PORTRAIT par Hélène Biard. Yves Saelens : Une carrière active placée sous le signe de l’Europe. Alors qu’il a chanté dans une nouvelle production de Mitridate (rôle d’Arbate), à la Monnaie de Bruxelles (mai 2016), le ténor belge Yves Saelens a accepté de nous accorder une interview téléphonique en avril 2016, après une dense journée de travail. Au cours de cette entrevue, qui a eu lieu courant avril, nous avons abordé sa carrière, le Mitridate alors en répétition, ses projets ainsi que les orientations qu’il souhaite donner à une carrière déjà bien remplie.
Carrière : de Bruxelles à New York … «J’ai grandi dans une famille ou nous écoutions de la musique mais où celle ci n’était pas prioritaire. J’ai cependant fait partie de la chorale de la paroisse où j’ai grandi ; c’est à cette époque que j’ai chanté mes premiers solos, puis dans celle du collège où j’ai fait mes études secondaires», nous dit Yves Saelens en préambule. «Plus tard j’ai fait partie du choeur européen de Bruxelles avec lequel nous présentions les grands oratorios. Je n’attachais pas encore trop d’importance à la musique à ce moment de ma vie, bien qu’elle m’ait permis de vivre des moments très forts. Peu à peu le désir de continuer le chant et d’en faire mon métier prenait forme. J’ai pris la décision définitive d’en faire mon métier quelques années plus tard, à la fin de mes études supérieures » poursuit-il, avant de conclure: «J’ai fait des études d’instituteur puis mon service militaire. J’ai enseigné pendant un an à des élèves de dix ans, avant d’entamer un cursus au Conservatoire royal de Bruxelles dans la classe de chant de Dina Grossberger qui m’a permis de décrocher deux premiers prix de chant et d’art lyrique.».
Très vite, Yves Saelens ne manque pas de travail : «Tout en ayant mes premiers contrats, j’ai passé plusieurs concours. L’un d’eux m’a permis de décrocher une bourse pour aller étudier à la Juilliard School de New York; l’audition d’entrée à l’école s’est bien passée et j’ai vécu deux ans à New York. Outre le chant, que j’étudiais avec Edward Zambara, il y avait des coaching pianistiques et linguistiques. Il y avait aussi des master classes avec des artistes internationaux voire des personnalités, comme James Levine, Maryline Horne ou Thomas Hampson. C’est aussi dans ce laps de temps que j’ai participé à de grandes productions comme Elegy for young lovers de Werner Henze (1926-2012), — ouvrage créé en 1961 en allemand / langue originale, et en 1977 pour la version anglaise; j’ai aussi abordé Die Zauberflöte / La Flûte enchantée de Mozart à la même période. Après ces deux années d’étudesparticulièrement denses et enrichissantes, je suis rentré en Europe.
C’est à Glyndenbourne que j’ai chanté mon premier grand rôle mozartien : Ferrando dans Cosi fan tutte. Ensuite j’ai fait mes débuts à Bruxelles où j’ai chanté mon premier grand rôle à la Monnaie : Pluton dans Orphée aux enfers.». Et d’ajouter : «J’ai une voix plutôt mozartienne, et j’ai d’ailleurs chanté quelques uns des grands rôles de son répertoire : Tamino (Die Zauberflöte), Ferrando (Cosi fan tutte), Tito/Titus (La Clemenza di Tito), Idomeneo (Idomeneo, re di Creta), Arbate (Mitridate), Don Ottavio (Don Giovanni), Belmonte (L’Enlèvement au sérail) …
Ceci dit, j’ai un répertoire plus large et j’aborde aussi bien les Passions et la Messe en si mineur de Bach qu’Alceste de Gluck, La Damnation de Faust de Berlioz, Médée de Cherubini, Jenufa de Janacek, The Rape of Lucrezia de Britten ainsi que La Traviata de Verdi, Madama Butterfly de Puccini, Lucia di Lammermoor de Donizetti (dans sa version française), Il viaggio a Reims de Rossini. J’aborde même des œuvres contemporaines comme The Tempest de Ades à Francfort, Légende de Wagemans à Amsterdam, La strada de Van Hove à Anvers.»
Yves Saelens conclut : «J’ai beaucoup chanté à Tours et Montpellier, Francfort, Anvers, Bruxelles … A Tours, c’est Jean-Yves Ossonce qui m’a donné mes premiers rôles et avec qui j’ai grandi dans mon répertoire. Avec lui et le metteur-en-scène Alain Garichot, j’ai fait plusieurs grandes prises de rôle. J’ai beaucoup regretté d’apprendre qu’il quittait son poste de directeur du Grand Théâtre de Tours. J’espère cependant les retrouver, lui et Alain Garichot, sur des scènes d’opéra, que ce soit à Tours ou ailleurs.»
Sur le métier de Mitridate (Bruxelles, avril et mai 2016). «Mitridate est une œuvre de jeunesse de Mozart qui l’a composé en 1770, alors qu’il n’avait que 14 ans. Dans cette production, je chante Arbate, rôle avec lequel je me sens très à l’aise, contrairement au rôle-titre, dont les vocalises et la tessiture me font penser aux personnages rossiniens. En 1770, le jeune Mozart est à la croisée des chemins; en effet, il tient beaucoup de Haendel, dont l’héritage important est encore très présent dans les mémoires (il est décédé en 1759, alors que Mozart n’avait que 3 ans), mais il préfigure déjà ce que sera Rossini quarante ans plus tard.». Yves Saelens continue : «Comme la Monnaie est en travaux actuellement nous chantons sous un chapiteau. Pour cette raison, nous ne pouvions pas reprendre la production de Robert Carsen comme cela était prévu initialement; en fin de compte, pour pallier ce problème, les responsables de la Monnaie ont lancé un concours qui a reçu une centaine de projets dépassant ainsi les prévisions les plus optimistes. Celui qui a été retenu, conçu par Jean Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, place l’action de Mitridate, de nos jours, dans les locaux de l’Union Européenne. Cette nouvelle production, dans laquelle participe Michaeal Spyres, qui est un grand Mitridate, me permet aussi de retrouver le chef d’orchestre Christophe Rousset. J’avais déjà travaillé avec lui en 2003 dans une production de La Capricciosa coretta de Martin y Soler donnée à Lausanne, Bordeaux, Madrid et Vienne (Autriche) et dont je garde un excellent souvenir.
LES PROJETS… «Avant d’aborder Mitridate, j’ai chanté Alfredo (La Traviata), Faust (La Damnation de Faust, Berlioz), Jason (Médée, Cherubini). J’ai aussi fait mes débuts au Sydney Opera House dans la 9e symphonie de Beethoven» précise le ténor qui poursuit : «La saison prochaine (2016-2017), je ferai plusieurs prises de rôle : Créonte (Antigona, Traetta) à Amsterdam, Tichon (Katia Kabanova, Janacek) à Avignon; ainsi avec cette production, j’aurai les trois rôles de ténor de cet opéra à mon répertoire. Je chanterai également une version de concert de Pénélope (Léodès) de Gabriel Fauré à la Monnaie de Bruxelles. Cette production me permettra de faire ma troisième prise de rôle de la saison à venir.»
Et de conclure : «Je suis maintenant arrivé à un point de carrière et de maturité vocale où je souhaiterais aborder des rôles que j’aurais évité il y a encore quelques années. Pour revenir à Janacek, j’aimerais beaucoup aborder La Petite renarde rusée; je me sens également prêt à aborder le répertoire wagnérien : Erik (Die fliegender hollander / Le Vaisseau Fantôme), Loge (Das Rheingold / L’Or du Rhin), Mime (Siegfried). Plus proches de nous, j’aimerais aussi chanter des œuvres de Benjamin Britten comme The Turn of screw (Peter Quint), Billy Budd (Captain Vere) voire Peter Grimes. Dans le répertoire français, j’aimerais chanter Werther, Don José (Carmen), Dialogue des carmélites; et dans le répertoire russe, l’éblouissant et tragique rôle de Lensky (Eugène Onéguine).»
Artiste sensible, généreux, enthousiaste Yves Saelens déborde d’énergie et espère dans les années à venir, tout en continuant à chanter ses personnages fétiches, effectuer de nouvelles prises de rôles. A suivre…