Reinecke
Schumann
Duos & Trios
Lyon, salle Molière
Mercredi 19 janvier 201
En trios et duos : E.Le Sage, N.Baldeyrou, L.Berthaud. Schumann, op 73,113,132. Reinecke, op.264. Mozart, K.498. Lyon, Salle Molière, mercredi 19 janvier 2011.
La Société de Musique de Chambre lyonnaise propose dans son 1er concert 2011 (le 3e de sa saison) des alliages de timbres piano-clarinette-alto. Eric Le Sage, Lise Berthaud et Nicolas Baldeyrou vont en particulier explorer des partitions schumanniennes sous le signe du « märchen » ( conte, en allemand), donner son éclat au Trio mozartien « des Quilles », et révéler un peu connu Trio de Carl Reinecke.
La fraternité du génie romantique
C’est bien que les frontières d’anniversaire soient un peu étanches, et qu’on ne « passe pas à autre chose » dès que le changement du 4e chiffre-date se réalise. A quoi servent ces anniversaires – naissance ou mort, mais pourquoi pas, demandent les ironistes, la première dent de lait qui surgit ou chute – …? Sinon aussi à rappeler qu’il y a toujours matière à redécouverte , voire à regret qu’on n’ait pas pris la dimension de chaque créateur, en son temps ou même plus tard, quand le langage avait suffisamment évolué pour qu’on n’invoque plus l’obstacle absolu d’une « inquiétante étrangeté ». Le double « 200e » de 2010 aura en tout cas mis l’accent sur le traitement inégal entre les deux héros du romantisme européen nés en 1810 : Chopin, désormais universellement admis, célébré, aimé, aura été en pleine lumière, tandis que son frère en génie, Schumann, semble continuer d’introduire dans l’admiration qu’officiellement on ne saurait lui refuser une inquiétude, une incompréhension peut-être un malaise.
N’est-il pourtant pas plus « vaste » que le pianiste Polonais, ayant étendu à la musique de chambre, au lied, à l’orchestre, au chœur…, sa science de compositeur, et avoir baigné sa musique dans les eaux baptismales de la poésie, du roman et du théâtre ? Certes… mais… Eh bien quoi ? L’ombre portée de la déraison ? Nous y voilà ! Et cette ombre « revient en arrière », étendant son aile (maléfique ?) sur l’écriture d’avant le drame qui se révèle au début des années Cinquante. Robert n’avait-il pas écrit à sa « fiancée » de l’époque, Henriette Voigt, ce qu’à 24 ans il lisait déjà au fond de lui : « Mon âme est toujours la même, hélas ! Elle m’épouvante. Cette angoisse intime envahit parfois tout mon être ; alors je ne me contiens plus, je voudrais me transporter dans un autre corps, m’enfuir pour l’éternité. »
Les rêves de l’univers natal
Oui, Schumann n’aura cessé de nous faire pénétrer, par les parcours « dans le lointain », au-delà « des portes d’ivoire et de corne », parce que comme l’écrivait son autre frère de 1810, le Français Gérard de Nerval, « le rêve est une seconde vie ». Allemand, il aura aussi été sur-sensible à cette forme particulière du récit d’imaginaire que le romantisme exalta, le Conte, que notre culture française, hexagonalement et bien rationnellement frileuse-utilitaire, cantonne plutôt dans l’histoire-pour-les-enfants, quand ce n’est pas seulement « avec fées » sinon « à dormir debout ». Outre-Rhin, le conte – märchen – a une tout autre portée comme Novalis (rappelé par J.M.Fauquet) l’écrivait : « Tous les contes sont simplement des rêves de cet univers natal qui est partout et nulle part. » Cette contrée, Robert la parcourait depuis l’enfance puis l’adolescence dévoreuse de poésie et de romanesque (ses chers Jean- Paul et Hoffmann…), et auprès de Clara Wieck, d’abord la si charmante enfant-prodige du clavier, il tiendra le rôle du raconteur d’histoires-à-s’émerveiller-et-faire-peur. « Pendant votre absence –la très jeune virtuose est déjà en tournée de concerts -, je me suis promené en Arabie pour chercher des contes de fées qui pourraient vous plaire, six nouvelles histoires de Doppelgänger (double), de terribles et merveilleux récits de voleurs, et celle du fantôme blanc, hou, hou, j’en tremble… » « L’âge d’or », présent comme le dit Novalis dans ses Pollens « là où il y a des enfants », Schumann y retournera toujours : il composera de merveilleuses pièces (entre autres, les Scènes d’enfants), marié à Clara, il aura sept enfants (« on ne saurait en avoir trop »), et quand les papillons sinistres de la folie se mettront à dominer son univers mental, il songera à les protéger en s’offrant à l’enfermement en clinique. Ces liens complexes entre vie réalisée et parcours rêvé, fantasmes nourriciers et visions destructrices, identité initiale et significations du doppelgänger, certains « guides » de notre époque post-freudienne ont contribué à leur mise en lumière, et on (re)lira dans leurs éclairants parcours les textes de Philippe André ou Michel Schneider, psychanalystes et musiciens.
Un refuge vers le paradis perdu
Le programme offert dans le concert de la SMC, autour du chiffre 3 (« toutes les bonnes choses vont par 3, disaient les 3 Viennois du XXe…) –un Trio piano-clarinette-alto, 3 compositeurs, 3 œuvres en Trio, 3 pièces de Schumann-, fait pour Schumann une juste place à des œuvres sinon méconnues, du moins un tant soit peu négligées. Et deux d’entre elles intègrent jusque dans leur titre le « märchen » qui en 1851 et encore en 1853 (la dernière année de lucidité) importe toujours tant à Robert menacé, en quête de refuge vers le paradis perdu. Il y joint au piano l’alto (la voix grave qui fut aussi celle de Mozart instrumentiste à cordes, et celle du berliozien Harold en Italie) et la clarinette( à qui justement Mozart, puis Weber et Brahms confièrent de précieux messages). Dans le duo des Märchen Bilden (Images de contes, op.113, 1851), l’apparition fantastique s’accomplit en chevauchée (pour l’alto, l’indication « rasch, emporté »), à travers un nocturnisme qui pourtant s’apaisera dans « l’adieu au monde » d’une 4e pièce en état de rêve et d’apesanteur. Les Märchenerzählungen (Récit de contes,op. 132, 1853, trio) font aussi alterner l’hallucination (2e) et la tendre évocation d’un univers qu’il faudra bien tôt quitter(3e). Quant aux Fantasiestücke (duo, 1849), la clarinette y dialogue avec le piano en « mélodie de timbres », et nous avouerons qu’au cœur de la 3e pièce, s’y fait entendre un « air…pour qui je donnerais tout Rossini, tout Mozart et tout Weber » (revoici Gérard de Nerval), en quoi j’entends l’essence du romantisme, ne demandez pas pourquoi, cela ne se prouve point mais s’éprouve et peut-être se partage.
La partie de quilles
Echo ultérieur de cette atmosphère « märchen » : le romantisme calmé s’entendra dans le Trio op.264 de Carl Reinecke, dont la longue vie (1824-1910) lui permit d’abord de fréquenter Schumann, Mendelssohn et le jeune Brahms, qui l’estimèrent, puis à partir de 1860, de devenir le « gardien du Sérail de la Tradition » à Leipzig. Son Trio est intéressant dans la mesure où, à travers une conception harmonieuse des « images » romantiques, il illustre un assagissement – deux beaux mouvements lents- et non point, malgré sa date (1884) quelque exacerbation terminale. Pré-écho sublime, le Trio K.498 (1786) montre un Mozart célébrant – le mi bémol maçonnique- sa foi spiritualiste, et très ouvertement le sentiment du jeu amical : autour de la famille du botaniste Jaquin, l’anecdote dit même que son écriture serait le résultat d’un pari lors d’une partie de quilles. La confidence d’esprit lyrique dans l’allegro tourne même au tragique dans le si sombre trio du menuet avant de s’épancher à nouveau dans le rayonnant finale.
Interprètes de la quête schumannienne
Le pianiste Eric Le Sage est particulièrement qualifié pour mener cette quête, lui qui obtint en 1989 le 1er Prix du Concours de piano Schumann à Zwickau (la ville natale du compositeur), et qui réalise pour le disque (Alpha Productions) une intégrale du piano et de la musique de chambre schumanienne ; c’est dans le cadre de cette édition qu’il a enregistré les pièces du concert lyonnais, aux côtés du clarinettiste Paul Meyer et de l’altiste Antoine Tamestit. Mais c’est avec l’altiste Lise Berthaud qu’il a joué le Quintette et le Quatuor avec piano : cette instrumentiste de 28 ans, lauréate du Concours Européen des Jeunes Interprètes, se tourne aussi volontiers vers les œuvres d’aujourd’hui (Hersant, Dutilleux, Kurtag, Connesson…). Le clarinettiste Nicolas Baldeyrou (31 ans), multi-lauré, se tourne également vers la musique contemporaine (Tanguy, Lenot, participation aux ensembles 2e 2m et Ars Nova) tout comme vers le baroque (travaux avec Marc Minkowski et Emmanuelle Haïm) ; il enseigne au CNSMD de Lyon. Et pour l’écoute des « Märchen » ou Fantasiestücke, faisons aussi retour à un disque où l’esprit schumannien est subtilement affirmé, notamment dans les mouvements rêveurs (op.113, 1 et 4 ; op.132,3) : aux côtés du légendaire altiste Serge Collot (Quatuors Parrenin, Pascal, Trio à cordes Français, Domaine Musical), deux « Lyonnaises », la pianiste Julie Guigue et la clarinettiste Béatrice Berne (cd. Polymnie POL 390 231). Et pour mieux « suivre » et prolonger le concert, un propos d’avant-concert comme en cette saison l’a instauré la SMC : Chloé Huvet, étudiante en musicologie à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, mettra l’accent sur « création musicale et inspiration fantastique chez Schumann ».
Lyon, Salle Molière, Concert Duos et Trios : Eric Le Sage, Lise Berthaud, Nicolas Baldeyrou. Mercredi 19 janvier 2011, 20h30. W.A.Mozart (1756-1791), Trio K.498 ; R.Schumann (1810-1856), op.73, 113 et 132 ; C.Reinecke (1824-1910), op.264. Conférence de C. Huvet, 19 janvier 19h15. Information et réservation : T. 04 78 38 09 09 ; www.musiquedechambre-lyon.org