dimanche 27 avril 2025

Robert Schumann, sonates pour violon et pianoFrance Musique, le 23 juin à 10h

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Lorsque Schumann écrit en une semaine (du 26 octobre au 2 novembre
1851) sa seconde sonate pour violon opus 121, nous sommes à trois
années de sa tentative de suicide dans le Rhin. Après Dresde, c’est
Düsseldorf où il tente à nouveau d’être directeur musical mais c’est
encore l’échec, une fuite dans la vie de Schumann jusqu’à l’asile
d’Endenich. Il serait frappant d’imaginer un lien entre cette fuite
dans le mal-être, bientôt noyée dans les eaux du Rhin, et l’écriture
fuguée, envahie de modulations chromatiques ascendantes, de cette
seconde sonate. En faire une brève analyse aide à l’écoute de
Schumann.

Un violon comme un « je » enfermé dans un autre « moi » qu’est le piano
Tout
dans cette œuvre est épique et étouffé, dans le même temps. Tout
signale une course pour fuir et mène vers une prison pour mourir. Le
violon est étouffé, il est dans le couvercle du piano, au centre de son
harmonie, sombre, toujours sur la corde de sol. Le piano comme la
conscience tourmentée du compositeur l’emprisonne. Ce violon, ce n’est
pas qu’il ne sonne pas, ni qu’il ne représente pas le « je » intime du
compositeur, ce n’est pas que Schumann ne maîtrise pas l’écriture du
genre, c’est même une conception habile et organistique, une idée
originale que de placer l’instrument ainsi, au milieu, comme une tierce
en taille (un jeu d’orgue qui parle au ténor au milieu d’un
accompagnement de la basse et du dessus) : cela sonne comme une voix
qui voudrait fuir à l’extérieur du tourment et qui ne le peut pas.

Des thèmes qui n’en forment qu’un seul
Ce
sera la même chose pour les quatre thèmes de la deuxième sonate. Car chaque
mouvement n’a qu’un thème d’où naît tout le reste. Le premier
mouvement, en ré mineur débute en introduction sur un arrachement du
matériel à des accords douloureux et quand l’allegro vif est lancé, il
devient une fugue plus qu’une forme sonate. On entend bien, faussement
un premier thème, un second thème, un développement, mais tout est la
même chose, jusqu’au contre sujet, tout est une seule idée, très
symbolique d’ailleurs : sous une basse en forme de marche fatidique du
tétracorde ascendant (typique de Schumann), le violon grave rugit un
motif lourd en forme de croix, qu’il enchaine avec un contre-sujet en
double croches serrées, une chute abattue puis un appel tragique sur
un arpège grimpant vers une issue aigue, contrepoint qui ne quitte pas
le terrain jusque dans le second thème soi-disant plus serein mais en
réalité une chute très tchaïkovskienne : du désespoir ! Le piano
l’entonne, tandis que le violon sous cette plainte agonise. Tout
s’enchaîne à la manière d’une fugue (Schumann était nourri à l’écriture
de Bach) et pourtant sans laisser le temps au thème de finir et à sa
réponse de débuter, tout est précipité. Cette façon d’atomiser en
plusieurs cellules et plusieurs fonctions narratives, une seule et même
idée, ajoute au sentiment d’impossible issue. La coda emportée, à la
façon de certaines codas beethovéniennes, laisse plus angoissé encore
puisque la fuite n’a pas d’alternative.

Le scherzo en si mineur,
glacé, entre Schubert et Brahms, un thème ternaire de balade sur de
lourdes basses, emprisonne autrement le violon dans l’unisson du piano.
Quelques douloureuses répétitions en doubles croches le fond frémir
sous les lourdes chaînes de son geôlier. Une pédale harmonique en
triolets crée un appel de glas : trompettes de la mort ? Cloches
lugubres ? Au milieu de cette obstination, le thème tourne autour de
lui-même, c’est une hésitation martelée. La pièce module du mineur au
mineur (fa dièse) pour le premier trio, très sensible , et reste dans
le même ton pour le second, très lyrique. Puis c’est une modulation en
do majeur, ce majeur qui chez Schumann est dramatique et encore plus
triste que le mineur et le thème obstiné du scherzo revient. C’est bien
de la mort dont le compositeur nous parle.

Comme s’il
s’agissait d’une œuvre religieuse, le troisième mouvement en ré majeur
est un choral varié que l’on rapproche du thème « Gelobet seist du Jesu Christ ».
Nous sommes au paradis, le violon y est plus cristallin. Le thème naît
de loin en pizzicato, puis il est varié une première fois comme dans un
choral de l’ « Orgelbüchlein » de Bach ; variant une deuxième
fois, le violon se pare de la polyphonie et l’accompagnement se fait en
accords chaleureux et émus comme dans un nocturne de Chopin,
l’inquiétude qui s’annonçait dans les syncopes du piano éclate enfin
dans la troisième variation en si mineur. Les trompettes lugubres de la
ballade du scherzo retentissent dans les mains du piano, et le violon
répond par des appels (source du thème du dernier mouvement) puis il
varie la deuxième partie du choral en doubles croches qui tournoient
autour des notes réelles, annonçant déjà la manière dont Brahms
ornementera à l’orgue le choral « Es ist ein Ros’entsprüngen ».
Le thème revient pour une dernière fois, en majeur, romantique, avec
des sixtes au violon et le piano parcourt sa largeur entière dans des
arpèges scintillants. Le violon s’éteint en bas sur le sol grave
répétant comme un fantôme apaisé les sonneries du scherzo.

On
comprendra qu’après cet espoir religieux mais, in fine, moribond (ou
bien Schumann se voyait déjà dans l’Au-delà au milieu des anges ?) il
faudra le retour à un thème douloureux en ré mineur pour le final. Cela
semble comme un battement du cœur ou surtout un appel en quinte
ascendante retombant sur lui-même, suivit d’un affolement : comme au
premier mouvement c’est un grand arpège mais dans un sens
symboliquement inversé : il monte vers l’espérance et retombe sur le
désespoir. Que chaque idée naît de la précédente réitère la situation
du premier mouvement : l’une d’elle reproduit l’appel de quinte
ascendante pour le faire suivre d’un motif tragique, puis une autre lui
fait grimper les degrés de l’échelle de la gamme en rampant comme dans
les marches modulantes et angoissées du premier mouvement. Sans jamais
quitter la pulsation épique, l’œuvre finit en majeur. Mais, c’est
encore de ces majeurs qui n’éclaircissent pas et marquent le coup
d’arrêt final, ce plus d’énergie en bout de souffle pour une course qui
ne peut aller plus loin.

La troisième sonate de Schumann
porte un numéro d’opus posthume, elle n’est que rarement signalée,
absente du disque, de l’édition musicale usuelle, des dictionnaires.
Elle est de toute évidence l’originalité de la prestation de nos deux
musiciens et la découverte de votre écoute. A vous d’en découvrir les
clés.


Concert Robert Schumann



Le Musée d’Orsay offre le premier cycle musical d’envergure dédié à
Robert Schumann, d’autant plus opportun en 2006, année anniversaire des
150 ans de la mort du compositeur.

Au programme :

Nemanja Radulovic, violon
Susan Manoff, piano

Robert Schumann
Sonate n° 2 pour violon et piano opus 121
Sonate n° 3 opus posthume

Concert enregistré au Musée d’Orsay,
le mardi 6 juin 2006 à 12h30.

Illustrations
Caspar Friedrich, trois paysages crépusculaires

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