Jean-Philippe Rameau
Zoroastre, 1749
Arte, « Musica »
Samedi 9 juin 2007 à 22h30
Documentaire. Réalisation: Olivier Simonnet (2006, 1h).
Le rapport du Bien et du Mal
Totalement incompris lors de sa création en 1749, Zoroastre, tragédie lyrique de Rameau qui se situe en Perse, ne fut vraiment compris qu’au moment de sa reprise en 1756. Pierre Audi qui signe en juillet 2006 sa première mise en scène d’un opéra de Rameau, parle de son incroyable modernité, mettant en avant le tableau du rapport du Bien et du Mal avec finesse, dévoilant, en particulier dans le ténébrisme radical de l’acte IV, véritable « messe noire », la possession des âmes par une doctrine extrémiste. Evidemment, le parallèle avec les événements en Irak et en Afganistan sont évidents et donc formulés par le chef Christophe Rousset. Agent du bien, contre le mal incarné par Abramane (Evgueniy Alexiev, au chant assez carré), Zoroastre finit par triompher, mais au nom de quelle religion et de quelle doctrine?
La fin de l’opéra qui est une tragédie lyrique, laisse le spectateur dans un questionnement trouble et fascinant. Certes le Bien triomphe du Mal, mais les deux camps s’affrontent par la force et finissent par s’équilibrer… et Zoroastre in fine, qui veut imposer son pouvoir et régner sur le peuple de Bactriane, est-il véritablement bon? Quelles valeurs l’animent profondément?
Erenice, personnage clé du drame
Pour Pierre Audi, le véritable personnage du drame reste Erenice: créature vouée au mal, l’amoureuse de Zoroastre est prête finalement à passer dans l’autre camp… Elle montre combien la force de l’amour est irrépressible. Capable du pire, elle souffre d’aimer sans retour, rivale haineuse de la belle Amélite, aimée de Zoroastre… Tout autant pertinent, les explications de Rousset sur le chant baroque « alla francese »: au cours d’une séance de répétition avec l’excellente Amélite d’Anna Maria Panzarella qui a chanté tous les Rameau dirigés par Christie sur la scène de l’Opéra Garnier à Paris, le chef répétiteur montre combien la tragédie lyrique française met en avant le texte, son articulation déclamée constituée d’une multitude d’effets vocaux qui empruntent beaucoup au théâtre parlé, leurs « Ah » et leurs « Ô » où l’on gémit, pleure, invective avec force expression. Ce que les italiens nommaient les hurlements à la française (urlo/urli alla francese). Plus loin, Rousset nous sensibilise sur la notion de « son », idée phare de la musique française baroque: certes Rameau est un architecte complexe et intellectuel mais il est avant tout soucieux de la sonorité de son orchestre, inventant de suaves harmonies, de volupteuses mélodies. En hédoniste assumé, il a tout autant ciselé le sensualisme souverain de sa musique. Et quelle musique! D’une violence inouïe, pourtant agencée avec quelques moyens (l’ouverture ne comporte que 3 harmonies: ré mineur/si bémol/sol mineur).
Comme les épisodes qui le précèdent, ce nouveau chapitre de « Découvrir un opéra » (en particulier « Platée » du même Rameau), comble nos interrogations sur le sujet. D’autant que la caméra d’Olivier Simonnet profite de ses entrées à l’occasion du tournage, pour nous faire découvrir le lieu splendide où la production lyrique dont il s’agit ici, a été donnée, en juillet 2006: le théâtre du château royal de Drottningholm, en Suède. Véritable joyau architectural du spectacle, resté intact depuis le XVIII ème siècle. Il est vrai que Simonnet connaît bien ces lieux chargés d’histoire, lui qui a consacré un documentaire/concert au petit théâtre de la Reine à Versailles, autre écrin historique de l’art lyrique hérité du XVIII ème siècle, et qui a conservé également sa machinerie d’époque.
Zoroastre de Jean-Philippe Rameau. Livret de Louis de Cahusac. Avec Anders J Dahlin (Zoroastre), Anna Maria Panzarella (Amélite), Sine Bund Gaard (Erenice), Abramane (Evgeniy Alexiev), choeurs et orchestre du théâtre de Drottningholm, Les Talens lyriques, direction: Christophe Rousset. Mise en scène: Pierre Audi. Production filmée en juillet 2006.
Illustration
Portrait de Rameau (DR)