Couronnement en demi teinte
Une mise en scène intéressante mais…
Si l’on admet que la notion de théâtre chanté est le point de départ de la production que nous ont proposé Jérôme Corréas et Christophe Rauck, la mise en scène devient à peu près cohérente. « A peu près » seulement car le prologue ou l’on voit la fortune en chaise roulante et l’amour vêtu comme un personnage gothique et les deux scènes qui ouvrent la seconde partie de la représentation, censées être sensuelles, voire comiques, sont quelque peu ridicules. Ramener le spectateur en plein XXIe siècle en utilisant comme point central de ces deux scènes une vespa et les habituels clichés des grands monuments romains tels que nous les voyons nous et non tels que les voyaient Néron et Poppée a de quoi surprendre. Ces détails tendraient plutôt à amoindrir le propos alors que l’on nous avait plongés jusqu’alors dans une Rome intemporelle qui convenait plutôt bien au sujet encore qu’elle s’accommode assez mal des nombreux costumes contemporains, simples vêtements de ville pour l’essentiel, dont sont vêtus les artistes à l’exception de Poppée elle même, Drusilla et Octavie qui ont la chance d’être habillées de très belles robes qui ramènent le public à l’époque de la création de l’oeuvre.
Un plateau vocal certes cohérent mais affaibli par une extinction de voix
La chose est assez rare pour être remarquée : la distribution de cette production dont font partie de jeunes talents très prometteurs est exclusivement française. Quel dommage cependant que Valérie Gabail, annoncée souffrante en début de soirée ait été atteinte d’une terrible extinction de voix qui l’a contrainte à chanter tout le rôle de Poppée une octave en dessous de sa tessiture normale; non que le rôle soit très long, mais il est dense et du coup la malheureuse chanteuse n’arrive pas, dans son jeu d’actrice, à transcrire correctement les sentiments de l’ambitieuse Poppée. En revanche Maryseult Wieczorek incarne un Néron de très belle tenue dans l’ensemble tant vocalement que scéniquement même si dans le duo d’amour qui suit l’annonce de la répudiation d’Octavie, la jeune femme doit chanter une octave en dessous pour ne pas couvrir Valérie Gabail rendant du coup ce duo inaudible; Néron apparait comme le souverain lunatique qu’il était effectivement même si le compositeur et son librettiste ont édulcoré les traits du personnage. Françoise Masset est une Octavie magnifique, elle fait parfaitement ressortir le désespoir et la jalousie de l’impératrice. Elle est omnubilée par son abandon, et n’entend pas les paroles de Sénèque qui prend ici les traits de Vincent Pavesi qui ne montre son véritable potentiel qu’à la mort de Sénèque très émouvante. L’Othon de Paulin Bündgen est certes correct mais il donne l’impression de réciter son personnage, complice de Néron, plus que de le jouer véritablement. Si les rôles secondaires sont bien interprétés, quel dommage que l’amour (Hadhoum Tunc qui chante aussi le court rôle de la Demoiselle) ait hérité d’un costume aussi laid et que Lucain (Romain Champion qui incarne également les deux petits rôles du 2e soldat et du 2e famillier de Sénèque) ne soit pas mieux mis en avant alors que l’un et l’autre ont un vrai tempérament.
Orchestre volontairement réduit
Dans la fosse, Jérôme Corréas à la tête des Paladins a volontairement choisi un effectif réduit pour mieux mettre en valeur la musique de Monteverdi et dans l’ensemble c’est un pari plutôt réussi. La sûreté de métier de Corréas qui débuta en tant que baryon-basse avant de se ré-orienter vers la direction d’orchestre lui permet de ne pas tomber dans la facilité. Mais comment le chef, lui-même chanteur à l’origine, a pu laisser son artiste principale prendre le risque de s’abîmer la voix car même si le rôle de Poppée n’est pas d’une longueur excessive, il n’en est pas moins dense sur le plan vocal.
Au final si cette version de L’Incoronazione di Poppea est très honorable elle aurait pu être excellente avec une Poppée en pleine possession de ses moyens et une mise en scène moins tape à l’oeil (en début de seconde partie). On ne peut également que saluer le courage de Valérie Gabail même si sa volonté de vouloir assurer son rôle à tout prix a paru parfois suicidaire. Compte rendu rédigé par Hélène Biard.
Poitiers. Théâtre Auditorium, 12 Février 2011. Claudio Monteverdi (1567 1643) :
L’Incoronazione di Poppea, opéra en un prologue et trois actes sur un livret de Gian Francesco Busenello. Valérie Gabail (Poppée); Maryseult Wieczorek (Néron); Françoise Masset (Octavie, la Fortune); Jean François Lombard (Arnalta, Nourrice); Vincent Pavesi (Sénèque); Paulin Bündgen (Othon, premier famillier de Sénèque); Dorothée Lorthiois (Drusilla, la Vertu); Romain Champion (Lucain, deuxième soldat, deuxième famillier de Sénèque); Hadhoum Tunc (l’Amour, Demoiselle); Charlotte Plasse (Valet); Matthieu Chapuis (Liberto, premier soldat); Virgile Ancely (troisième famillier de Sénèque, un licteur); ensemble Les Paladins; Jérôme Corréas, direction. Christophe Rauck, mise en scène