vendredi 19 avril 2024

Saint-Jean d’Angély (17). Poitou-Charente, le 29 juillet 2006. L’European camerata. Le projet Britten 2006.

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Regrouper quelques amis musiciens, originaires de différents pays européens, autour de 3 à 4 projets spécifiques par an, en dehors des répertoires habituels des orchestres constitués ; dans des conditions différentes que celles des salles fermées ou des tournées familières : voilà la ligne musicale à laquelle se dévouent, depuis la fondation de leur ensemble en 1995, les membres de l’European camerata.

Un projet européen. A l’origine de cette aventure européenne, la volonté fédératrice de son concepteur,  le français Laurent Quenelle, violoniste au London Symphony orchestra (LSO) et résident à Londres.


Si l’avenir de l’Europe et l’essor de la musique semblent désormais possibles à partir des valeurs clés de l’échange, de la rencontre, de l’ouverture, de la confrontation et du dialogue entre les cultures européennes, le projet et le fonctionnement  habituel de l’ensemble conçu par Laurent Quenelle, ont intégré dès leur démarrage, ces valeurs pionnières. Voilà qui positionne la vie de cet orchestre  de chambre, telle un chantier musical, surtout humain, dont l’exemplarité nous paraît majeure.

Ajoutons aux valeurs que nous venons de préciser (fraternité, échange, partage),  les notions de plaisir et d’épanouissement. Car les musiciens de l’European camerata, orchestre de chambre composé de 15 à 20 instrumentistes, – à partir d’un noyau fidélisés de 30 musiciens-, font le choix de préserver chaque session, en plus de leur engagement comme membre d’un orchestre permanent.  Pour chacun, rien ne pourrait remplacer l’expérience de ce projet musical, tant le désir et le plaisir de se retrouver, pour jouer ensemble partition  commune, apporte bénéfices et dépassement individuels.

Cultiver d’évidentes affinités, approfondir le sens des œuvres, nourrir l’interprétation dans la confrontation des savoirs et des sensibilités, sont quelques uns des fruits de cette expérience collective. Les jeunes musiciens que nous avons rencontrés (la moyenne d’âge de l’orchestre est entre 25 et 35 ans), sont déjà professionnels. Ils travaillent au sein des phalanges prestigieuses de l’Europe musicale  : LSO, Orchestre de Paris, Staatskapelle de Dresde, Philharmonique de Liverpool… Tous ont déjà l’expérience du cursus professionnel. Lequel s’il est nécessaire dans la vie d’un musicien, n’en est pas pourtant, parfois, incomplet. Pour éviter routine et habitude, l’interprète aime éprouver ses limites, nuancer davantage sa palette stylistique par des expériences neuves.

Ici, français, anglais, allemands, espagnols, canadiens recomposent à leur échelle une Europe musicale, celle de l’avenir, fondée sur l’envie du partage et de la fraternité créative, sur l’amitié et aussi l’affection.
La session de travail dont nous avons été témoins, a montré comment le répertoire abordé gagne en richesse de sonorité, en investissement interprétatif et en conviction.

Le Centre de culture européenne de Saint-Jean d’Angély
. Un tel projet européen a trouvé à Saint-Jean d’Angély, un cadre prafaitement adapté à sa démarche. Le Centre de culture européenne, fondé en 1989 à l’initiative de la muncipalité et dirigé par Alain Onhewald, offre un lieu de travail idéal, d’autant plus légitime que l’Abbaye royale fondée par les bénédictins, met à disposition, l’ensemble de ses immenses bâtiments, salles, outils, personnels et capacité d’hébergement. En « résidence » , les membres de l’European camerata ont pu mener à terme, un projet en gestation depuis des années, consacré à la figure de Benjamin Britten. Localement, l’orchestre y aura trouvé un lieu de concert (l’église de Saint-Jean Baptiste), des salles de répétitions, surtout un lieu d’enregistrement, puisque le concert auquel nous assistions, n’était qu’une étape préparatoire à plusieurs sessions d’enregistrement menant à un disque Benjamin Britten dont la sortie est annoncée en janvier 2007, chez l’éditeur Ambroisie (Naïve). Le projet Britten  est d’autant plus opportun en cette année 2006, qui marque les trente ans de la disparition du compositeur britannique. Lire notre dossier Britten.

Un projet pionnier,  dont chacune des étapes, de juillet 2006 au début 2007, sera suivie par classiquenews.com. Envoyé spécial à Saint-Jean d’Angély, Alexandre Pham a suivi les répétitions de l’orchestre européen, assisté au concert du 29 juillet préludant aux sessions d’enregistrement pour le disque. Compte rendus et entretiens avec les membres de l’european camerata évoquent enjeux et valeurs qui sous-tendent un projet musical que classiquenews.com se propose de suivre pas à pas ;  de la session de l’été 2006 à saint-Jean d’Angély, aux prochaines étapes du projet Britten, comme le cd prévu début 2007, mais aussi la réalisation d’un film documentaire recueillant impressions et évolutions des interprètes à l’œuvre, sous la conduite du partenaire britannique de cette aventure pionnière, l’agence de communication Boilerhouse (postproduction, montage et édition annoncés en octobre 2006).

Le concert. Eglise Saint-Jean Baptiste d’Angély. Le  29 juillet 2006. Après 2h30 de train, depuis la Gare de Paris-Montparnasse, arrivée à Niort. Puis de là, par le TER, sur la route de Saintes, lieu musical plus connu que Saint-Jean d’Angély, arrivée après 40 minutes, au lieu dit, berceau du complexe bénédictin qui est aujourd’hui la résidence du Centre de culture européenne, institution unique en France, et depuis modèle d’autres centres au même objectif, dans d’autres pays du monde. Ici, le dialogue des cultures, l’apprentissage de l’altérité comme valeur d’épanouissement personnel sont des valeurs cruciales. Elle sont transmises au travers de séminaires et d’ateliers, tout au long de l’année, auprès des lycéens. Lire à ce propos notre entretien avec  le directeur du centre Alain Onhewald.

Le programme du soir montre les qualités de son, de couleur, d’homogénéité de l’ensemble de chambre,  fondé par Laurent Quenelle. Les instrumentistes dont altos et violons jouent debout, sous l’aile stimulante de « leur grand frère » (ici pas vraiment de chef), le violoniste du LSO, déploient brillance, transparence, finesse de jeu mais surtout  les fruits d’un lyrisme généreux, qui, jamais vulgaire, s’accomplit en vagues contrôlées. Le programme est dense, à l’image de la qualité des partitions. Voici un Britten fulgurant, poète, ébloui et donc éblouissant, habité par des visions intérieures d’une exceptionnelle intensité de tons, de climats, d’expression.

La Simple Symphony (opus 4, 1934) dévoile une palette de climats éthérés, d’un romantisme sublimé, qui n’empêche pas d’irrésistible pointes facétieuses (ainsi les playfull pizzicato,  puis le frolicsome finale, à l’esprit haydnien, superbement brossé avec humour et élégance !). Surtout les deux portraits dont celui autobiographique, affirment l’inspiration du compositeur, en éclairs et en visions d’une originalité absolue. L’imagination de l’auteur sait aussi se concentrer dans les replis de l’âme comme l’atteste le second mouvement de cet autoportrait. La valeur de l’interprétation est d’autant plus convaincante que l’orchestre accompagne le jeu de l’altiste Jean-Paul Minali-Bella qui, pour le concert, a substitué son instrument habituel par l’arpegina. Il est l’unique joueur de cet instrument singulier, qu’a construit pour lui le luthier Bernard Sabatier. Ici, un alto augmenté d’une cinquième corde (mi grave) dont la richesse et la profondeur harmonique éclaire d’un nouveau regard, ce chant de la solitude.

Mais l’itinéraire du concert n’était alors que préparation vers cet accomplissement mémorable que furent les variations sur un thème de Frank Bridge (opus 10). Britten eut la révélation de la musique comme compositeur, en écoutant la suite symphonique la mer de Bridge. C’est l’hommage rendu à son mentor qui s’exprime ici, sur le mode des mêmes éblouissements intérieurs, préalablement vécus grâce aux œuvres antérieures.  L’european camerata traverse cette série de tableaux fulgurants avec la même sûreté, cette aisance fluide et transparente,  l’attention portée aux moindres indications des climats successifs, qui avait scellé la réussite de son album Honegger/Chostakovitch (enregistré en  Août 1998 à Menton pour le label Syrius). Les instrumentistes contrôlent la tension, construisent une architecture ponctuée d’ombres et de lumière, de gouffres et de vertiges spirituels, d’une incontestable plénitude.  Chacune des épures y est restituée dans son intensité de ton : ironie de la valse viennoise (variation 6),  charge parodique de l’aria italiana (variation 4), trémolos époustouflants du moto perpetuo (variation 7), glissandi lugubres de la marche funèbre (variation 8). A l’origine Britten avait composé ses variations pour les membres virtuoses de l’orchestre à cordes Boyd Neel qui créèrent ce polyptique en dix constellations musicales,  aux reflets nocturnes, poétiques, sublimes, au festival de Salzbourg de 1937. Les instrumentistes de l’European camerata  succèdent à leurs illustres devanciers, avec élévation et honneurs. Le ton est juste. Les couleurs, intérieures. Le parcours, incarné, sensible, d’une évidente justesse. Surtout cette richesse harmonique qui s’appuye sur une puissante assise des graves. Voilà qui augure idéalement de leur prochain disque, suite naturelle du concert de Saint-Jean.

Approfondir
http://www.europeancamerata.com
http://www.cceangely.org
http://www.boilerhouse.co.uk/boilerhouse

Cd
Honegger, prélude, arioso, futhette sur le nom de Bach, concerto de camera pour flûte, cor anlgais et orchestre à cordes. Janne Thomsen (flûte), François Leleux (cor anglais). Chostakovitch, prélude & scherzo, opus 11 ; Symphonie de chambre pour ochestre à cordes, opus 110a. European camerata, direction : Laurent Quenelle. 1 cd Syrius. Enregistré en août 1998 au théâtre de l’Europe à Menton.

Benjamin Britten
, Simple symphony, variations sur un thème de Franck Bridge, deux portraits. Jean-Paul Minali-Bella (arpegina), European camerata, direction : Laurent Quenelle. A paraître début 2007.

Illustrations
vignette : les tours du portail de l’église abbatiale, XVIII ème siècle, jamais achevée.

Crédits photographiques 
Alexandre Sauvaire 2006

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