jeudi 18 avril 2024

Rossini: Colbran, The Muse. Joyce diDonato, mezzo (Müller, 2009). 1 cd Virgin classics

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Joyce DiDonato est Colbran

Après un récital haendélien, où elle chantait entre autres Alcina, « la Donato » nous revient en rossinienne accomplie, d’autant plus attendue qu’elle chante en juin 2010 à l’Opéra de Paris, un opéra peu joué, « La donna del lago »: si Cecilia Bartoli se passionne pour Maria Malibran, Joyce DiDonato s’enflamme maintenant pour une autre diva romantique, Isabella Colbran qui fut la muse et la première épouse de Rossini. L’ancienne cantatrice, vedette au San Carlo de Naples de 1811 à 1825, séduit le jeune Rossini qui livre plusieurs opéras sur la scène napolitaine à partir de 1815… Ils se marient en 1822… pour divorcer (rupture scandaleuse à l’époque) en 1837. Pour son aimée, Rossini écrit Otello (1816), Armida (1817), Maometto Secundo (1820)… entre autres, personnages présents dans le récital.

« Tessitures étranges », « tempérament fougueux », sur les traces de son aînée inspiratrice, l’engagement de l’actuelle mezzo est indiscutable, d’un raffinement de couleurs jubilatoire, qui fait la réussite de ce programme exaltant. Même si son irrégularité légendaire mettait en péril certaines performances (Stendhal ne l’appréciait guère), la Colbran s’imposait cependant par son implication en tant qu’actrice… « Tanti affetti » puis « il padre »…, second et troisième air d’Elena de La Donna del lago démontre immédiatement la sensibilité et l’art des nuances vocales dont est capable la diva américaine.
L’agilité et la justesse musicale font merveille: « la Donato » est bien au sommet de sa carrière : ses possibilités sont immenses dans les acrobaties comme dans l’abattage. Vraie grande rossinienne d’aujourd’hui, réussissant cette alliance exceptionnelle de la technicité et de la couleur…. sur les pas d’une Berganza. La comparaison n’est pas mince et laisse promettre un accomplissement dans le rôle rossinien en juin prochain, pour Elena, Donna del lago sur la scène de Garnier.

Rondeur déchirante de la prière d’Anna: « Giusto ciel, in tal periglio » (Maometto II) réclamant par la justesse de sa coloration déchirée, la pitié ciblée, demandée, implorée par la chanteuse… ; gestion de la ligne et du souffle, égalité et soutien du timbre sur tous les registres, ductilité des passages et surtout diversité des couleurs et des inflexions dans la chatoyance du timbre: Joyce DiDonato n’est pas seulement une formidable acrobate, c’est en liaison avec ses facilités de tragédienne chez Haendel, une interprète soucieuse du texte, des phrases. Son Elisabetta, regina d’Inghilterra est stupéfiante de grandeur et d’humanité: quelle actrice, signifiante par le verbe et la profondeur des teintes vocales en correspondance! C’est une souveraine comblée d’amour qui palpite: l’idéal vocal rossinien s’y déverse dans l’extase et la mesure (avec une cadence inspirée de la Rosina du Barbier, que la diva nuancée sait colorer avec délices!).

Même figure politique ravie par une pure, irrésistible et rayonnante affection au retour de son aimée, Arsace: Armida ressuscite en un air solaire qui lui permet de déposer toute esprit haineux et grave (« Bel raggio lusinghier… »). Caractère plus sombre et serré pour une Desdémone (Otello) affligée mais toujours digne et pure… qui partage la douleur du gondolier (Lawrence Brownlee, un peu affecté), puis exprime avec une grâce articulée inouïe, l’air du saule… magistrale incarnation de la diva actuelle.

Diva rossinienne

Ultime dévoilement de ses formidables capacités expressives: la bouleversante impuissance d’Armide, qui répond par dépit et amertume, aux accents d’une si humaine haine: sens du verbe, justesse et précision des couleurs vocales là encore, économie et clarté des moyens filigranés: aucun pathos ni appui. Que le naturel palpitant du texte qui fulmine en une apothéose de hargne destructrice.
La performance est magistrale. Voici le meilleur récital discographique de Joyce DiDonato. L’événement cd dans le registre des récitals lyriques, de juin 2010.

Excellent récital dont l’éclat psychologique et le raffinement vocal couronnent Joyce DiDonato telle la meilleure rossinnienne de l’heure. Son art stupéfiant nous rappelle ce que signifie coloratoure: l’art de colorer non de paraître dans l’artifice des roucoulades à l’infini. Ce tact et ce goût distingue Joyce DiDonato parmi ses si nombreuses consoeurs, elles aussi mais de moindre manière, candidates aux palmes rossiniennes. Seul bémol : dommage que le geste parfois épais et théâtralisé du chef ne suive pas la maîtrise des nuances de la diva assoluta.

Gioachino Rossini: Colbran, the Muse. Joyce DiDonato, mezzo soprano. Airs d’opéras: Armida, La Donna del Lago, Maometto II, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Semiramide, Otello. Orchestra e Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia de Roma. Edoardo Müller, direction.

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