûte, mais le mauvais temps annoncé par la météo de la veille (il y a l’âne sur le Mont-Blanc) ne serait-il pas en train de monter, donc on amorce la descente… And so on but, cool, the end will be happy. Même dans l’orage dont on s’abritera tant bien que mal, on pourra se raconter l’anecdote de Richard en répétition avec l’Orchestre de la création : après les coups de tonnerre et au milieu d’un pianissimo apaisant, un violoncelliste laisse tomber son archet, et le chef-compositeur demande gentiment : « Vous avez perdu votre parapluie ? ». Bien des traits rapportent l’humour tranquille de Strauss : serait-ce politesse de la complexité qui se masque ? Les 125 instrumentistes, un défi à la légèreté tant aimée par l’admirateur inconditionnel de Mozart ? « J’ai tout de même fini par apprendre à orchestrer », avouait Strauss. La démesure des 20 cors ? Oui, mais c’est dans l’ombre de Franz Strauss, le corniste chef de l’Orchestre à Munich, figure freudienne de Père terrible et indispensable… Le sérieux de la Nuit à la belle forme « en arche » ouvre et ferme l’Alpestre : récemment, le chef Philippe Jordan soulignait sa parenté avec l’Origine du Monde qui commence dans la Tétralogie l’Or du Rhin. (A propos, l’Alpestre est tantôt un rien délaissée au concert, tantôt choyée : l’exécution lyonnaise survient après 3 Parisiennes cet automne…). Et on a déjà vu le caractère crypto-nietzschéen du projet de cette étrange Symphonie. Alors, vivent les instruments qui fleurent bon la sonnaille, le troupeau, le gasthaus d’alpage et la tome fraîche : un aérophone, un glockenspiel, un tam-tam, un heckelphone, des cloches de vache, un orgue ! En somme, d’un côté « le réel, trop réel » si délectable « en temps (presque)réel », et pourtant au lointain d’horizon, gronde ce que le polémiste Karl Kraus appelait chez Berg « les catastrophes de l’âme ». Sans atteindre l’espace raréfié de la 6e de Mahler, mais tout le monde ne tutoie pas le sublime comme Gustav !


L’Enlèvement à l’œil de Dieu

A propos de cor…et de tome : sûrement en clin d’œil programmatique, le choix de Jun Märkl s’est porté, pour « accompagner » l’Alpestre, sur le 4e Concerto K.495, que Mozart écrivit en 1786 pour son ami et souffre-plaisanterie Leitgeb : cet instrumentiste de haut talent avait quitté Salzbourg pour tenter à Vienne sa chance en…ouvrant un commerce de fromages. Papa Leopold lui avait prêté de l’argent, Wolfgang intercéda pour un délai de remboursement, lui écrivit des concertos, le traita d’ « âne, bœuf et sot », l’humilia par plaisanteries pas toujours bien fines (en composant, Wolfie jette les feuilles par terre, et Leitgeb, à quatre pattes, les ramasse), ça c’est son côté mini-scato-sadique . On remontera sur les hauteurs avec l’instrument si pré-romantique-autrichien, qui dans le K.495 sonne poétiquement, parfois avec gravité ( Romanze), en un paysage émouvant sinon alpestre. David Guerrier, notre Drômois trompettiste-corniste national, y sera soliste plein d’énergie et d’âme. En Ouverture, celle de l’Enlèvement au Sérail, l’opéra où il y a un vrai sadique – Osmin -, un père noble et généreux –le Pacha Selim -, une Constance admirable d’amour et de liberté. Tout à fait le portrait d’une des filles de Madame Weber (Aloysia était partie plus tôt mais pas avec ce gueux de Mozart ) qui tenait sa pension, « A l’œil de Dieu » : il faudra une stratégie compliquée à Wolfgang pour ravir à la mère geôlière une Constance réelle. Le compositeur dira de ce combat : c’est l’« Enlèvement à l’œil de Dieu ». Très cher Amadeus !

Lyon, Auditorium, Orchestre National , direction Jun Märkl. Jeudi 3 décembre 2009, 20h30; samedi 5, 18h. W.A.Mozart (1756-1791), 4e Concerto pour cor (David Guerrier); Richard Strauss (1864-1949) : Symphonie Alpestre. Information et réservation : Tél.: 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com

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