jeudi 18 avril 2024

Paris. Salle Pleyel, le 1er octobre 2009. Récital Anna Netrebko et Massimo Giordano. Orchestre National d’Île-de-France. Keri-Lynn Wilson, direction

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Public des grands soirs Salle Pleyel, ambiance survoltée, spectateurs chauffés à blanc, électrisés par la venue à Paris d’une des plus grandes divas du moment, et d’un jeune ténor italien qui monte et remporte de francs succès à travers le monde. Disons-le tout net, le magnétisme scénique et vocal d’Anna Netrebko a jeté dans l’ombre la prestation honorable de son partenaire, Massimo Giordano, malgré leur évidente complicité durant leurs duos, du romantisme tendre de Roméo et Juliette à l’humour débridé de celui de l’Elisir d’amore.
Au chapitre des éloges, le timbre et la tenue de la ligne de la soprano russe. Sa couleur vocale sombre, moirée, son sens des couleurs font merveille dans Rusalka, avec un Chant à la lune d’une rare beauté, poétique et… lunaire, comme il se doit, entre l’éclat et le murmure. Sa Mimi, très tendre et mutine, et fort bien chantée, ne fait pourtant pas oublier l’éclat de la voix, la projection insolente et le velours capiteux de l’instrument, qui se prêteraient davantage au rôle de Musetta, bien mieux en tout cas qu’à la fragile cousette pucinnienne. La moqueuse Adina, qu’elle connaît sur le bout des doigts, lui va à ravir : elle en a la grâce et le poids vocal, bien loin des sopranos légers souvent distribués – à tort – dans cet emploi.
Lucia di Lammermoor pose davantage de problèmes. La couleur du timbre et la nature même de la voix se révèlent idéaux pour ce rôle, davantage soprano dramatique d’agilité que rossignol aux envolées suraigües. Mais la technique belcantiste authentique n’est pas maîtrisée, les trilles sont esquissés, et les vocalises tiennent davantage de la facilité d’une voix souple que d’un véritable travail sur l’agilité. Elle parait alors moins à l’aise dans l’invention des couleurs – qui reste un des aspects primordiaux de l’art belcantiste –, alors que, dans un air comme celui de Rusalka, coulant plus naturellement dans sa voix et sa technique, elle démontre sa grande musicalité. L’aigu, en revanche, est là, et bien là. Même causes, mêmes effets dans le charmant air d’Arditi. La virtuosité est limitée et les ornements laborieux et sans éclat.
Mais son charisme scénique, immense, et sa grande générosité vocale ne peuvent laisser indifférent. Son partenaire, le ténor italien Massimo Giordano, souffre de l’entourage d’une telle personnalité et se retrouve relégué dans une ombre tant physique que vocale. Le timbre est beau et le physique agréable. Mais cela suffit-il ? La voix sonne assez engorgée, sans lumière, notamment après le passaggio, qu’il surcouvre pour monter dans l’aigu, et qui ne permet pas aux notes les plus hautes de s’épanouir librement. La romance de Nemorino met à nu son incapacité à chanter piano sans passer en falsetto. La comparaison avec Antonino Siragusa – certes, une voix de nature différente –, entendu dans le même air quelques jours plus tôt, est cruelle. La scène avec Adina lui permet cependant de jouer de ses dons de comédien pour faire oublier ces défauts.
L’air de Lenski, au texte fort bien dit, lui va particulièrement bien, mais présente les mêmes défauts. Il a la voix exacte de Rodolfo, et le sens musical pour servir ce rôle à la perfection, mais l’instrument, peu puissant, est souvent couvert par l’orchestre et sa partenaire, qui cultive une grande brillance dans l’aigu grâce une plus grande ouverture intérieure et un placement plus haut. De belles promesses chez ce ténor, mais une technique à raffiner.
En bis, l’incroyable numéro d’Anna Netrebko dans « Meine Lippen, sie küssen so heiß » extrait de Giuditta de Franz Lehár, bien connu par le disque et la vidéo, mais toujours aussi grisant, la chanson napolitaine « Core ‘ngrato » de Salvatore Cardillo interprétée avec conviction par Massimo Giordano, suivie par… le Brindisi de la Traviata, désormais incontournable façon de terminer un concert en duo, toujours apprécié du public.
Troisième pilier de cette soirée, et non des moindres : un Orchestre National d’Île-de-France transfiguré en quelques jours. Sonnant de manière lourde et pâteuse lors du concert de Sumi Jo et Antonino Siragusa au Théâtre des Champs-Elysées, il a révélé ce soir une finesse de jeu insoupçonnée. Mis à part un début difficile aux violons dans l’ouverture de Roméo et Juliette, sa performance est à saluer bien bas : cordes soyeuses, raffinées, parfumées, cuivres brillants, bois délicats, percussions aux effets tonnants mais toujours mesurés, la métamorphose est impressionnante. Quelle que soit sa part dans ce changement radical, la cheffe canadienne Keri-Lynn Wilson semble promise à une belle carrière, tant son autorité naturelle est grande et son geste précis, d’une grande maîtrise et d’un sens musical très sensible.
Une belle soirée au demeurant, ovationnée comme rarement, et qui, malgré la présence sur le papier d’un duo, a vu éclater de façon écrasante le triomphe de la belle Anna Netrebko.

Paris. Salle Pleyel, 1er octobre 2009. Charles Gounod : Roméo et Juliette, Ouverture, « Va ! Je t’ai pardonné… Nuit d’hyménée ». Giuseppe Verdi : Nabucco, Ouverture. Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor, « Regnava nel silenzio » ; L’elisir d’amore, « Una furtiva lagrima », « Caro elisir ! sei mio… Esulti pur la barbara ». Luigi Arditi : Il bacio. Paolo Tosti : « L’alba separa dalla luce l’ombra ». Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Eugène Oneguine, « Kuda, kuda ». Antonín Dvořák : Rusalka, Chant à la lune. Giacomo Puccini : Manon Lescaut, Intermezzo ; La Bohème, « Che gelida manina », « Si, mi chiamano Mimi », « O soave fanciulla ». Anna Netrebko, soprano. Massimo Giordano. Orchestre National d’Île-de-France. Keri-Lynn Wilson, direction.
Article mis en ligne par Adrien DeVries. Rédaction: Nicolas Grienenberger.

Illustration: Anna Netrebko (DR)

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