Tchaikovski travaille directement avec Marius Petipa dont les exigences très précises guident le travail du compositeur. Si le succès ne s’est jamais démenti jusqu’à nos jours (dès les années 1892/1893 La belle au bois dormant triomphe sur les grandes scènes internationales), Tchaikovski, mort peu avant l’envol du ballet, n’en saura jamais rien. Les costumes et les décors du prologue sont magnifiques mais quel dommage que la lumière ait été si mal réglée. La couleur rose bonbon empêche de voir correctement ce qui se passe sur la scène et c’est d’autant plus regrettable que le corps de ballet remarquablement préparé donne de très belles choses à voir; et d’ailleurs le public londonien ne s’y trompe pas en réservant un accueil chaleureux aux danseurs qui se succèdent que ce soit pour les soli, les pas de deux ou les ensembles, merveilleusement réglés par le maitre de ballet. Le baptême d’Aurore gâché par la fée carabosse, dont l’entrée et la malédiction sont d’ailleurs les seuls moments du prologue à être correctement éclairés, reste cependant une « mise en bouche » agréable. Saluons l’engagement de chaque danseur quelque soit son degré d’implication dans le ballet. Après le premier entracte, au cours duquel les caméras requises pénètrent dans les coulisses du Royal Opera House, le premier acte de La belle au bois dormant est nettement plus satisfaisant en ce qui concerne les lumières et nous profitons enfin de chaque détail chorégraphique.
L’élégance de Lauren Cuthbertson (princesse Aurore) séduit, tant la danseuse étoile est aérienne; et quand la malédiction de Carabosse se réalise au grand dam des parents d’Aurore, la ballerine s’évanouit avec une grâce inégalable. La chasse, la vision de Florimond et le réveil d’Aurore qui occupent le deuxième acte permettent de découvrir le jeune Sergei Polunin (Florimond) qui est bon comédien, encore que la marge de progression soit importante, mais aussi excellent danseur. Comme pour rappeler que le corps de ballet du Royal Opera House a atteint un niveau d’excellence égal à celui des ballets russes, qui restent de toute façon insurpassables, Polunin, qui est justement d’origine ukrainienne, contribue avec bonheur à maintenir ce niveau, apportant à la production, un talent et une fougue qui lui permettent de se transcender et de briller aux côtés de Lauren Cuthbertson avec qui il danse depuis peu. Au troisième acte, celui du mariage, le clin d’oeil aux autres contes de Charles Perrault (Le petit chaperon rouge, La belle et la bête, Le chat botté …) est réjouissant et d’autant plus amusant que les pas de deux qui leur permettent de s’exprimer collent parfaitement à l’histoire qu’ils racontent. Quant aux pas de deux réservés au couple Polunin/Cuthbertson dans ce troisème et dernier acte, ils les montrent au sommet de leur art rendant avec une justesse étonnante le coup de foudre de Florimond et d’Aurore.
Malgré les lumières ratées du prologue, la soirée demeure très agréable en compagnie du corps de ballet du Royal Opera House de Londres qui a donné à voir une Belle au bois dormant superbe. Et on ne peut qu’apprécier un ballet dansé qui ose au III, l’intégration en pointillé, mais réussie, des personnages sortis d’autres contes de fée. La très belle réussite du ballet tient surtout à la grâce partagée des deux danseurs étoiles qui incarnent une Aurore et un Florimond idéaux.
Poitiers. Cinéma « le Castille », le 15 décembre 2011. En direct du Royal Opera House de Londres. Piotr Illitch Tchaikovski (1840-1893) : La belle au bois dormant, ballet en un prologue et trois actes; Oliver Messel, décors; Peter Farmer, décors supplémentaires; Mark Jonathan, lumières; Lauren Cuthbertson (princese Aurore); Sergei Polunin (prince Florimond); corps de ballet du Royal Opera House de Londres; orchestre du Royal Opera House de Londres, Boris Gruzin, direction. Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale Hélène Biard.