samedi 20 avril 2024

Rihm, Widmann, Webern. Ensemble Intercontemporain. Cornelius Meister, directionLyon. Auditorium Ravel, mardi 15 janvier 2013

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Cornelius Meister, direction
Rihm, Stücke, Widmann

Lyon. Auditorium Ravel
Mardi 15 janvier 2013

L’Intercontemporain, réinvité par l’Auditorium pour immerger le public lyonnais dans un programme de musique XXe-XXIe, centre son concert autour de Wolfgang Rihm : immense musicien, mais finalement est-il si connu de ce côté du Rhin ? Jagden und Formen, vaste partition symphonique à l’écriture complexe, a aussi une dimension symbolique et imaginaire. Cornelius Meister dirige aussi Freie Stücke de Jorg Widmann, et l’op.21 de Webern.


N’écoute que ta propre voix

Voyez comme la fama (de la composition) – en latin, la réputation – vous joue parfois de mauvais tours ! Il a suffi que Wofgang Rihm, l’un des plus importants créateurs de la musique allemande, signe un manifeste « Vers la nouvelle simplicité » pour qu’on le catalogue dans le néo-tonalisme, voire un post-post-romantisme un rien simplet, à moins que cela ne dérive vers quelque acclimatation répétitive. C’était … en 1981 (il atteignait la trentaine), et 32 ans plus tard, W.Rihm, traçant sa route comme l’un de ses maîtres, K.H.Stockhausen, le lui avait appris – « N’écoute jamais que ta propre voix » – peut regarder son œuvre – un chiffre de partitions tendant, semble-t-il, vers les 400 ! – comme un parcours jalonné selon la liberté… de créer, sans souci de plaire au plus grand nombre (qui contient un assez fort coefficient de paresseux dans l’écoute). Et à chaque Poteau Indicateur – pour reprendre un titre du Voyage d’hiver, au cœur de ce romantisme dont le compositeur allemand se sent un très légitime héritier -, il est vrai que W.Rihm a choisi des chemins exigeants, dans le risque de la pensée qui parfois vacille : en témoignent ses œuvres – opéra ou recueils dans le prolongement du lied – qui parlent aux frontières de la déraison….

Les airs de la folie

Le plus « connu » de ces textes avait en effet donné lieu à l’écriture d’un opéra (de chambre) que Lyon représenta en 1997 :(Jacob) Lenz , du nom de ce dramaturge( 1751-1792) qui créa plusieurs pièces capitales au temps du Sturm und Drang, et fut un errant dont le Voyage d’hiver s’acheva dans les rues de Moscou, via des moments de délire dont Georg Büchner(l’auteur de Woyzeck) conta l’étrange poésie dans un récit capital pour la compréhension du romantisme. Qu’on (re)lise l’inoubliable début de cette errance hallucinée : « Il sentait une pression en lui, il cherchait quelque chose, comme des rêves perdus, mais il ne trouvait rien. Tout lui paraissait si petit, si proche, si mouillé, il airait voulu poser la terre derrière le poêle. » Mais Rihm a toujours été fasciné par les limites de l’irrationnel, qu’il s’agisse donc de Lenz, ou d’Antonin Artaud, d’Hölderlin, de Nietzsche ou du peintre-musicien schizophrène A.Wolffli.

Palimpseste

On pourrait dire que sa formation du temps de Darmstadt et des cours de le portait vers une organisation rigoureuse de la pensée musicale, mais qu’ensuite la conception de Boulez la tradition allemande dans l’œuvre d’art totale – Stockhausen – l’emmenait dans le sens d’une durée comme d‘une synthèse symbolique. Et qu’aussi un maître comme Klaus Huber le dirigeait à la fois vers la subtilité de la couleur sonore et un sens « moral » de l’œuvre, tout comme Luigi Nono…On y ajoutera la notion de cycle dans les œuvres, mais augmentée sinon par l’idée de « work in progress », du moins par celle du palimpseste (le manuscrit initial et ses versions superposées après « grattage » de la forme première), qui donne lieu à une « surécriture » et un désir de perpétuel recommencement.

Le Chasseur Français

Jagden und Formen (commencé en 1995) souligne, comme l’explique J.N.von der Weid, « une contradiction du titre entre rapidité ou mouvement (Jagden) et la placidité, où la permanence (Formen) est évacuée par une métamorphose de l’image d’une poursuite en la métaphore de la chasse à une forme illusoire. » « Œuvre qui contient, disait le compositeur à P.Gervasoni, différents états de musique, qui est générative, sans cesse à retravailler ». On ne peut oublier dans le premier terme (chasses) une notion qui a sa place décisive dans l’imaginaire allemand – Weber, Schubert, Wolf … -, et qui relègue notre « Chasseur …Franchouillard » au rang d’un dérisoire folklore pour lobby électoral. On y reconnaîtra surtout l’écho angoissant de Lenz poursuivi par ses terreurs : « Il lui semblait que quelque chose était à ses trousses, effrayant et qui devait le rejoindre, une chose que nul homme ne pouvait supporter, comme si la Démence le pourchassait, montée sur ses chevaux. »

Dans la musique tout est pathétique

Partition longue – presque une heure -, Jagden und Formen requiert 24 instrumentistes (dont 13 bois et vents, 3 percussions, 1 harpe et 1 piano), et – comme la décrit Jean-Marie Huber – « démarre par un signal de la percussion qui revient à lâcher les chevaux ou les chiens de la chasse (à courre), les violons font entrer dans un jeu d’abord amusé puis plus ambitieux, un cheminement dans un canon de moins en moins ordonné… L’humeur changera constamment, de gaieté à nervosité ou exaltation jubilatoire. » Cette musique-là paraîtra bien à l’image de ce qu’a toujours été la recherche de Rihm, à l’affût des tensions, des ruptures, d’un expressionnisme dont le langage (« dans la musique, tout est pathétique », dit-il) émeut l’auditeur en le rapprochant d’un romantisme sans âge. « Jagden : un continuum de haute qualité cinétique traversant de nombreux champs stylistiques identifiables : volutes bouléziennes, tourbillons spectraux, boucles répétitives, riffs jazzy » (P.Gervasoni).

Un clarinettiste et des pièces libres

Plus formaliste, et en tout cas moins chargé de symbolique, apparaîtra Freie Stücke, un ensemble de pièces courtes écrites par Jörg Widmann il y a dix ans. Né en 1973, le compositeur a eu pour maître en composition… Wolfgang Rihm. Il est resté un clarinettiste hors pair, interprète en musique de chambre qui joue avec, entre autres, un Heinz Holliger – lui aussi hautboïste d’exception avant de devenir le chef et surtout le compositeur que l’on connaît bien à Lyon. Jörg Widmann décrit ainsi ses « Pièces libres », « animées par le désir de liberté, un kaléidoscope de concentration et de réduction. Chacune a pour sujet un phénomène sonore particulier (pulsation, basse changeante, bruit, monophonie, structures d’harmoniques…) Cependant elles sont toutes attachées les unes aux autres, la fin de chaque (ou son miroir) constituant le début de la suivante. Ainsi le disparate devient un réel continu. Si elles sont brèves, donc réduites dans leur dimension horizontale, elles s’avèrent au contraire opulentes sur le plan vertical par rapport au reste de ma production. Et c‘est ma première véritable œuvre pour ensemble instrumental (9 vents, 5 cordes, 2 percussionnistes). »

Un classique, appels et chants d’oiseaux

Le lien avec ce qui est devenu un classique du XXe semblera sans doute fort naturel : l’Intercontemporain a choisi le pré-écho de la Symphonie op.21, écrite par Webern en 1928. L’écriture sérielle est là au plus haut degré d’ une objectivité que trois quarts de siècle après la création nous pouvons cependant connoter d’autres références. Dans ces deux mouvements – Webern avait prévu un 3e temps, mais y a renoncé -, « l’abondance de grands intervalles et des silences, écrit Dominique Jameux, a pour mission d’isoler le son ; il y a naturellement klangfarbenmelodie (jeu de mélodie et de timbre), d’autant plus que les motifs sont très fractionnés. Mais là où dans l’op.6 cela prenait valeur décorative et sensuelle, c’est ici la valeur structurelle qui s’impose. » Maintenant que l’orthodoxie un rien puritaine des années 50-60 s’est éloignée, on n’en voudra pas à l’auditeur, sans abandonner la description « technique », de recourir à des images plus liées à la nature et au « ressenti » psychique. Pourquoi, sans céder à un expressionnisme hors du sujet, ne pas évoquer des chants d’oiseaux (la triade d’un chant, fugitivement ?), des appels au milieu du silence, de la raréfaction dans l’espace ?

Un art sévère et ses interprètes

Cet art sévère ne « raconte » évidemment rien, mais il peut renvoyer à d’autres entre-deux-mondes, et pourquoi pas, aux tentatives bien antérieures de la poésie mallarméenne, quand l’auteur du Coup de Dés joue à la non-abolition du Hasard, et « étoile » la page de son poème selon des lois aussi belles qu’ésotériques : « la structure où s’étendre, idéale, où tout devient suspens, disparition fragmentaire avec vis-à-vis ou réciprocités qui convergent en rythme total… »
L’institutionnel – sans oublier sa dimension désormais mythique – Intercontemporain est en sa 35e année, depuis que Pierre Boulez l’a fondé comme instrument-révélateur des musiques de l’aujourd’hui. Le jeune chef allemand Cornelius Meister, né si peu de temps après…l’Orchestre français qu’il est ici appelé à conduire, a dirigé plusieurs ensembles prestigieux dans son pays, en Autriche et en Europe du nord-ouest. Ce pianiste de formation est aussi un fervent de l’opéra (Mozart, Strauss, Wagner, Puccini), et il sera intéressant de le voir dans les musiques plus austères que lui confie la directrice de l’Intercontemporain, Susanna Mälkki…

Lyon, Auditorium Ravel. Mardi 15 janvier 2013, 20h. Ensemble Intercontemporain, dir. Cornelius Meister. Anton Webern ( 1883-1945), Symphonie op.21. Wolgang Rihm (né en 1952) : Jagden und Formen. Jörg Widmann (né en 1973), Freie Stücke.

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