vendredi 29 mars 2024

Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 10 décembre 2012. Luigi Cherubini: Médée, opéra en 3 actes. Livret de François-Benoît Hoffmann. Choeur Radio France, dir. Stéphane Petitjean. Les Talens Lyri

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Le Théâtre des Champs Elysées achève sa trilogie de Médée avec le chef d’oeuvre de Luigi Cherubini (1760-1842) dont la première eut lieu en mars 1797 au Théâtre Faydeau. Pour cette première de fin d’automne 2012, il s’agît d’une reprise de la production bruxelloise du Théâtre Royal de la Monnaie signée Krzysztof Warlikowski.


Médée, drame fou d’un amour d’antan

Luigi Cherubini, florentin devenu Directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique en 1822, est reconnu surtout pour ses opéras, sa musique sacrée … et un sacré tempérament ; un étrange mélange de conservatisme réactionnaire et d’insolente modernité. Il est étonnant (ou pas) que le grand symphoniste du 19e siècle, Ludwig van Beethoven lui-même, le considérait comme le meilleur de ses contemporains… Il voyait le génie symphonique et dramatique de l’Italien dans ses ouvertures d’opéras, qui l’ont profondément marqué (NDLR: voir aussi sa remarquable Symphonie récemment abordée par le JOA Jeune Orchestre Atlantique à Saintes en novembre 2011. Voir notre reportage vidéo).

L’orchestre des Talens Lyriques dirigé par son fondateur Christophe Rousset donne une belle prestation pleine de verve, aux contrastes impressionnants. Le collectif est imposant, vigoureux, parfois pompeux, souvent héroïque, toujours agité. Parfait accompagnateur du drame fou de la plume de François-Benoît Hauffmann inspiré de la tragédie d’Euripide et de la pièce éponyme de Pierre Corneille.


Une contemporanéité qui dérange

Elodie Kimmel dans le rôle de Dircé a une belle couleur vocale ; elle se montre agile dans sa coloratura sans pour autant laisser une forte impression musicale. Elle surprend en revanche par son charme sur scène et ses dons d’actrice. De même pour les deux servantes interprétés par Ekaterina Isachenko et Anne-Fleur Inizan, nous retiendrons particulièrement la voix de la dernière.
John Tessier dans le rôle de Jason a la voix claire et jolie, mais il ne peut guère approfondir son personnage assez plat (sauf, peut-être, dans les dialogues parlés conçus par Warlikowski et son dramaturge Christian Longchamp, dont nous parlons plus loin). Créon est interprété par Vincent Le Texier à la voix sobre et puissante. Il a surtout une présence sur scène séduisante et d’une certaine fraîcheur perverse. Néris, servante de Médée, est interprétée de façon magistrale par Varduhi Abrahamyan (impressionnante Paulina dans La Dame de Pique également) dont le chant chaleureux et finement expressif a beaucoup touché l’audience.

Nous arrivons donc à la performance de Nadja Michael dans le rôle-titre. Seul personnage de l’opéra avec de la profondeur, Michael montre la puissance de son instrument mais sacrifie souvent son articulation de la langue. Elle a pourtant une force dramatique à reconnaître, et si elle impressionne d’abord par sa beauté plastique et ses dons d’excellente actrice, sa Médée partage sa souffrance et sa folie avec un public aussi impressionné par son agilité vocale.

Et la mise en scène ? Krzysztof Warlikowski est habitué des réactions hostiles à son travail; il e a été violemment hué par deux ou trois messieurs très respectables du public (et qui ont de même eu l’audace, pour dire le moindre, d’interrompre la présentation en cours, au point d’obliger un Vincent Le Texier légèrement vexé, avec raison, à les inviter à sortir de la salle s’ils le souhaitaient…); Nonobstant le metteur en scène demeure surtout adulé par une très grande majorité des spectateurs à la fin du spectacle.

Sa mise en scène est contemporaine et élégante, avec une certaine sophistication malgré la violence et le ton ostensiblement sexué. Elle est même pertinente, intelligente, d’une superbe efficacité. S’il remplace les dialogues parlés originaux par des nouveaux textes, écrits par lui-même avec son dramaturge, ils sont très significatifs, comparés au livret (remarquons un Jason qui dit « Tu es satisfaite de tout ce bordel? » et une Médée qui réponde « Tu es minable, je n’en veux pas de ton fric »!). Ce changement que certains peuvent qualifier de défaut, a une fonction dramatique indéniable; il rapproche l’opéra poussiéreux et désuet de Cherubini à notre parler actuel.
Tout dans la mise en scène rehausse l’intérêt et l’attrait de l’œuvre. Médée est tatouée avec une forte ressemblance à Amy Winehouse, un Créon avec des lunettes de soleil et en jogging révélateur (décors et costumes de Malgorzata Szczesniak), projections vidéo dérangeantes d’un mariage et d’une famille dysfonctionnelle (conception par Denis Guéguin), et des lumières quelque peu cinématographiques (de Felice Ross). Oui, deux femmes du chœur s’embrassent passionnément pendant que Jason chante son air au premier acte. Oui, à la fin du même, nous voyons les femmes du chœur danser une musique des années 60 (belle prestation du Chœur de Radio France dirigé par Stéphane Petijean). Oui, nous ne sommes plus au siècle des Lumières. Et oui, ces 3 ou 4 messieurs du public qui ont crié leur classe (ou manque de) se sont fait très vite écrasés par un public fort engagé et stimulé par la mise en scène de Warlikowski. Ceux-là voulait peut-être voir et entendre autre chose, tout comme le reste des spectateurs qui n’ont surtout pas payé pour entendre les plaintes bruyantes de quelques réactionnaires.

Heureux Warlikowski qui arrive à exciter un public divers, de tous âges et nationalités mêlées ; heureux public qui applaudit en souriant avec ferveur pour remercier les artistes d’une expérience à laquelle il ne s’attendaient certainement pas. Heureux Théâtre des Champs Elysées, qui achève sa trilogie de Médée (après celles de Charpentier et Dusapin) avec un éclat pertinent que nous aurons du mal à oublier.

A réécouter sur France Musique le samedi 29 décembre 2012 à 19h.
A revoir en dvd Médée de Cherubini par Les Talens Lyriques, 1 dvd Bel Air classiques.

Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 10 décembre 2012. Luigi Cherubini:
Médée, opéra en 3 actes. Livret de François-Benoît Hoffmann. Choeur
Radio France, dir. Stéphane Petitjean. Les Talens Lyriques. Direction
musicale Christophe Rousset. Mise en scène, Krzysztof Warlikowski.
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