mardi 29 avril 2025

Paris. Salle Gaveau, le 16 novembre 2011. Récital June Anderson. Orchestre-Atelier OstinatO. Jean-Luc Tingaud, direction

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Moins d’un an après sa participation au Concours international Vincenzo Bellini 2010, June Anderson revient à Paris pour un récital organisé par la fondation ColineOpéra, au profit des enfants en détresse dans le monde.
Deux parties bien distinctes composent le programme : la première consacrée au répertoire français, la seconde dévolue à l’opéra italien.
Après une ouverture de la Fille du Régiment interprétée avec conviction par le jeune orchestre OstinatO, la soprano américaine fait son entrée, altière et noble comme à son habitude. Elle attaque directement avec l’air de Mathilde de Guillaume Tell, dans lequel elle fait valoir ses qualités toujours préservées de ligne et de couleurs, malgré une voix qu’on sent quasiment à froid et une diction française qui se cherche un peu. Dans « Il faut partir » de la Fille du Régiment, on retrouve la diseuse qu’elle est, avec un legato parfait et une place vocale de haute école, toujours haute. Mais c’est la scène de Marguerite du Faust de Gounod qui constitue le point culminant de cette première partie, et le réveil total de la voix de la chanteuse. « Il était un roi de Thulé » est littéralement ciselé, chaque syllabe sculptée, et le jeu des couleurs se révèle d’une grande variété. L’air des Bijoux qui suit permet à l’instrument de se déployer pleinement, avec une élégance superbe, couronné par un aigu éclatant et percutant, visé tel la cible d’un archer, tiré et atteint en plein cœur.
Dommage seulement que le chef et elle ne suivent pas exactement le même tempo, la chanteuse semblant désireuse de pouvoir répandre davantage sa voix, alors que l’orchestre suit, imperturbable, son propre rythme.

Retour parisien d’une légende

La seconde partie permet à June Anderson de retrouver le répertoire italien qu’elle affectionne et dans lequel elle connaît peu de rivales, encore aujourd’hui.
Sa Desdémone rossinienne se révèle, non seulement un bel exemple de beau chant, mais également une leçon de théâtre. Dès les premiers accords, la chanteuse semble s’effacer, pour laisser le personnage apparaître dans toute sa complexité, ainsi que savent le faire les grandes tragédiennes. Avec Norma, la cantatrice retrouve l’un de ses chevaux de bataille. Malgré un tempo commun difficile à trouver avec les instrumentistes, la ligne est déroulée avec art, la couleur de la voix, devenue argentée, donnant à cet air sa véritable atmosphère, composée d’apesanteur et de recueillement.
L’apothéose du concert vient de la scène finale du Pirate de Bellini, présageant une possible prise de rôle passionnante. Dans cette scène, June Anderson semble littéralement retrouver sa voix de jeune fille, le temps semblant d’un seul coup effacé. Au-delà même du personnage, vécu avec force, et du legato à l’archet, dont toute la soirée a été une démonstration magistrale, c’est la virtuosité de l’artiste qui sidère, enchaînant des vocalises et des aigus qu’on croyait à jamais abandonnés. Après un aplomb à couper le souffle, et un dernier aigu dardé telle une lance, le public explose en ovations, conquis et heureux. Les bravi fusent, les spectateurs réclament un bis, que la chanteuse finit par concéder.
Un bis de circonstance : la reprise de « Il faut partir ». Et nous assistons au second miracle de la soirée : l’air est mieux chanté encore que durant la première partie, comme rajeuni, comme si le terrifiant Pirate avait ouvert et assoupli l’instrument. Même l’aigu, qui sonnait prudent en début de soirée, semble à présent facile, rayonnant et riche d’harmoniques. Il n’est pas jusqu’au souffle qui paraît transformé, plus long et encore mieux conduit. Et, gourmandise suprême, l’air est conclu par un trille stupéfiant, parfaitement battu, comme on n’en avait encore, admettons-le, jamais entendu chez elle.
La salle entière se lève, soulevée par l’émotion, pour acclamer encore cette artiste d’exception.
Prochains rendez-vous avec cette grande dame : en avril au Théâtre du Châtelet pour la voir incarner Pat Nixon dans le Nixon in China de John Adams, et surtout, en juin prochain, à l’Opéra Royal de Wallonie pour sa première Manon dans l’ouvrage éponyme de Massenet, où elle promet d’être éblouissante.

Paris. Salle Gaveau, 16 novembre 2011. Gaetano Donizetti : La Fille du Régiment, Ouverture. Gioacchino Rossini : Guillaume Tell, « Sombre forêt ». Gaetano Donizetti : La Fille du Régiment, « Il faut partir ». Charles Gounod : Faust, Les Troyennes, « Je voudrais bien savoir… Il était un roi de Thulé… Je ris de me voir si belle ». Gioacchino Rossini : Otello, « Assisa a piè d’un salice ». Vincenzo Bellini : Norma, Sinfonia, « Casta Diva ». Vincenzo Bellini : Il Pirata, « Col sorriso d’innocenza ». June Anderson, soprano. Orchestre-Atelier OstinatO. Jean-Luc Tingaud, direction

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