vendredi 19 avril 2024

Paul Lewis, piano. Mozart, Schubert, Ligeti Lyon, Auditorium. Lundi 17 novembre 2008 à 20h30

A lire aussi
Paul Lewis,

Piano


Lyon, Auditorium


Lundi 17 novembre 2008
à 20h30

Mozart: Sonates K.475 et 511
Schubert: Sonate D.894
Ligeti: Musica Ricercata

A l’invitation des Grands Interprètes et de l’Auditorium de Lyon, le pianiste anglais joue la 1ère des 4 Sonates ultimes de Schubert – domaine d’élection pour ce disciple d’Alfred Brendel -, deux pages tourmentées de Mozart et la Musica Ricercata d’un tout jeune Ligeti.

Un jamais vieux compositeur chez Kubrick
« Je suis aujourd’hui un vieux monsieur, disait Ligeti en 1997, mais j’ai conservé intacte une forme de curiosité. Je ne me suis pas engagé dans la direction qui consiste à cultiver sa propre grandeur comme certains cultivent leur style. Je ne suis jamais content de ce que j’ai fait. Je cherche toujours. » Le « jamais vieux compositeur », mort six ans plus tard à 83 ans, n’aura cessé de tenir parole, et avec humour : toujours « chercher », en effet, même si on a la sensation que selon la formule de Picasso, ce musicien-là « trouvait » d’abord et avant tout. Ecouter les premiers opus – de 1951-1953 – renvoie à ce que le compositeur appela plus tard, mais sans dérision et avec une certaine tendresse critique, du « Ligeti préhistorique », et qu’il ne renia pas. Peut-être aussi et justement parce que cette « musica » était « ricercata » (recherchée), et que malgré son air pré-historique au regard de ce qu’allait bientôt donner la confrontation du compositeur sorti de Hongrie avec les nouveaux langages « d’ouest », on y sent s’ouvrir un chantier extraordinairement riche. Dans ces 11 « moments musicaux », on entend – sans entendre si on n’a pas été prévenu ! – le développement d’un processus par augmentation( de 2 à 12 notes), mais aussi du Ligeti austère (I), du joyeux (III, qui sera transcrit dans les Bagatelles pour instruments à vent), de l’ému en Tombeau (IX, In memoriam Bela Bartok), et la part de mystère (II) qui nimbe de son leitmotiv Eyes Wide Shut, l’ultime film d’un Stanley Kubrick déjà grand consommateur et diffuseur de ligetisme à travers « 2001 », et pour finir du néo-baroque en clin d’œil d’Omaggio a Frescobaldi (XI)…. Bref, toute une séduction qui préfigure, même de très loin, la prodigieuse « musica ricercata » des Etudes pour piano ( que Paul Lewis joue également, tout comme les grandes partitions de l’Ecole de Vienne ou Kurtag…) et qui introduit sans souffrance à l’univers foisonnant du compositeur austro-hongrois…Voilà qui est bien dans la façon douce et courtoise de Paul Lewis, interprète exigeant ne se limitant pas au « répertoire » qui pourtant du côté du classique et du romantisme lui réussit tellement bien…

Fils spirituel de Brendel
Il est vrai que ce pianiste anglais de 36 ans est d’abord apparu comme schubertien, et que schubertien il l’est dans l’âme et l’esprit. En cela, « fils spirituel d’Alfred Brendel », dont comme son collègue autrichien Till Fellner – le même âge, la même filiation, une pudique discrétion et le refus du « tapage-comm » qui distrait de l’essentiel -, il reconnaît le rôle primordial dans l’approfondissement de son art. Un Brendel qui, ainsi qu’il l’a raconté à Céline Marie, « a d’abord tout mis par terre de mon interprétation lisztienne, une bombe sur ma façon de jouer la partition, mais c’était pour m’inciter à tout reconstruire… ». Dans la qualité et la durée de telles rencontres, qui vont bien au-delà des formules rituelles (« a suivi les cours de », « a eu les conseils de », « a travaillé avec » ) ayant cours dans les biographies, il faut chercher et entendre une vraie vision de la musique, et aussi dans les comportements sur scène ou par rapport à la médiatisation. Peut-être y a-t-il chez Paul Lewis des éléments de la culture self-control et de l’élégance en usage, dit-on, chez les Britanniques… Mais la déclaration selon laquelle « l’ego doit s’effacer devant les auteurs et les œuvres » n’a rien à voir avec de la pose, (la posture comme on dit de nos jours), et ce ne doit pas être hasard si l’un des domaines essentiels de Paul Lewis est circonscrit dans le territoire du piano Schubert, l’un des compositeurs les plus « emmurés » et modestes de l’histoire musicale, les plus voués à l’intériorité.

Lumière pour le voyage immobile

L’intégrale des sonates, (qu’il avait donnée à La Roque d’Anthéron), est à elle seule un monde, qui depuis le temps des « pionniers » de ce domaine – et Brendel en fut un, au moins à la 2nde génération – n’est plus une rareté d’interprétation, mais le désir d’explorer la complexité de ce continent longtemps presque oublié revêt chez Lewis une forme d’indépendance stylistique, une autonomie de réflexion et d’unité qui ne font en rien imaginer qu’ici dominerait le sur-moi pour une « copie de Brendel ». Les deux premiers disques français de Lewis (Harmonia Mundi) ont bien montré l’originalité de sa vision schubertienne, baignée d’une magnifique lumière d’élocution et d’architecture, mais interrogeant aussi l’ombre tragique, la durée du voyage comme philosophie d’un Temps sans cesse réinventé. Pour son concert de Lyon, Paul Lewis choisit la 1ère des 4 « grandes ultimes sonates », dont le côté Fantaisie (qui figure dans le titre) ouvre sur un imaginaire de « voyage immobile », d’insertions-leitmotive à l’harmonie troublante (ce motif si énigmatique qui hante l’allegro initial), d’une âpreté (mortelle ?) qui dialogue pourtant avec un lyrisme enchanteur (andante à variations). Comme le rappelle l’indispensable livre de Brigitte Massin, Schumann disait aux pianistes : « Ne vous mêlez pas de jouer le finale de la Sonate-Fantaisie si votre imagination ne peut en résoudre les énigmes ! » Et nul doute que P.Lewis sait traduire ce que le récent et si beau « Schubert » de Philippe Cassard (Actes Sud) nomme pour cette Sonate-Fantaisie « une palpitation intérieure captée en sa genèse, au ralenti, des silences musicaux pour écouter le silence éternel. »

Auto-portrait in progress
Ailleurs – au concert, au disque – Paul Lewis est aussi chambriste que concertiste et soliste (tiens, il lui arrive de jouer avec le fils violoncelliste de son maître, Adrian Brendel…). Il a aussi entrepris d’interroger l’autre monde, volontaire, constructeur, décisif, rarement aussi « abandonné », des sonates de Beethoven. Ici, c’est pourtant une autre solitude qu’il sonde, celle de Mozart en Fantaisie (K.475) ou en Rondo (K.511), dont les titres ne cachent pas longtemps qu’il s’agit en 1785 d’improvisations « nocturnes » et prophétiques (harmonie, ruptures de ton, intensité de la confidence) pour l’évolution de l’histoire musicale, notamment par rapport au romantisme-à-venir. Ainsi peut s’affirmer la cohérence d’un programme placé sous le signe de l’interrogation du secret, par un artiste qui donne ainsi la mesure de ce qui peut constituer pour ses auditeurs les compléments d’un auto-portrait-in-progress, échelonné au long des visites que rend le pianiste britannique à notre cité d’entre les fleuves…

Auditorium de Lyon, lundi 17 novembre 2008, 20h30. W.A.Mozart (1756-1791), Fantaisie K.475, Rondo K.511 ; F.Schubert (1797-1828), Sonate-Fantaisie D.894 ; G.Ligeti (1923-2006), Musica Ricercata. Information et réservation : Tél.: 04 37 24 11 66 ; 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com

Illustrations: Paul Lewis (DR)

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