vendredi 19 avril 2024

Saint-Etienne. Opéra-Théâtre, le 19 octobre 2010. Giuseppe Verdi : Rigoletto. Victor Torres, Olivera Topalovic, Jean-François Borras,… Laurent Campellone, direction. Guy Joosten, mise en scène

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La grève se poursuivant, à Saint-Etienne également les techniciens de l’Opéra-Théâtre ont décidé de suivre le mouvement, privant ainsi la représentation de ce mardi 19 d’une grande partie de sa mise en scène. Seul demeure le décor de fond du troisième acte, un pont vu du dessous, là où se terre le terrible Sparafucile et sa sœur Maddalena. La soirée débute comme une version de concert, les chanteurs, vêtus de somptueux costumes Renaissance – ici un bal masqué –, étant assis en cercle sans bouger. Puis la scène commence à s’animer, la vie prend peu à peu possession du plateau, prudemment d’abord, chacun improvisant de son mieux, pour aboutir à une complicité entre les artistes et un naturel dans les gestes qui font oublier les conditions difficiles dans lesquelles se déroule le spectacle. Les personnages sont vêtus de costumes d’aujourd’hui, imperméable et costume de clown pour Rigoletto et blouson de cuir pour un Duc ayant tout du rocker, ces figures sont nos contemporains.
Sonore et percutant, Alain Herriau incarne un Monterone impressionnant d’impact, tandis qu’Evgueni Alexiev se révèle un Marullo très présent.
Superbe voix de contralto aux courbes généreuses et au grave puissant, la superbe Kismara Pessatti met son talent au service d’une Maddalena provocante et voluptueuse, aguicheuse à souhait.
Sparafucile inquiétant et menaçant, la basse française Jean Teitgen surprend par son instrument puissant et sombre, au timbre caverneux et au grave abyssal comme on n’en avait plus vu depuis longtemps en France.
En Duc orgueilleux et jouisseur, Jean-François Borras confirme les espoirs placés en lui. Déjà très applaudi dans Gérald de Lakmé l’an dernier à Rouen à la même époque, il déploie ici d’autres atouts : un métal rare, riche et arrogant, et des aigus puissants, parfaitement timbrés, portant loin dans la salle, jamais forcés. Et toujours le même raffinement dans la voix mixte – dont il se sert moins ici – et la musicalité qu’on lui connaît. Sans conteste, un des ténors lyriques les plus prometteurs du moment, dont la carrière commence, avec raison, à prendre son essor.
Fragile et touchante Gilda, la jeune serbe Olivera Topalovic semble peu à l’aise, compte tenu des imprévus ayant bouleversé le cours du spectacle. La voix, très jolie au demeurant, sonne serrée, le larynx haut et le souffle un peu court. Mais elle délivre néanmoins un superbe « Caro nome », entamé timidement, et achevé dans une belle facilité d’émission, avec un legato superbe et des aigus enfin libérés, s’élevant avec ampleur et montrant les réelles possibilités de son instrument.

Victor Torres, somptueux Padre Jose dans Magdalena de Villa-Lobos au Châtelet, offre un Rigoletto aux couleurs inhabituelles. Car son timbre lumineux, velouté et caressant, associé à sa stature de géant bienveillant, se déploie mieux dans la douceur et la tendresse que dans la force et l’impact dramatique. Ce qui nous vaut des scènes bouleversantes entre le bouffon et sa fille, rarement l’amour du père pour son enfant ayant été aussi palpable. C’est également dans ces scènes que le baryton argentin peut faire admirer le mieux sa maîtrise du legato et des pianissimi, tout cet art d’orfèvre que maîtrisent bien peu de titulaires du rôle. La mort de Gilda est à ce sens mémorable, le désespoir de Rigoletto étant rendu avec sincérité et finesse, tout en retenue, de celle des grands interprètes. Le comédien est également à saluer, ne cédant jamais à la facilité du cabotinage, traçant les traits d’un clown triste profondément émouvant.
Excellents Chœurs Lyriques,
d’une belle homogénéité et d’un grand investissement scénique.
A la tête d’un Orchestre Symphonique de Saint-Etienne à la sonorité somptueuse, le directeur musical de la maison, Laurent Campellone, propose une lecture très fine de la partition, modelant les lignes orchestrales avec précision, osant des crescendi d’une efficacité dramatique redoutable, et débarrassant l’œuvre de toute lourdeur, y compris durant la tempête du troisième acte, véritablement inquiétante. Une soirée risquée, véritable défi pour tous les artistes, mais pari remporté haut la main.

Saint-Etienne. Opéra-Théâtre, 19 octobre 2010. Giuseppe Verdi : Rigoletto. Livret de Francesca Maria Piave. Avec Rigoletto : Victor Torres ; Gilda : Olivera Topalovic ; Il Duca di Mantova : Jean-François Borras ; Sparafucile : Jean Teitgen ; Maddalena : Kismara Pessatti ; Monterone : Alain Herriau ; Marullo : Evgueni Alexiev ; Borsa : Vincent Delhourme. Chœurs Lyriques et Orchestre Symphonique de Saint-Etienne. Laurent Campellone, direction musicale ; Mise en scène : Guy Joosten. Réalisation de la mise en scène : Carlos Wagner ; Décors : Johannes Leiaker ; Costumes : Karine Seydtle ; Lumières : Chris Van Der Auwera

Illustration: © Sigrid Colomyes
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