vendredi 29 mars 2024

Fortissimo MusiquesLyon, Salle Molière, le 21 novembre 2012,20h30

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Fortissimo-Musiques
Lyon, Salle Molière
4 concerts


du 21 novembre 2012 au 9 avril 2013

Trio Wanderer : Schubert, Brahms, Tchaikovski, 21 novembre, 20h30.
La musique de chambre lyonnaise a son temple presque intime, sur la rive droite de Saône : la Salle Molière, qui abrite plusieurs associations de concerts. Fortissimo propose un programme en quatre épisodes, dont le premier fait aborder, grâce au Trio Wanderer, les ardeurs brahmsiennes (op.8), la rêverie schubertienne (Notturno), et une superbe méditation si russe de Tchaikovski sur l’amitié, la vie et la mort, l’ample poème en deux mouvements de son Trio op.50.


La banque des Quatre

On sait à Lyon – et ailleurs – les vertus acoustico-décoratives (un rien kitsch) de la Salle Molière, dite l’Incontournable –bien qu’elle soit située au long et au front droit d’un quai de Saône, et que tout honnête chroniqueur musical doive se méfier de l’adjectivation automatique -, et s’est avérée depuis très longtemps idéale pour la musique de chambre. « La Salle », unique entre Rhône et Saône, accueille plusieurs associations et saisons de ce domaine intime, et en particulier « la bande des Quatre » : traditionnelle mais revigorée Société de Musique de Chambre, tenace et « primo-pianistique » Association Chopin, conquérant et médiatisé Piano à Lyon, discret et plus resserré Fortissimo. Cette dernière, malgré la proclamation de son titre en intensité, parle mezzo voce, et centre ses activités sur une formule à quatre temps d’hiver et de printemps commençant.


ABBA’

Et ses quatre invitations de 2012-2013, sans répondre exactement à la notion de thématique, pourraient être décrites par les analystes, gens rigoureux, selon un schéma chronologiquement ABBA’, Trio deux fois piano Duo. Et, tout en pratiquant la réinvitation d’artistes qui aide à fonder la mémoire affective (Trio Wanderer, Zhu Xiao-Mei…), du côté des compositeurs choisis une jolie variété, sans toutefois sortir des limites classicisme XVIIIe, hyper puis post-romantisme XIXe, modernité XXe – l’aire de jeu où aiment à s’ébattre les mélomanes dominants, paisibles mais toujours un peu effarouchés en face d’écritures trop novatrices… « On peut assimiler le monde au troupeau de ruminants qui lève la tête quand jaillit un éclair pour continuer ensuite de pâturer paisiblement » : c’est Robert Schumann qui l’écrivait…


Un trio de voyageurs

Que serait le paysage chambriste français sans son Trio Voyageur (Wanderer, pour les fervents), mêlant des personnalités d’apparence (au moins) antithétique, dans la réserve du violoniste grand-corps-timide Jean-Marc Philips-Varjabédian, ou la gestuelle démonstrative-élégante du violoncelliste Raphaël Pidoux, «en face » de la joyeuse et conquérante autorité du pianiste Vincent Coq. En fait, ces trois s’entendent – à tous sens du terme – admirablement, et ont su imposer depuis la fondation (1987 ; J.P.Philips est ensuite venu remplacer Guillaume Sutre) un « style français » à l’écoute des grands ancêtres germaniques. Leur programme lyonnais joint Schubert à Brahms et Tchaikovski. De Schubert – le Wanderer inspirateur par essence-, un Notturno isolé de 1827 qui parle d’abord avec douceur d’une Nuit arpégée qui cède aux charmes d’une éloquence virtuose. Le Brahms de l’op.8 est celui de la jeunesse ardente, emmené vers les sommets par l’enthousiasme de Schumann qualifiant son cadet nordique de « jeune aigle ». Et en effet, quelle beauté, légendaire aussi, dans le thème qui armature et hante l’ample allegro initial ! Quel mystère d’intériorité – de religiosité, aussi ? – dans l’adagio qui avance si calme ! Quel rejaillissement dans le finale émerveillé !


… en voyage métaphorique et russe

Quant au Trio de Tchaikovski, l’une des grandes œuvres de toute la musique de chambre – et pas seulement dans la période du post-romantisme où elle se situe historiquement -, il s’inscrit à l’origine dans le paradoxe : le compositeur d’Onéguine détestait tout trio avec piano, et pourtant il écrit Son Trio, en 1880, « sur commande »…de l’Amitié endeuillée par la mort de son ami, le pianiste Nicolas Rubinstein. Le cadre de cette œuvre immense – pas loin d’une heure – est d’ailleurs fort inhabituel : deux mouvements , qui « parlent » d’un thème toujours obsédant chez Tchaikovski, une mort qui ne se donne pourtant ici pas à voir et entendre dans le spectacle du macabre, plutôt comme Pezzo Elegiaco (« la plaintive élégie en longs habits de deuil » telle que l’avait décrite un poète français), puis en Tema con Variazioni qui serait plutôt la vie du musicien en onze épisodes. L’ultime Variation et sa coda pourraient d’ailleurs se faire, par leur longueur récapitulative, 3e mouvement de l’œuvre. On n’oublie pas, tout au long de ce voyage métaphorique, le tendre, le bouleversant thème initial qui commence l’œuvre et reviendra en déploration funèbre, se raréfiant dans l’espace de la Coda . Aux temps européens d’une conception cyclique, cette dialectique temps perdu-temps retrouvé joue avec la mémoire, se fait tout ensemble profondément russe et absolument universelle.


Beethoven et Liszt

Ensuite, centrage sur auteur mais transcription des mille voix de la symphonie instrumentale aux cent voix du clavier : c’est Beethoven de la 4e et de la 5e revu, « réduit » et aussitôt pianistiquement ré-agrandi par le génie fraternel et filial de Liszt. Un Beethoven-Liszt comme une composition nouvelle, et où Jean-Frédéric Neuburger donnera toute sa mesure de constructeur et de virtuoso assoluto ; le si jeune pianiste – apparu avec « look à la Harry Potter et petites lunettes » – aborde pourtant sa 26e année, sa précocité de surdoué ne disparaît pas, mais laisse aussi voir un interprète qui pense le piano, et – cela ne s’entendra pas dans le programme lyonnais, mais il est bon de le savoir – compose depuis… longtemps en toute discrétion réfléchie.


La Rivière et son secret

Puis ce sera l’expression d’une autre solitude en recherche d’altérité, la continuation d’un long parcours de libération : la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei, c’est tout à la fois légende d’évasion physique et spirituelle – la sortie des geôles révo-cult -, exaltation ( mais nulle mise en scène) d’un héroïsme artistique qui se fonde aussi sur le travail sans concession, confiance en des maîtres contemporains (aux Etats Unis, Rudolf Serkin) et dans la nourriture que constitue, au dessus de tout, l’œuvre de J.S. Bach. Le reste sera non point littérature –même si elle a « écrit » son auto-récit dans « La Rivière et son secret » -, mais poursuite d’une ascension de l’âme.( On pourra aussi penser au destin de son aîné argentin, le pianiste argentin Miguel-Angel Estrella, qui souffrit dans son corps et son esprit – torture ,long emprisonnement – par les dictatures sud-américaines, et voue sa vie à la transmission de la « Musique-Espérance ».) A Lyon, après l’hommage à Bach – 1ère Partita -, ce sera une avancée dans le temps ultérieur de la musique : la 38e Sonate de Haydn, des extraits des trop peu jouées Bunte Blätter, feuillets multicolores et rêvés de Schumann qui si justement disait que le Clavier Bien Tempéré devait être « pain quotidien » d’un musicien, et le testament beethovénien de la 32e Sonate. Cet op.111 pourrait sembler une involontaire Inachevée mais son deuxième et ultime mouvement, l’Arietta-Variations, clôt la recherche de toute une vie dans l’énigmatique, tendre et altière beauté : partition idéale pour une pianiste qui a toujours pris son art en gravité pour le communiquer à qui veut bien écouter les voix de l’intérieur.


Supplément d’âme

Enfin, au début du printemps, un autre voyage en duo dans la Russie « moderne ». La violoncelliste Emmanuelle Bertrand et le pianiste Pascal Amoyel ont d’abord choisi aussi bien le brillant d’une Vocalise de Rachmaninov que la jeunesse ardente et « pastorale » d’une Sonate écrite par Borodine en 1860 (il avait 27 ans), « basée sur la fugue de la 1ère Sonate de violon de Bach, un manuscrit longtemps resté en des mains privées et aujourd’hui édité »(P.E.Barbier). Puis ce sera Chostakovitch, celui des mélodies de la poésie populaire juive, et l’op.40, tourmenté, parfois sarcastique, puis tout à coup d’un lyrisme sans retenue (le largo : « un des premiers monologues à la Pouchkine, où le violoncelle remplace la voix »), que le compositeur écrivit en 1940 dans l’insomnie et la douleur affective. La violoncelliste ( lauréate du Concours Rostropovitch) et le pianiste (héritier spirituel de Cziffra) forment depuis longtemps (et « à la ville ») un duo qui ne se contente pas d’explorer la passion des musiciens du romantisme européen, mais demande aux écritures d’aujourd’hui – Henri Dutilleux a conseillé et inspiré Emmanuelle Bertrand ; Pascal Amoyel, qui lui aussi compose, a entre autres, révélé des partitions d’Olivier Greif , en soliste ou en duo – un « supplément d’âme », qu’il dispense en toute générosité.

Lyon, Salle Molière. Saison Fortissimo. Du 21 novembre 2012 au 8 avril 2013. Mercredi 21 novembre, 20h.30. Trio Wanderer: Schubert (1797-1828), Notturno. Brahms (1833-1897), Trio op.8. Tchaikovski (1840-1893), Trio op.50.
Information et reservation: T. 04 78 39 08 39; www.fortissimo-musiques.com

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