vendredi 29 mars 2024

Toulouse. Halle aux Grains, le 11 février 2011. Ludwig Van Beethoven… Nicholas Angelich, piano. Mahler Chamber Orchestra. Tugan Sokhiev, direction

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La ville rose n’est pas jalouse et si elle a les yeux de Chimène pour son Orchestre du Capitole et son chef, Tugan Sokhiev, elle sait accorder au chef tant aimé des histoires d’amour avec d’autres orchestres. C’est cela le prix du bonheur !

Tugan Sokhiev enflamme le Mahler Chamber Orchestra !

Dans une Halle aux Grains pleine à craquer le début de la tournée française du Mahler Chamber Orchestra et Tugan Sokhiev, organisée par les Grands Interprètes, a pris un envol fulgurant avant Metz, Paris et Aix-en-Provence. Les pianistes Nicholas Angelich et David Frey (Paris) se joignent à cette tournée éclair qui marquera à coup sur les divers publics rencontrés. Ce programme tout Beethoven propose des partitions célèbres qui poussent chacun à se dépasser.


La force du destin

La très belle ouverture de Coriolan débute avec les coups du destin qui annoncent un drame humain terrible. Dès les premières notes et les accords plantés avec précision et force mais sans rigidité ni lourdeur, le spectateur est pris dans un discours théâtral dont la dramaturgie ne le lâchera plus. Les jeunes instrumentistes du Mahler Chamber Orchestra s’engagent sans filet dans l’aventure exigée par un Tugan Sokhiev impavide comptant sur la splendeur d’un orchestre de surdoués. Le son de l’orchestre sans vibrato pour les cordes, avec une flûte en bois, des trompettes naturelles et des timbales à mailloche de bois ont une fluidité de texture extraordinaire. Jamais la moindre lourdeur mais au contraire un dynamisme juvénil tout à fait en phase avec la partition. Le souffle romantique qui fait gonfler les voiles du destin est d’une puissance rare sans la moindre saturation. Quel bel orchestre, précis et souple à la fois ! Les dynamiques sont très profondes et les phrases lyriques se déploient dans un espace immense fermé par les terribles accords comme le couvercle d’un tombeau ou les portes de la vie. Le suicide de Coriolan si bien suggéré par la dissolution de son thème si puissant du début est un grand moment ainsi dirigé par Tugan Sokhiev qui obtient de l’orchestre un son morendo au bord de l’audible pour terminer. La patte du jeune chef ossète rend hommage à cette partition fougueuse et si bien construite à la fois. Une entrée en matière porteuse de grands espoirs que la suite du concert va confirmer.


Impérial Empereur

Le concerto L’Empereur est un monument si triomphant et si admiré que s’y attaquer exige de proposer quelque chose de nouveau pour intéresser. L‘entente entre le soliste, le chef et l’orchestre a apporté une dimension chambriste à l’imposant concerto. Il paraît mesquin de détailler une interprétation si complète et si bien structurée respectant tous les enjeux tant pianistiques qu’orchestraux. Nicholas Angelich est un pianiste aux qualités rares. Il allie une virtuosité transcendante à une simplicité et un engagement musical total. Les phrases sont habilement détaillées et en même temps toujours inscrites dans la construction du morceau entier. L’imposant dialogue entre le pianiste et l’orchestre, en forme d’affrontement entre deux géants, prend ici une dimension humaine refusant la pure virtuosité. Et Pourtant quels moyens tant à l’orchestre que chez le pianiste ! Le jeu de Nicholas Angelich est toujours pondéré avec exactitude, jamais de hâte, de beaux rallentendo subtilement amenés, des envolées flamboyantes mais aussi des phrases sculptées dans la trame du bel canto le plus moelleux. La si belle introduction orchestrale après les accords imposants du soliste est un moment de délectation pour le public tant l’organisation de l’orchestre, l’équilibre entre les pupitres et les groupes d’instruments répondent à un ordonnancement merveilleux. L’entrée du piano, pleine de tendresse, est comme un acte de reconnaissance après tant de splendeurs. Il est rare d’entendre un équilibre si parfait entre premier et deuxièmes violons, des alti si présent et des violoncelles si chantants. Les trois contrebasses placées à gauche offrent un support d’une grande solidité. Les bois et les cuivres sont couleurs et lumières et la timbale n’est jamais lourde. Vraiment le Mahler Chamber Orchestra est un des meilleurs orchestres du monde ainsi dirigé. L’Adagio va atteindre au sublime avec un Tugan Sokhiev se permettant devant tant de sécurité musicale de diriger avec son seul sourire des instrumentistes heureux de le lui rendre et de jouer comme jamais. Nicolas Angelich atteint en une écoute subtile un accord rare avec les divers instruments capables de phraser comme en musique de chambre. Le chant du piano atteint une liquidité sublime. Les dialogues instrumentaux sont mystiques (la flûte ! les pizz des cordes !!). L’émotion étreint les cœurs. Puis le passage récitativo amenant au fulgurant final est dirigé avec souplesse comme un récitatif d’opéra par un Tugan Sokhiev radieux. Le tempo très vif du rondo final permet à la musique de fuser, en un moment de jubilation partagée. Toute idée de virtuosité est éliminée par un pianiste avant tout musicien. Aucune dureté dans un jeu construit sur la souplesse et la délicatesse du toucher. Les sourires échangés entre les musiciens et le chef sont le signe d’une connivence musicale rare. On se demande quel orchestre ne succombera pas au charisme d’un tel chef à la gestuelle si souple et naturelle, osant diriger avec tout son corps, son regard et son sourire. Succès considérable pour tous et reporté sur le pianiste qui bien conscient de la rare qualité du deuxième mouvement en prolonge l’intimité avec deux bis d’une liquide tendresse assumée en sa poésie. La première scène d’enfant de Schumann et une Mazurka de Chopin sont un choix subtil qui ravi le public et les musiciens de l’orchestre en une écoute, pour certains, quasi religieuse.


La symphonie qui nous porte au septième ciel !

La symphonie n°7, sous titrée la danse, convient admirablement à un chef si à l’aise dans les ballets. Jamais Tugan Sokhiev n’a paru si naturellement beethovenien. Comprenant chaque mouvement, l’articulant aux autres il construit une interprétation d’une grande puissance. Tout l’orchestre va y briller de mille éclats. Le hautbois est d’une sonorité chaude et lyrique, la clarinette subtile et moelleuse ose des nuances infimes, les cors sont somptueux de couleurs et de longueur de souffle tandis que les trompettes naturelles rivalisent sans complexes avec celles à pistons en ce qui concerne la justesse et les dépassent pour les couleurs. Mais ce sont surtout les cordes somptueusement équilibrées qui tout du long portent l’énergie et la souplesse du rythme dansé. Tugan Sokhiev articule, détaille, obtient des nuances subtiles et des fulgurances sidérantes. La marche funèbre est implacable sans aucune lourdeur. Ce qui marquera le plus est ce tempo implacable obtenu et une construction parfaite de toute la symphonie avec un final absolument incroyable, vif et élégant à la fois. Comme peu savent le faire, le dosage des nuances est si parfait, que Tugan Sokhiev obtient la nuance forte la plus haute, alors que nous pensions avoir été généreusement gâté précédemment pour une fin en forme d’apothéose. Du très grand art ! Le public subjugué obtient en bis l’ouverture des Noces de Figaro alliant une précision d’horloger suisse et un esprit mozartien des plus heureux dans un tempo à la vivacité incroyable.
Magnifique concert, après une courte résidence toulousaine de cet orchestre, dont certains musiciens avaient offert un somptueux concert de musique de chambre ouvert à tous gratuitement à 18h, pour un septuor pour vents et cordes de Beethoven de grand tenue. Cet orchestre créé par Claudio Abbado en 1997 est itinérant sans salle propre, il va conquérir certainement les publics de Metz, Paris et Aix-en-Provence avec un si beau programme dirigé avec tant de flamme par un Tugan Sokhiev heureux.
Hubert Stoecklin

Toulouse. Halle aux Grains. Vendredi 11 février 2011. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Ouverture de Coriolan op. 62 ; Concerto pour piano et orchestre n°5, op. 73 ; Symphonie n° 7 en la majeur, op. 92; Nicholas Angelich, piano. Mahler Chamber Orchestra. Direction : Tugan Sokhiev.

Illustration: Angelich © S. de Bourgies

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