mardi 16 avril 2024

Paris. Salle Pleyel, le 18 décembre 2012. En direct sur France Musique. Handel: Belshazzar. Les Arts Florissants. William Christie, direction.

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Le nouvel Haendel de William Christie est un nouvel accomplissement pour les Arts Florissants. Bel engagement des instrumentistes dès l’ouverture : le prélude instrumental est un somptueux lever de rideau qui convoque et la fresque biblique et le théâtre individualisé des passions humaines; et c’est peut-être sur ce point plus émotionnel et très humanisé que le chef des Arts Florissants, William Christie en grande forme et principal artisan de cette vision prenante et lumineuse, apporte sa contribution spécifique: le sens du drame ne sacrifie jamais la subtile expression des sentiments; en particulier quand il s’agit de brosser et suivre le profil psychologique de certains protagonistes; pas ceux que l’action pourrait laisser croire… Pour nous, même si la partition porte son nom, Belshazzar n’est pas le personnage central tout au moins le plus abouti: Nitocris sa mère ou le prophète Daniel se partagent les airs les plus inspirés et les plus bouleversants… deux ambassadeurs d’une émotivité exquise et embrasée.

En fondant son travail sur l’articulation du verbe, William Christie offre une superbe leçon de théâtre musical, vis à vis des voix comme vis à vis de l’orchestre; c’est un dramatisme intense et palpitant fondé sur le geste naturel de la parole, qui convoque Monteverdi, y compris dans la ciselure des récitatifs où chant et continuo sont particulièrement diversifiés et caractérisés. Un modèle pour tous les chefs haendéliens.

Ardente et palpitante Nitocris

Saluons la remarquable Nitocris de Rosemary Joshua qui dès son premier air (le premier de l’oeuvre) laisse s’exprimer les doutes d’une mère inquiète à l’intuition visionnaire: par sa voix de prophétesse, s’annonce le déclin du fils Belshazzar, incarnation du politique arrogant, aveugle, rien que méprisable barbare, évidemment sourd aux exhortations de sa si tendre génitrice.

Dans cet hymne sur la vanité de toute chose et qui donne le ton général d’une partition traversée par le sentiment du renoncement, le sens du verbe, serti de la coupe nette et franche des cordes, les brûlures du timbre se distinguent nettement. Voici le caractère le plus justement ciselé de l’oeuvre: une figure bouleversante par son intensité sincère. Ici se dévoile le Haendel si connaisseur des cœurs humains (comme Monteverdi là encore).
Même sureté de ton et fluide projection du texte chez le prophète Daniel (Iestyn Davies, contre ténor) qui tempère les craintes de la mère avec un tact et une sérénité intérieure … typiquement british. L’intériorité de la voix, son poli éloquent, sa profondeur naturelle… sont très convaincants.

Vocalement de plus en plus engagée, la basse Neal Davies (Gobrias: plein de haine vengeresse contre ses perses responsables de la mort de son fils) et l’emploi travesti de Cyrus (Sarah Connoly), s’affirment en cours de soirée.

Même geste sûr et puissamment évocatoire dans le portrait du très décadent Belshazzar, abonné à l’alcool dont il savoure le nectar illusoire tout en humiliant le peuple des juifs implorants. Il faut attendre près de 1h pour le voir paraître: Belshazzar est un jeune présomptueux, introduit par un air de danse, d’une délicieuse et insouciante légèreté: parfaitement irresponsable et d’une ardeur insouciante, le jeune ténor Allan Clayton relève les défis de son personnage, aussi fier qu’il reste sourd aux appels et prières de sa mère Nitocris. Il est suffisant, fier, méprisable et aussi pathétique par son aveuglement inconscient.

La performance du chœur des Arts Florissants est impressionnante: il a l’impétuosité acide et ironique dès le début de leur intervention (laquelle va crescendo sans jamais faiblir tout au long des actes) quand les Babyloniens, orgueilleux et suffisants, se moquent de Cyrus qui fait leur siège… précision, articulation, expressivité, mordant: rien à dire à l’excellent collectif choral.
Les choristes éblouissent même par leur talentueuse versatilité (ironie hautaine des Babyloniens assiégés, ferveur des perses menés par Cyrus, puis plainte introspective des juifs soumis à la cruauté de l’infâme Belshazzar dont ils ne cessent de dénoncer la perversité insoutenable).

William Christie, superbe haendélien

William Christie en grand ordonnateur des troupes convoquées rétablit admirablement la richesse d’une action vocale et musicale digne de l’opéra. Et l’humaine invective mais si vaine de Nitocris; et l’action méprisante des Babyloniens, trop arrogants, trop suffisants, tendus, exacerbés par la présence de leurs rivaux perses; et les sublimes chœurs des juifs martyrisés dont la voix appelle constamment au dieu justicier et souverain, lequel ne tarde pas à se manifester au II (scène du banquet et de l’apparition). Le surgissement du divin, s’y concentre quand la main du destin paraît en annonçant le déclin prochain du Babylonien…

Narrateur de haute volée, très inspirée aussi par le relief des personnalités ardentes (Nitocris, Daniel, Cyrus sans omettre le très convaincant Belshazzar), le maestro se montre comme à son habitude à la fois élégant et racé, fièvreux et idéalement habité. Car la fresque ne doit jamais faire oublier la justesse émotionnelle des caractères ni le message spirituel ; ici l’affirmation de la justice divine.

C’est une combinaison subtilement conduite entre dramatisme et spiritualité où jaillissent comme de véritables joyaux, le chant collectif comme la silhouette des héros dont décidément l’admirable Nitocris… l’un des plus beaux personnages conçus par Haendel. Les Arts Florissants confirment leurs affinités enchanteresses avec le Saxon. Superbe concert que devrait prolonger l’enregistrement de la partition pour un nouveau disque à paraître d’ici le printemps 2013 (sous le label des Arts Florissants). A suivre.

Paris, Salle Pleyel, en direct sur France Musique, le 18 décembre 2012. Haendel: Belshazzar, oratorio, 1745. Avec Allan Clayton, ténor (Belshazzar). Rosemary Joshua (Nitocris), Sarah Connoloy (Cyrus), Iestyn Davies (Daniel), Neal Davies (Gobrias). Les Arts Florissants. William Christie, direction.

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