On retrouve sous les habits du jeune amoureux la Desdémone de l’an passé, Anna Caterina Antonacci. Face à elle, la nouvelle étoile montante du chant russe, Olga Peretyatko, qu’on avait déjà pu applaudir à Lille dans L’Elisir d’Amore.
Belle histoire d’amour tragique
Composé en six semaines seulement et créé en mars 1830 à la Fenice de Venise, cet opéra permet à Bellini de réutiliser des pages de deux de ses anciennes œuvres, Adelson et Salvini et Zaira. On y retrouve notamment ce qui est devenu l’air de Giulietta « O quante volte », joyau de sensibilité et archétype, avec la prière de Norma, de l’écriture vocale bellinienne, aux phrases longues et étirées, comme une arche sonore, demandant, davantage encore qu’ailleurs, legato absolu et richesse des couleurs.
Totalement impliqué dans ce projet, Evelino Pidò confirme ses progrès dans ce répertoire, qu’il dirige de manière moins sèche et martiale, et laisse au contraire s’épanouir les lignes musicales, tant celles des musiciens que des chanteurs, abusant même parfois des points d’orgue et d’un rubato confinant par moments au changement de tempo. Mais il suit les interprètes et leur laisse le temps de faire de la musique, et c’est à saluer.
Passons sur un Capello à l’émission caricaturalement grossie – malgré une certaine autorité dans l’accent – et un Lorenzo chaleureusement paternel mais peu marquant. En Tebaldo, Juan Francisco Gatell se révèle étonnamment peu rayonnant, comme alourdi par une émission quelque peu élargie. La voix passe l’orchestre sans effort, mais la place du son manque de hauteur et du focus qu’elle possédait voilà deux ans. Quant à la vocalisation, elle apparaît timide, un comble pour un ténor d’essence rossinienne.
Radieuse Giulietta, Olga Peretyatko confirme nos impressions lilloises. La technique sonne remarquablement accomplie : liberté d’émission qui lui offre une vraie richesse harmonique éblouissante pour l’oreille, notamment dans l’aigu, trilles de haute école, piani adamantins et flottants, ainsi qu’un legato de violon, rien ne manque. Elle fait preuve en outre d’une sensibilité musicale remarquable, à la fois touchante et distanciée, toujours altière jusque dans la douleur. Rendez-vous le mois prochain à la Cité de la Musique pour son récital belcantiste consacré au thème de la Folie, un beau moment en perspective.
A l’inverse, son amant, le fier Romeo, se voit incarné avec fougue et rage par Anna Caterina Antonacci. Si la première partie de l’œuvre la flatte peu dans la pure vocalité, les aigus sonnant tendus et métalliques et le vibrato se faisant parfois envahissant, la seconde moitié de la soirée lui permet de faire valoir ses qualités de diseuse et de tragédienne, sa partie devenant soudain plus proche du recitar cantando que de la cantilène. C’est ainsi qu’elle conclut l’œuvre avec une scène du tombeau bouleversante, littéralement murmurée, donnant au texte toute sa dimension et sa force. Une émotion qui surgit alors qu’on ne l’attendait pas dans une version de concert.
Engagé et motivé, le chœur réussit bien ses parties, de même que l’orchestre fait admirer la qualité de ses pupitres et de ses solistes, aux interventions d’une grande qualité et d’une superbe musicalité.
Subjugué par nos deux héroïnes, le public leur a réservé une grande ovation, ainsi qu’à tous les musiciens, bien méritée.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 11 novembre 2011. Vincenzo Bellini : I Capuleti e i Montecchi. Livret de Felice Romani. Avec Romeo : Anna Caterina Antonacci ; Giulietta : Olga Peretyatko ; Tebaldo : Juan Francisco Gatell ; Lorenzo : Carlo Cigni ; Capello : Giovanni Battista Parodi. Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon. Direction musicale : Evelino Pidò.