Réalisée à Genève en 2009, la présente lecture met en avant de jeunes chanteurs à la musicalité indiscutable. La caractérisation de deux voix féminines, tout en opposition et sublime contraste dès le départ, entre l’angélique et aérienne Belinda et l’âme oppressée et tragique de la reine Didon est un argument premier auquel on fait révérence. Yeree Suh d’ailleurs, outre la clarté de son timbre, articule davantage le texte anglais de Nahum Tate qui s’inspire du Livre IV de L’Eneide de Virgile, que sa consoeur Solenn’ Lavanant Linke. Celle-ci cisèle surtout la couleur grave de son personnage: ce qui n’est déjà pas si mal.
Opéra de jeunes filles
Les choeurs sont assumés avec clarté eux aussi, et une fragilité tendre qui d’ailleurs scelle la couleur générale de la présente production. Les premiers interprètes à l’époque de Purcell, les jeunes filles de la Josias Priest’s School à Chelsea, justifient ce parti pris qui regroupe essentiellement de jeunes tempéraments. Dans l’acte II et la scène initiale de la caverne, les solistes ne manquent pas de haineuse laideur dans l’articulation d’une psalmodie maléfique contre la Reine de Carthage. Alarcon sait réunir une galerie d’individualités hallucinées et incisives même si Fabian Schofrin manque de noirceur (et d’ampleur incantatoire) dans le rôle de la sorcière. Heureusement, côté chanteurs, l’Enée de la basse Alejandro Meerapfel déclame une mâle et profonde assurance, héroïque et inflexible dans sa volonté d’accomplir la suite de son destin… Il revient évidemment à la cantatrice principale de réussir son lamento final, suicidaire, tissé dans une sensualité mortifère: en 3 minutes et 15 secondes, Solenn’ Lavannant Linke se pâme dans les abysses d’une douleur cependant maîtrisée. La voix droite, toujours habilement posée, s’épargne tout abus, emphase, écart, comme déjà absente à sa douleur profonde.
Leonardo Garcia Alarcon (FGA) développe les arguments qui accréditent sa lecture purcellienne: figurations rythmiques souvent asymétriques (récitatifs) dans la mise en musique du texte (prosodie); présence des basses obstinées vénitiennes (cavalliennes) dans la partition; entrain chorégraphique si français dans l’ouverture qui est une levée de rideaux digne de .. Lully. Ici, le connaisseur, d’une culture vivante jamais pédante, approfondit la réalisation musicale.
D’une façon générale, le geste du jeune chef argentin sait rappeler ses qualités emblématiques: sens de l’architecture dramatique, vraie gestion de ce temps précipité (litote temporelle) qui plaisait tant à Purcell: tout s’accomplit en moins d’une heure ! … en 52 minutes pour être précis faisant de l’interprétation l’une des plus rapides de la discographie. Fulgurante, nerveuse, caractérisée (variété du continuo selon le climat des épisodes au cours des 3 actes: lyra viol pour les lamentos; ailleurs, le consort anglais, intimiste, à 4 ou 5 instruments, alterne avec entre autres, une partie orchestrale renforcée grâce à l’ajout français des vents…), la vision du maestro rééclaire la perception de l’opéra purcellien, entre éclairs, danses fugaces mais expressives. Lecture attachante dont la juvénilité des protagonistes, leur tempérament éclatant, sous la conduite scrupuleuse du chef argentin, scellent la réussite de la production.
Henry Purcell: Didos and Æneas, Didon et Enée (1689). Livret de Nahum Tate. Solenn’ Lavanant Linke (Dido), Alejandro Meerapfel (Enée), Yeree Suh (Belinda), Fabian Schofrin (Sorcière)… Cappella Mediterranea, Nouvelle Ménestrandie. Leonardo Garcia Alarcon, direction. Sortie le 23 septembre 2010.
précédents cd

d’Oustrac prête sa soie vocale au bel canto haydnien. La chanteuse
soigne son approche du texte, écoutant et dévoilant le travail
spécifique que Haydn, proche de la tendresse sincère d’un Mozart, et
aussi précurseur du lied schubertien, sait perfectionner dans la fusion
musique et poésie.

(1685-1759): Judas Maccabaeus (1747). Avec Maria Soledad de la
Rosa, Mariana Rewerski, Fabián Schofrin, Makoto Sakurada, Alejandro
Meerapfel, Etienne Debaisieux. Choeur de chambre de Namur, Les Agrémens.
Leonardo García Alarcón, direction. Lecture globalement vive, caractérisée de la part de ses solistes,
engagement exalté et nuancé quant aux choristes, le geste de Leonardo
Garcia Alarcon porte ses fruits: voici dans ce live en provenance
d’Ambronay 2009, l’un des meilleurs témoignages en faveur du Judas
Maccabaeus…