vendredi 4 juillet 2025

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le 29 mai 2012. Mozart : Cosi fan tutte. Camille Tilling, Michèle Losier, … Jérémie Rhorer, direction. Eric Génovèse, mise en scène

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Magie de Cosi

« Une mise en scène, c’est comme une vitre : c’est quand elle est sale qu’on la voit » disait Harry Kupfer. Cette phrase frappée au coin du bon sens s’applique parfaitement à cette reprise de la mise en scène d’Eric Génovèse pour Cosi fan tutte : à peine l’action commencée, elle disparaît totalement, à tel point qu’on l’oublie, tant chaque action semble spontanée et tant les personnages virevoltent et tourbillonnent avec naturel, comme une évidence. Les décors pastels, fonctionnels et discrets, laissant voir en coupe les appartements des deux sœurs, se meuvent au gré de l’histoire, avec une efficacité jamais prise en défaut. Les costumes sont à l’avenant, élégants et légers, jusqu’à ceux des albanais, évitant toute surcharge. Une scénographie classique et pourtant jamais figée, dans un mouvement perpétuel qui laisse paradoxalement aux airs toute leur place, véritables moments où le temps s’arrête, un modèle à suivre.
Musicalement, on est tout aussi bien servi. Camilla Tilling, malgré une voix qu’on craint au premier abord trop légère pour le rôle, s’impose peu à peu en Fiordiligi. Si « Come scoglio » semble la pousser dans ses retranchements, elle assume crânement la tessiture impossible de cet air, jusqu’à des graves certes peu puissants mais parfaitement assurés. Au fil de la représentation, la voix s’étoffe, prend du corps et le registre grave s’ouvre, pour culminer dans un « Per pietà » saisissant d’intériorité et de fierté, aidée en cela par le chef, l’un des grands moments de la soirée.
Sa sœur, la ravissante Dorabella, trouve en Michèle Losier une interprète de choix. Dès son « Smanie implacabile », sa superbe voix se déploie et emplit le théâtre. On retrouve ce soir toutes les qualités qui faisaient le prix de son Prince charmant dans Cendrillon de Massenet à l’Opéra Comique : hauteur de l’émission, richesse du timbre, clarté des voyelles, élégance du style, une des mezzos avec lesquelles il faut compter aujourd’hui.
En Despina piquante et malicieuse, trop heureuse de tirer les ficelles de ce marivaudage échevelé, Claire Debono rafle la mise, grâce à une présence scénique très affirmée et un timbre des plus séduisants. Seul lui manque un peu de legato, qui rendrait sa servante plus mozartienne.
Chez les hommes, on est heureux de retrouver Bernard Richter dans Ferrando après son magnifique Ottavio à l’Opéra Bastille. L’instrument sonne toujours comme une épée de lumière, d’une clarté solaire éblouissante, puissant sans effort, particulièrement impressionnant d’impact dans les passages vaillants. Seuls les moments élégiaques le trouvent parfois en mal de voix mixte, comme gêné par le centre de gravité très haut de l’écriture de ce rôle, malgré une belle musicalité et un vrai travail sur les nuances.
Son compère Guglielmo laisse plus mitigé : en dépit d’un personnage admirablement campé, la voix de Markus Werba sonne souvent grossie et engorgée, semblant vouloir donner du son, alors que la ligne musicale n’en demande pas tant. C’est dans « Donne mie », peut-être l’air de l’œuvre le plus proche de la voix parlée, qu’il se révèle à son meilleur, la rapidité du tempo l’empêchant de chercher à « chanter », le forçant à dire simplement les mots sur les notes. Un chemin qu’il pourrait suivre pour retrouver le naturel de l’émission vocale.
Pietro Spagnoli, déjà présent en il y a quatre ans lors de la création de cette production, retrouve avec bonheur le personnage roublard et sûr de lui de Don Alfonso. Il croque parfaitement ce meneur d’intrigue, toujours raffiné, avec une voix et une diction aussi racée que son incarnation.
Excellente prestation du chœur, homogène et transparent.
La présence d’un orchestre sur instruments anciens pouvait laisser craindre des sonorités sèches et acides, il n’en a rien été ce soir. Le Cercle de l’Harmonie sonne avec rondeur et velouté, offrant un accompagnement de « Soave sia il vento » aérien et flottant, comme en apesanteur. Toujours percutant et jamais agressif dans ses attaques, cet orchestre se révèle la grande surprise de la soirée. A sa tête, Jérémie Rhorer varie les tempi avec talent, sans jamais tomber dans la précipitation, sachant ralentir et étirer les lignes quand l’action le demande. A ce titre, l’accompagnement du « Per pietà » de Fiordiligi est exemplaire, littéralement sculpté dans ses sonorités pour traduire le déchirement qui consume la jeune femme.
Du vrai théâtre musical, magnifié par une complicité de tous les instants entre les protagonistes, pour une soirée qui passe comme un zéphyr, où on ne voit pas le temps s’écouler, et dont on sort simplement heureux.

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 29 mai 2012. Wolgang Amadeus Mozart : Cosi fan tutte. Livret de Lorenzo da Ponte. Avec Fiordiligi : Camilla Tilling ; Dorabella : Michèle Losier ; Despina : Claire Debono ; Ferrando : Bernard Richter ; Guglielmo : Markus Werba ; Don Alfonso : Pietro Spagnoli. Chœur du Théâtre des Champs-Elysées. Le Cercle de l’Harmonie. Jérémie Rhorer, direction musicale. Mise en scène : Eric Génovèse ; Metteur en scène associé : Valérie Nègre ; Décors : Jacques Gabel ; Costumes : Luisa Spinatelli ; Lumières : Olivier Tessier

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