vendredi 29 mars 2024

Bruno Mantovani: Akhmatova, création mondialeParis, Opéra Bastille, du 28 mars au 13 avril 2011

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Bruno Mantovani


Akhmatova

création mondiale

Paris, Opéra Bastille

Du 28 mars au 13 avril 2011

Pascal Rophé, direction
Nicolas Joel, mise en scène

C’est l’événement lyrique de mars 2011 à Paris: Bastille accueille le nouvel opéra de Bruno Mantovani, inspiré par la vie de la poétesse russe Anna Akhmatova (1889-1966). Le livret est écrit par Christophe Ghristi qui retrace cet engagement particulier de l’écrivain, témoin des pires heures de la terreur stalinienne: Que peut, que doit faire un artiste soumis à la barbarie ordinaire d’un régime autocratique?

La réponse est d’autant plus intéressante que l’Opéra Bastille semble la poser une seconde fois, après l’entrée au répertoire récente de l’opéra oublié de Paul Hindemith: Mathis le peintre (1938). La partition fut une révélation (décembre 2010) et marquait en lettres d’or, l’héroïsme humaniste du créateur, prenant la défense du peuple contre les figures de la tyrannie. Même s’il renonce au monde, en un acte suprême d’engagement, finissant solitaire, Mathis c’est Hindemith lui-même s’insurgeant contre le régime fasciste hitlérien.

Silence, voix de la conscience

Avec Akhmatova, Bruno Mantovani et Christophe Ghristi abordent eux aussi le thème moteur de la conscience de l’artiste mais ici volontairement replié dans le silence. Anna Akhmatova est une figure interdite par le régime, écartée des réseaux de publication et de diffusion; sa résistance est intérieure mais aussi douloureuse car à la frustration du poète condamné à l’ombre, les auteurs mettent en lumière surtout, la peine de la mère vis à vis de son propre fils, Lev, qui fut plusieurs fois inquiété puis emprisonné (à deux reprises précisément en 1938 puis après la deuxième guerre mondiale, déporté en Sibérie jusqu’en 1956): le fils reproche à sa mère de ne pas avoir su combattre ouvertement les autorités pour l’en faire sortir. C’est donc un drame humain doublé d’une position politique, entre silence et souffrance. Akhmatova écrit Requiem, offrande à la souffrance humaine dont celle de son fils et de toutes les victimes de la terreur organisée, celle des purges staliniennes.

La poétesse est connue des parisiens car née en 1899, elle épouse l’écrivain (et poète lui aussi) Nikolaï Goumilev (photo ci contre) qui l’emmène entre autres à Paris où Modigliani la portraiture en une série de dessins restés célèbres réalisés au début des années 1910 (celui de 1911 est l’affiche de la production à l’Opéra Bastille). Son écriture rompt avec l’esthétique symboliste, revendique la simplicité de la langue (acméisme fondé avec son compagnon Goumilev), mais avec la Révolution de 1917, la poétesse est mise à l’index, rejetée par la censure officielle et taxée de pensée bourgeoise. Pendant le siège de Leningrad, son poème Courage est publié à la Une de la Pravda (1942), hymne patriotique récupéré par les bolchéviques pour renforcer l’esprit de résistance du peuple assiégé. Après la seconde guerre mondiale, Anna Akhmatova est la cible comme Chostakovitch, de l’ignoble Jdanov, qui impose un régime d’inquisition artistique. Haineux, le censeur déclare à son encontre, c’est « une nonne ou une putain, ou plutôt à la fois, une nonne et une putain qui marie l’indécence à la prière ». Elle rejoint la colonie d’artistes maudits, oubliés par le régime, à Tachkent. Ce n’est que la mort de Staline qui lui ouvre les portes d’une renaissance publique: ses oeuvres sont enfin publiées.

Opéra pour mezzo

Pour Bruno Mantovani, l’opéra Akhmatova lui offre l’opportunité d’un vrai grand rôle féminin, en particulier écrit pour la mezzo mahlérienne et wagnérienne, Janina Baechle. Le mezzo retenu ici communique de façon charnel avec le ténor de bravoura, réservée pour la voix du fils, tendue en reproches et pointes amères.

L’écriture se veut introspective, volontiers sombre et grave, dont la couleur générale serait celle de l’orgue, avec une place privilégiée pour les parties de trombones, cors, clarinettes basses et accordéon. Mantovani suit la courbe intérieure du texte, celle du retrait, de l’indicible et du mystère. Anna Akhmatova demeure une créatrice singulière, indéfinissable, qui semble étrangement absente à la réalité, comme si pour se préserver de l’insupportable, elle ne souhaitait pas prendre parti sur les événements. C’est une partition inspirée par l’atmosphère du lied schubertien, qui comprend aussi des airs et des ensembles, et qui respecte à la lettre cette esthétique de l’épure, de l’allusif, de « l’économie » que revendique les figures et l’architecture du livret.

Avec Akhmatova, Mantovani compose sa seconde partition, commande de l’Opéra national de Paris, après le ballet créé en 2010, Siddharta (chorégraphié par Angelin Preljocaj), accueilli avec tiédeur par le public et les professionnels.
Akhmatova est au final un opéra introspectif pour voix de mezzo; son apparente inaction est a contrario la figure expressive d’un combat, celui d’une poétesse et d’une mère à la conscience exacerbée.

Illustrations: Anna Akhmatova par Modigliani (1911), avec son époux Nikolaï Goumilev, de profil en 1924 (DR)
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