Exposition Praxitèle
(Jusqu’au 18 juin 2007)
Un maître de la sculpture grecque du IV ème siècle avant J.-C., s’expose au Louvre: Praxitèle. Les expositions monographiques de sculpture antique sont rares. Déplacer des tonnes de marbre de surcroît d’une fragilité de surface exceptionnelle ne rend pas les choses aisées. Pouvoir admirer à l’envi, l’ensemble des types morphologiques aujourd’hui attribuables au « courant praxitélisant », est un événement. En regroupant plusieurs chefs-d’oeuvre de provenance internationale, l’exposition Praxitèle du Louvre est incontournable.
1. Musicalité
d’un sculpteur énigmatique
A défaut de connaître précisément l’homme, le travail du sculpteur est plus explicite. Souligner combien l’art de Praxitèle est musical est un regard juste qui rend hommage à son sens des proportions et de l’équilibre, fluide et juvénil. C’est aussi pourquoi nous aimons parler de cet événement culturel sur classiquenews.com car nous souhaitons aussi établir des passerelles entre les arts.Praxitèle, entre Polyclète (V ème siècle avant J.-C.) et Lysippe (III ème siècle avant J.-C.), incarne le plus haut degré de la perfection esthétique grecque. Ses nus masculins et féminins portent jusqu’à un point inégalé, l’expression de la distinction, de l’élégance, de l’équilibre. Justement, l’équilibre est au coeur de sa recherche plastique. Equilibre entre le jeu des lignes, des courbes et des contre-courbes, entre le dynamisme compensé des jambes et des bras, entre la ligne du torse et le mouvement spécifique du visage. En définitive, son oeuvre sculptée a toute sa place sur classiquenews.com car son style est fondamentalement musical.
Le repli ou l’ouverture, l’intériorité ou l’allant, le repos ou la tension: tout est chez Praxitèle, accent puis relâche, expression et détente. Au bras replié correspond la liberté relâchée de la jambe, à l’inclinaison de la tête, la droite étirée des épaules, à la torsion flexible du bassin, le cartésianisme du buste, au déhanchement du bassin, la ligne droite du visage… Aucune figure créée n’échappe à cette imperceptible symphonie dynamique.
Le sculpteur a observé, avant Michel-Ange, la cartographie des muscles, la charpente invisible de l’ossature interne, l’enveloppe charnelle, sa gracilité palpitante… Mais contrairement à son successeur de la Renaissance italienne, le maître grec qui oeuvra essentiellement au IV ème siècle avant JC (il est né vers 400 avant JC), caresse les formes, souligne leur rondeur, réalise une partition qui ignore l’angle pointu, l’expression outrée, la frontalité rigoureuse.
Praxitèle préfère l’intériorité et la courbe, la finesse gracile des corps plutôt que leur vigoureuse musculature. Souplesse, grâce, modelé: ses statues ont visiblement inspiré Raphaël et Léonard. On l’a dit plus féminin que masculin. L’identité reste une question bien subjective. Disons plutôt que Praxitèle a créé un équilibre étonnamment réussi entre la virilité et la féminité. Ces réalisations, en particulier ses visages sont la fusion des deux et parfois d’une androgynie aussi délectable que troublante.
En plus d’être musical, la science de ses formes est aussi picturale. Un érotisme sous-jacent tendant l’arc de chaque partie, insinue ici la perfection et l’équilibre des attitudes. Il est un maître de l’ambiguïté et du suggestif. Nous avons parcouru les salles de l’exposition sise sous la pyramide du Louvre. Petite visite guidée.
2. Equilibre des formes
Praxitèle a créé les plus beaux nus, masculins et féminins, de la sculpture grecque. De nombreux types nous enchantent encore aujourd’hui comme ils fascinèrent les collectionneurs et amateurs des siècles passés, dont Louis XIV, heureux propriétaire de la célèbre Vénus d’Arles, restaurée par son sculpteur favori, Girardon. Vénus et Eros, Mercure et Apollon, satyres au repos ou verseur: Praxitèle rédéfinit le canon de la beauté. Beauté divine ou beauté humaine. C’est pourtant parce qu’ils sont des individus que ces corps nous paraissent aussi divins. En plus d’être parfaits de corps et de proportions, ces êtres sculptés paraissent vivants, comme doués, nous le verrons plus loin, d’un sentiment, d’une âme, un supplément d’individualité. Avant Leonard, Praxitèle a même esquissé un sourire! Quoi de plus divinement humain!
3. PhrynéEut-il réellement une liaison avec la courtisane Phryné? La plus belle femme du monde grec aurait ainsi inspiré l’Aphrodite de Cnide, idéal inégalé du corps féminin, dans sa nudité révélée, assumée, plus triomphante que pudique. La figure de la maîtresse de Praxitèle inspire au XIX ème siècle bon nombre de… peintres et de sculpteurs, dont Gérôme et Pradier dont pour chacun, une oeuvre maîtresse est exposée. Confrontations fécondes dans la persistance des mythes et figures légendaires: voici d’autres aspects de l’exposition qui en faisant dialoguer les disciplines, captivent le regard du spectateur.
Gérôme en 1861 réinvente le dévoilement de la nudité éblouissante de la jeune femme devant l’Aréopage (Musée de Hambourg), quand Pradier en 1845, imaginait à sa mesure, le beau corps juvénil et gracile qui semble hésiter entre se vêtir ou se dévêtir, ajoutant ainsi à son dynamisme continu (Musée de Grenoble).
Que penser aujourd’hui de la relation entre Praxitèle et Phryné? La légende de leur relation pourrait être une pure fiction mais qu’on le veuille ou non, c’est bien une femme réelle qui a inspiré la symphonie des formes divines que l’on honore, et jusqu’aux visages: Praxitèle n’a pas seulement créer des corps idéaux, il a aussi permis l’émergence du sentiment.
4. Expression ou sentiment?
Si Polyclète avant Praxitèle, fixe une morphologie athlétique désormais canonique (Dyadumène), dont l’un des apports est ce fameux chiasme (correspondance croisée que maîtrise parfaitement Praxitèle après lui), le compagnon supposé de la belle Phryné émerveille aussi par le travail des visages. Pas des types mais, comme nous l’avons dit, des individus. Ses divinités, satyres (verseur ou au repos), ses génies funéraires, ses éros, nous touchent car sous le masque de pierre se dévoile l’inclinaison d’une pensée affleurante, un humanisme intérieur, parfois mélancolique, toujours intense. Ses Aphrodite, ses éros et ses Apollons sont des femmes, de jeunes garçons, des hommes: le portrait de grecs ayant existé, dont il fut contemporain. Outre leurs superbes proportions, les corps de Praxitèle captivent par leur humanité. La tête dite « Aberdeen », (Hercule jeune?) conservée au British museum de Londres, (l’une des révélations de l’exposition parisienne à notre avis) indique un sculpteur certes épris d’idéal et de souverain équilibre, mais l’inclinaison de la tête, le renfort sourcilier, le creusement des orbites oculaires, le frémissement des chairs annoncent l’expressivité d’un Scopas, l’acuité palpitante de Lysippe, déjà la vibration de l’art hellénistique, ce courant des émotions exacerbées dont se nourrira à ses débuts, le portrait romain. Aux côtés du visage du satyre au repos dont le sourire serait un prototype fécondant l’imaginaire d’un Leonardo da Vinci et plus tard des scultpeurs gothiques français (L’ange de la Cathédrale de Reims), la tête Aberdeen indique un sentiment plus sombre, tragique, si humain.
5. Apollon Lyricine
L’exposition du Louvre a le mérite d’offrir une large galerie de versions en marbre. A ce titre l’Apollon citharède en provenance du Musée des Offices de Florence est fascinant. La restauration remonte aux dernières années de la Renaissance florentine, vers 1586. Giovanni Caccini en a réalisé les options particulièrement éloquentes quant aux valeurs esthétiques prébaroques de l’heure. Frère de Giulio Caccini, le célèbre musicien, chanteur et compositeur, fondateur de l’esthétique théâtrale du baroque naissant à Florence, Giovanni s’intéresse au mythe central d’Apollon dont il souligne l’aspect musicien. Plectre dans la main gauche, lyre sur un piédestal orné d’un griffon mythologique, Apollon, père d’Orphée, occupe dans le panthéon culturel des artistes, musiciens et sculpteurs, une place essentielle. Malgré les réserves que notre goût moderne fait naître quant à la relecture très maniériste du sculpteur florentin sur un « original praxitélisant » (précisément, Caccini réutilise un buste qui est du type de l’Apollon Saurochtone de Praxitèle), il reste exceptionnel qu’un musée européen ait conservé un exemple intact de restauration Renaissance d’un marbre antique. Avec marbres de couleur, de surcroît. Voici donc une autre révélation de l’exposition du Louvre.
6. Rythme, danse, musique: l’extase du satyre
En extase ou en transe, convulsé, à la cambrure dynamique, pareil au héros du Prélude à l’Après midi d’un faune de Debussy, le satyre de Mazara del Vallo (émergé au large des eaux entre Sicile et Tunisie en 1997) nous rappelle la vocation première de la sculpture: exprimer l’énergie musicale et chorégraphique du corps. Tête renversée, chevelure défaite, déployée, l’admirable corps dansant se convulse en une courbe parfaitement observée. C’est Pan ou l’un de ses satyres (oreilles pointues) qui danse jusqu’à la transe et de façon extatique, la sikinnis ou le strobilos, deux pas de danse hallucinés. L’oeuvre est techniquement exceptionnelle, coulée à la cire perdue, donc unique, un chef-d’oeuvre inconnu, récemment révélé, dont d’autres fragments pourraient reposer encore à quelques 500 m de profondeurs dans les eaux internationales. La sensibilité et la plénitude des muscles affleurant à l’épiderme de bronze penchent vers une attribution à Praxitèle, mais il pourrait aussi s’agir d’une oeuvre postérieure au IV ème siècle, peut-être de l’époque impériale (donc romaine) où l’on aima reproduire les types grecs classiques, polyclétéens et aussi praxitéliens… tracasseries de spécialistes. Il n’empêche que le bronze monumental nous impose son eurythmie indiscutable. Ses courbes et ses contrecourbes en réponse, sont l’esprit même de la danse. De nouvelles découvertes lèveront certainement le voile de sa juste origine et de son attribution, comme de l’identité des maîtres fondeurs, ciseleurs qui l’ont créée. L’oeuvre est conservée en Sicile. Il s’agit d’une occasion exceptionnelle de l’admirer à Paris. Jusqu’au 18 juin 2007.
Exposition Praxitèle. Paris, Musée du Louvre. 23 mars au 18 juin 2007. Catalogue, 457 pages, 39 euros.
Illustrations
Eros de centocelle dit l’Amour de Praxitèle (Rome, Musée du Vatican)
Relief: décor de base. Muse cytharède (Athènes, © Musée national d’Archéologie)
Buste féminin (Phryné? Arles, musée de l’Arles et de la Provence antique)
Gérôme, Phryné devant l’Aréopage (Hambourg, Kunsthalle)
Tête Aberdeen (Hercule jeune? Londres, British Musuem)
Apollon lyricine (d’après le buste de l’Apollon Saurochtone, restauration de Giovanni Caccini. Florence, Offices)
Satyre de Mazara del Vallo (Bronze monumental, découvert en 1997)
Visuel de la Homepage: Tête Kaufmann, copie romaine? (Paris, musée du Louvre)