Compte rendu par notre envoyée spéciale Hélène Biard
C’est à la fin de l’année 1834 que Vincenzo Bellini (1801-1835) compose
son ultime chef d’œuvre, I puritani. le jeune homme est en effet décédé
huit mois après la création triomphale de son opéra le 25 Janvier 1835
au Théâtre-Italien de Paris. I puritani est l’un des trois opéras les
plus populaires de Bellini avec La sonnambula et Norma tous deux
composés et créés en 1831.
Pour cette production estampillée opéra national de Lyon et donnée en
version concert, le quatuor principal est composée de deux artistes dont
la réputation n’est plus à faire et de deux jeunes artistes (ils sont
l’un et l’autre trentenaires) dont le talent reste prometteur, s’ils
savent gérer leurs carrières respectives avec sagesse.
On ne présente plus le baryton romain Pietro Spagnoli qui est bien connu
pour ses superbes interprétations des rôles rossiniens; il fait là sa
première incursion dans le répertoire dramatique bellinien en incarnant
Sir Riccardo Forth. Spagnoli campe un Riccardo honorable et si l’air « Io
la perdei … » est interprété avec simplicité, il montre néanmoins ses
limites dans le duo Giorgio/Riccardo : ses aigus sont quelques peu
absents quand ils ne sont pas écorchés. Mais dans l’ensemble le baryton
romain est très correct et les quelques huées qui se font jour dans la
salle au moment des saluts sont totalement imméritées au vu de la
performance globale de l’artiste.
Car aucun reproche majeur ne peut être fait à Spagnoli qui, meilleur
dans les rôles bouffes (Mustafà (L’italiana in Algeri), Figaro (Il
barbier di Siviglia) ou Don Magnifico (La cenerentola)…), ne démérite
vraiment pas. En revanche Michele Pertusi fait depuis longtemps partie
des grands interprètes du bel canto romantique italien; il incarne avec
une tranquille autorité un Giorgio émouvant. Dommage qu’il soit si souvent couvert par l’orchestre. Cela empêche de
profiter de l’aria « Cinta di fiori … » où le baryton décrit avec
tristesse l’état dans lequel se trouve la malheureuse Elvira;
On ne s’étonnera pas de voir Pertusi prendre le pas sur Spagnoli dans
leur duo » Il rival salvar tu deî … » puisqu’il connait parfaitement une
oeuvre que son collègue ne chantait que pour la seconde fois vendredi
soir. Ce sont cependant Olga Peretyatko et Dmitri Korchak qui se
taillent la part du lion en incarnant un couple quasi idéal. Olga Peretyatko
entre dans la peau d’Elvira avec une aisance confondante et dès le duo
avec Giorgio qui fait office de père de substitution et de bienveillant
protecteur, la soprano donne le ton de la soirée. Bellini a composé des
pages redoutables pour la voix et Elvira ne fait pas exception; Olga
Peretyatko les affronte crânement avec une gourmandise non dissimulée :
« Son vergin vezzosa … » ainsi que la scène de la folie « Rendetemi la
speme o lasciatemi morire … » reçoivent d’ailleurs une ovation méritée.
Dmitri Korchek a les qualités d’un excellent bel cantiste encore que,
visiblement à peine remis d’une brève indisposition lors de la première
lyonnaise le 13 novembre, les aigus soient souvent tendus, voire forcés
surtout en première partie de soirée. Korchak n’en est pas moins un très
bel Arturo; déchiré entre sa fidélité à son parti, celui des Stuarts,
et son amour pour Elvira la puritaine, le jeune homme, ne réalisant pas
que la haine de Riccardo le poursuit, passe d’abord pour un traitre
avant de pouvoir profiter de son amour retrouvé. Dmitri Korchak exprime
les sentiments contradictoires d’Arturo surtout dans l’air du dernier
acte « Son salvo … Alfin, son salvo… » ; même réussite dans le duo
d’amour avec Elvira qui reçoit un accueil triomphal au point que des bis
retentissent dans la salle.
Dans les rôles secondaires c’est d’abord Daniela Pini (Enrichetta di
Francia) qui retient l’attention, Rame Lahaj (Sir Bruno Robertson) et
Ugo Guagliardo (Sir Gualtiero Walton) complètant agréablement le
plateau.
Le véritable point faible de la soirée nous vient de la direction du
chef turinois Evelino Pido à la tête de l’orchestre de l’opéra national
de Lyon. Si le chef adopte des tempi dans l’ensemble assez justes, il
semble avoir oublié la signification du mot « nuances ». En effet pendant
la plus grande partie de l’oeuvre les solistes sont couverts et doivent
faire au mieux pour arriver à passer la barrière que constitue
l’orchestre; quant aux choristes, ils sont obligés de chanter beaucoup
plus fort qu’ils ne devraient. Le second problème vient de l’ouverture
truffée de fausses notes; si le chef recadre rapidement l’orchestre
quant à la justesse, on peut regretter que la musique de Bellini soit
noyée dans un océan de bruits et d’incongruités auxquels échappent
miraculeusement la scène de la folie du deuxième acte et l’aria d’Arturo
au dernier acte. Quant au show dont Pido gratifie le public pendant
toute la soirée, il est parfois comique, souvent très irritant.
Les Puritains qui n’ont pas été donnés à Paris depuis quelques années
revenaient donc en version concert au Théâtre des Champs Élysées. On
peut regretter qu’Evelino Pido dirige le chef d’oeuvre de Bellini comme
s’il dirigeait un simple concert de musique instrumentale, couvrant les
chanteurs, obligeant les choeurs à chanter
trop fort; ces regrets sont d’autant plus grands que la distribution
réunie pour l’occasion est globalement excellente avec un accessit pour
Pietro Spagnoli : le chanteur campe un Riccardo honorable; des palmes
pour Olga Peretyatko et Dmitri Korchak qui font d’Elvira et Arturo un
couple d’amoureux comme on aimerait en écouter plus souvent.
En revanche les huées entendues au tout début de la seconde partie et
aux saluts finaux sont indignes d’une salle parisienne comme le TCE car
malgré les réserves que nous avons émises, elles étaient injustes et,
pour Sapgnoli, imméritées.
Paris. Théâtre des Champs Élysées, le 16 novembre 2012. Vincenzo Bellini
(1801-1835) : I Puritani, opéra en trois actes sur un livret de Carlo
Pepoli d’après le drame historique de Jacques-François Ancelot et Joseph
Xavier Boniface. Olga Peretyatko (Elvira); Dmitri Korchak (Lord Arturo
Talbo); Pietro Spagnoli (Lord Riccardo Forth); Michele Pertusi (Sir
Giorgio Walton); Rame Lahaj (Sir Bruno Robertson); Daniela Pini
(Enrichetta di Francia); Ugo Guagliardo (Sir Gualtiero Walton).
Orchestre et choeur de l’opéra de Lyon. Evelino Pido, direction.