mardi 16 avril 2024

Rameau: Hippolyte et Aricie. Gardiner, 1983. Jessye NormanFrance Musique, samedi 5 mars 2011 à 19h30

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Jean-Philippe Rameau
Dramaturge et orchestrateur

France Musique met à l’honneur un
compositeur trop peu joué, Jean-Philippe Rameau. Diffusion d’une production mythique, celle d’Hippolyte et Aricie (1733), premier opus lyrique du génie aixois, dans la version aixoise dirigée par Gardiner avec l’inoubliable Phèdre de Jessye Norman… retour
sur un génie de la scène lyrique baroque à l’époque de Louis XV. Et pour
nous, superbe occasion d’évoquer l’audace du créateur.

Le
plus grand musicien de son temps, dont on aime souligner le génie
musical avant l’esprit dramatique, au regard de la faiblesse (supposée)
de ses livrets, fut un dramaturge exigeant. Parcours au sein de ses
oeuvres lyriques: aux côtés du bouillonnant orchestrateur, qui put
aisément composer des symphonies mais préféra les intégrer dans ses
opéras, visite guidée dans son antre lyrique, tragique et comique.

Assez de musique pour en faire dix

Dès l’âge de 12 ans, Rameau se déclare possédé par le démon de
l’opéra. C’est le seul genre à la mesure de son génie. Il viendra tard
sur le sujet, créant à 50 ans son premier opéra, en 1733, Hippolyte et Aricie, mais avec quel éclat: les fulgurances enharmoniques de la musique,- en particulier du trio des Parques
qui terrifièrent les chanteurs-, le spectaculaire de l’écriture,
firent l’effet d’une révolution. On n’écrira plus de musique pour
l’Académie royale, de la même façon, après le choc d’Hippolyte.
Rameau
commence d’abord à composer quelques pièces théâtrales pour le Théâtre
de la Foire avant de franchir le perron de l’Académie Royale. Dans une
lettre qu’il adresse au faiseur de livrets à la mode, Houdar de la Motte
dont les textes font le succès des musiciens fameux tels Campra et
Destouches, le compositeur de 44 ans réclame un livret se prévalant,
mieux que les autres, de posséder la maîtrise des « couleurs et des
nuances ».
Finalement, c’est un autre écrivain, l’abbé Pellegrin, qui lui fournira les vers de sa première tragédie en musique, Hippolyte et Aricie,
inspiré de Racine. Le fleuve musical regorge de tempêtes et de
déchaînements, d’invocations et de passions exacerbée, autant dans la
tendresse que dans la haine. La peinture tragique connaît l’une de ses
manifestations les plus fascinantes et Campra avouera, étonné, qu’il y a
 » dans cet opéra, assez de musique pour en faire dix« .
Ne dira-t-on pas à propos de Mozart, au moment de la création de son Enlèvement au sérail,
(1782) qu’il y avait trop de notes? Le génie ne s’encombre pas des
capacités de son auditoire. Mais le pire vient de Voltaire: « c’est exact et ennuyeux »
seront ses paroles. Des mots choisis qui ont l’apparence de la vérité,
et qui, du vivant de Rameau, épinglera définitivement le compositeur
scientifique, théoricien autant que pédant, d’une sophistication
désincarnée, aux assommants artifices.Si le philosophe ne manquait pas
de discernement et d’esprit critique, il n’avait aucun goût en matière
musicale. Et au moment de la Querelle des Bouffons (1752), Jean-Jacques
Rousseau portera un même avis générique sur Rameau: un scientifique
pesant et artificiel, en rien séduisant comme l’opéra italien et la
saveur des intermèdes buffa napolitains tel La Serva padrona
de Pergolesi. Longtemps, l’idée d’un Rameau empoulé et solennel sera
brandie, l’opposé des facéties légères et naturelles du Théâtre Italien.


Essor du tragique et du comique

Or c’était bien mal connaître l’auteur d’Hippolyte. Quatre
autres tragédies verront le jour, toutes aussi élaborées,
expressionnistes et voluptueuses, forçant la nature à se surpasser. Le
théâtre de Rameau ne singe pas les passions et le coeur humain, il les
exaltent.
Ainsi, Castor & Pollux (1737), Dardanus (1739), enfin Les Boréades en 1763, dont la création est annulée parce que son auteur meurt avant la fin des répétitions.
Castor prolonge les évocations extrêmes d‘Hippolyte:
tableaux des enfers et grandeur pathétique des sentiments. L’esthétisme
de la musique ramiste ne passera pas inaperçu auprès de Telemann qui
reste subjugué par la vérité de la partition. En définitive, il faut
rétablir le statut particulier de Castor & Pollux, en
particulier dans sa seconde version de 1754, dans laquelle Rameau coupe,
resserre l’action, façonne une manière de chef-d’oeuvre inégalé,
inégalable du grand genre; un coup de génie qui fut applaudi pendant la
Querelle des Bouffons, et que tentera, à peine, d’égaler Gluck, 20 ans
plus tard, lorsque Marie-Antoinette lui demandera de renouveler la
grande boutique.
Avec Dardanus porté à la scène en 1739, puis
1744, Rameau poursuit son exploration des passions. La musique y paraît
de plus en plus en décalage avec le texte. L’intensité expressionniste
des climats de l’orchestre atténue faiblement la déficience du livret.
De même Zoroastre, qui connut également deux versions, celle de
sa création en 1749, puis celle de sa reprise en 1756 et ne conquit pas
véritablement le public. L’inclination de Rameau pour le versant des
coeurs, cette âme qui tarde à se dévoiler quant elle est dite ou
déclamée mais qui s’embrase dans la modulations du chant et les nuances
de l’orchestre, dilue l’essence tragique du sujet. On voit bien que ce
qui intéresse le musicien, sont ces liens et ces chaînes amoureux,
entremêlant les destins opposés. Finalement Rameau est un grand
sentimental. Du moins fit il fondre d’émotion D’Alembert qui ne tarit
pas d’éloges sur Zoroastre. Comme d’ailleurs, il en sera de Rousseau, ailleurs rival et critique, ébahi par les outrances formidables de Platée.
Enfin, la véhémence rythmique des Boréades,
l’audace de l’orchestre contredit le grand âge de l’auteur. A près de
81 ans, Rameau, plus inventif que jamais, ouvre de nouvelles
perspectives dans l’écriture musicale, et même dans la dramaturgie. Il
profite du prétexte mythologique, pour lever et souffler des vents
cosmiques. C’est l’univers qu’il reconstitue à l’échelle de la fosse.
Enterrée avec son auteur, l’oeuvre est créée à Aix-en-Provence, en 1982,
sous la baguette de John Eliot Gardiner, cadeau préludant au
Tricentenaire de sa naissance.

Platée

Mais l’on ne peut évoquer la richesse du paysage ramiste sans
restituer aux côtés des profondes cavernes tragiques, l’arête affûtée
des massifs comiques.
Les débuts du compositeur s’imposent d’abord à la Foire. Comme en témoigne, L’Endriague,
représenté à Saint-Germain en 1723, le quadragénaire ne manque ni de
cynisme ni de mordante ironie. Sur un texte d’Alexis Piron, un libre
penseur et joyeu drille, comme notre musicien, dijonais de naissance,
Rameau caricature gaillardement le mythe de Persée et d’Andromède. La
veine comique de Rameau se cristallise dans une partition inédite,
délirante, tissée de pure poésie, régalant l’esprit par sa liberté et
son invention: Platée est un sujet jamais mis en scène, dans une
forme inédite. L’oeuvre jouée devant le parterre royal à Versailles, en
mars 1745, valut au compositeur titre et pension. Rameau se joue de
tout, multiplie les points de vue: tragique, larmoyant, déchirant,
triomphal et cinglant. Ce « ballet bouffon » est magistralement porté par
l’invention magistrale de la Folie qui vole la vedette à la Reine des
grenouilles. Aucun doute, par la voix de la Folie, capable de tirer les
larmes comme exciter un diable, c’est Rameau qui parle: il affirme avant
tout, la souveraine musique. C’est elle qui peut tout. Paroles ou
musique? Rameau a tranché.

Radio

France musique
Samedi 5 mars 2011 à 19h30. Rameau: Hippolyte et Aricie, extraits. Festival d’Aix 1983. Sir John Eliot Gardiner, direction. Jessye Norman, Phèdre

Approfondir

Lire notre dossier Platée de Jean-Philippe Rameau
Lire notre critique du cd « La Symphonie imaginaire » par Marc Minkowski (Archiv)
Lire notre présentation du documentaire « Rameau retrouvé » de Reiner Moritz (2004, 52 mn), lors de sa diffusion sur Mezzo, en octobre 2006

Illustrations

Aved, portrait de Rameau
Les Dioscures

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