Extase romaine
Ils ont osé ce que nul avant eux n’avait réalisé: défier (et pour partie égaler) l’interprétation de pièces jusque là éternisées par leurs ainés baroqueux (Christie, Junghanel…); prenez la cantata a 5, majeure et singulière, signée Luigi Rossi (1597-1653): Un peccator pentito, Un pêcheur pénitent (créée entre 1641 et 1645 pour l’Arciconfraternita di San Girolamo della Carità). Véritable chef d’oeuvre de caractérisation dramatique, d’une très haute spiritualité: opulence souple du continuo, relief articulé des voix soulignent le tempérament théâtral du napolitain qui a travaillé pour les Barberini à Rome. A contrario du visuel de couverture assez mal choisi (statisme irradié de la Madeleine de Guido Cagnacci, vers 1663: plus tardive, moins ambivalente que les partitions jouées), le style de Rossi comme de Carissimi sont d’une mobilité spirituelle confondante, agile dans leur dynamisme contrasté, entre tourment et extase, pour reprendre le titre de l’album, lui-même emprunté au roman d’Irving Stone.
La prière du très coupable pêcheur (Joao Fernandaes fait une superbe basse chantante), de son comparse prêt à surenchérir en forfanteries (alto masculin un peu moins assuré néanmoins); leur « confrère » en lamentations, le ténor lui assuré plutôt assuré… tout cela compose en gradation progressive l’un des lamentos collectifs, celui des brigands pénitents, parmi les plus captivants du baroque romain.
Louons les chanteurs, tous souvent admirablement intelligibles, ciselant une langue continûment concrète et présente… des qualités d’implication et d’intonation qui nous avaient précédemment convaincus dans leur précédent album dédié à José de Nebra (Amor aumenta el valor, Alpha) .
Basculement éloquent et si didactique dans son renversement expressif… De la supplique première à la repentance, toute une arche émotionnelle se réalise dans cette cantate datée vers 1643, où Rossi écrit une série d’épisodes dont le souffle et les effets musicaux servent toujours la projection du texte; ici, il ne s’agit pas d’une indiscutable arène de voix supersolistes (comme dans la version de Christie où éblouissait le soprano d’Agnès Mellon: oratorio per la Settimana Santa) mais bien d’un collectif dont on apprécie le mordant agissant des timbres. Jusqu’au madrigal où règne le pur pardon, le texte de Lotti et la musique de Rossi accomplissent un véritable prodige dramatique dont l’efficacité et le caractère fulgurant se rapprochent des oeuvres mères de l’immense Carrissimi; il est donc très pertinent de coupler au chef d’oeuvre de Rossi, cet autre accomplissement qui est Jephté de Carrissimi (et qui est postérieur à la cantate du Pêcheur Pénitent: 1649).
La science des compositeurs romains, poings levés de la Contre-Réforme pour la reconquête des âmes ferventes perdues, s’entend ici avec acuité.
Le Mazzochi, très court, moins de 4 minutes, bénéficie d’une cohérence accrue des chanteurs plus stables vocalement et plus unis dans les ensembles.
Introduite par le Passacaglio de Biagio Marini, d’une tendresse lacrymale, Jephté confirme les qualités des Musicos de su Alteza telles qu’elles se précisent dans cet enregistrement réalisé à Saragosse en septembre 2010:
ligne parfois instable des voix exposées (l’historicus d’Inigo Casali; aigus peu sûrs et tremblés de la fille du général: Olala Alleman…), mais très belles inflexions collectives (les parties du narrateur dévolues au choeur féminin, comme aussi l’excellente basse);
